Aujourd’hui c’est Nacim, auteur-scénariste, bien connu des cinéphiles pour sa passion communicative du cinéma via les réseaux sociaux, le podcast SuiteUp et de nombreux sites web, qui revient sur un souvenir familial important dans son rapport au 7ème art, prenant des allures de fusil de Tchekhov particulièrement touchant.
Il y a des passions dont le déclic est compliqué à dater : c’est ce que je répondais il y a quelques années quand on me demandait d’où venait ma passion pour le Cinéma. Et c’est une sorte de débat que j’ai souvent eu pendant mon cursus scolaire. Parce qu’avant d’être le 7ème Art, il est avant tout divertissement de masse, qu’on regarde avant même de connaître exactement la nature de ce qu’on est en train de voir ou avant même de connaître la définition du mot « passion ». Mais en procédant de manière rétrospective, j’ai pu déterminer il y a quelques temps ce qui constituerait une « Année 0 » de ma passion pour le Cinéma.
Je devais avoir 7 ans, à la toute fin des années 90. Je passais avec ma grande sœur la plupart de mes week-ends chez ma grand-mère dans une grande maison à la campagne. Le samedi soir était généralement l’occasion de découvrir un nouveau film et j’avais pour cela la meilleure des programmatrices d’une Cinémathèque personnelle : ma tante.
L’avantage est que sa programmation ne se limitait pas à des films estampillés « pour enfants » et que toute découverte était bonne à prendre, tant que le contenu du film était adapté à mon jeune âge bien entendu. Et de toute façon, je crois que l’étiquette « Classique du Cinéma » pouvait tout faire passer à ses yeux et ce fut sans doute le cas de son choix de film pour ce soir-là. Comme d’habitude, on s’installait ma sœur, ma tante et moi-même dans le salon du rez-de-chaussée sur de grands canapés. Quand il s’agissait d’un film programmé à la TV en seconde partie de soirée, nous installions des matelas au sol pour les futurs et probables assoupis dont je ne faisais jamais partie, regardant toujours un film jusqu’au bout quitte à lutter contre une extrême fatigue. Mais je n’eus pas à lutter cette fois-ci, et pour cause.

Car c’est ce soir-là que je me retrouvai, seul encore éveillé, devant M le Maudit. J’étais comme hypnotisé, plongé en plein syndrome de Stendhal. Expérimentant pour la première fois une sorte de « 3D sans lunettes » (décrite parfaitement en interview par Nicolas Boukhrief). Les images et le jeu totalement possédé de Peter Lorre (je ne sus son nom que des années plus tard bien entendu) me paraissaient irréels mais constituaient paradoxalement ma seule réalité de ce moment transcendantal. Même les sous-titres jaunes de cette diffusion du film à la TV participaient étrangement à l’expérience.
Une quinzaine d’années plus tard, je passais un concours afin d’intégrer une école de Cinéma et d’être formé en tant que scénariste. J’avais reçu pour cela une aide précieuse et indispensable de cette même tante, qui avait donc planté une graine des années auparavant sans en mesurer l’impact que cela aurait sur ma vie.
Lorsque je lui annonçai la réponse positive au concours d’entrée de cette école, ma tante me répondit : « Heureusement que je t’ai montré M le Maudit ! ».
Nacim
Propos recueillis par Yoan Orszulik, vous pouvez retrouver Nacim sur le podcast SuitUp ainsi que sur le blog Pump Up the Culture.