Aujourd’hui c’est David Veerasawmy, ancien rédacteur sur le défunt site Gizmo Inc, désormais en charge de l’organisation de plusieurs conventions liées à la pop culture, notamment Avignon Geek Expo, qui revient sur sa passion jamais démentie pour le 7ème art, dont les origines se trouvent dans une enfance ne s’interdisant aucun excès.
Comme nombre de personnes pondues dans les années 80, ma vie de cinéphile a commencé avec les vidéos clubs. Venant d’un pays (l’Île Maurice) où l’on n’avait pas de Vidéo Futur et autre enseigne type « Blockbuster », on se contentait de VHS en mode bootleg que l’on louait dans des petits vidéos clubs de famille, où les VHS avaient des codes couleurs spécifiques selon le pays ou le genre. Je revois encore le petit vidéo club de quartier (qui faisait office d’épicerie ou de maraicher, c’est selon) où j’allais avec mon père, où trônait une belle affiche de L’Incroyable Alligator, film que je n’ai d’ailleurs jamais vu.
J’ai connu mes premiers émois devant une kyrielle de métrages pas forcément adaptés à mon âge. L’Exorciste a côtoyé La belle au bois dormant en somme, avec une bonne dose de Robocop, de Hidden et de Le justicier de New York. Mes parents me laissaient parfois (souvent) choisir ce que je voulais regarder, et je pense que toute personne normalement constituée ne ferait jamais une chose pareille avec ses enfants, mais cela m’aura permis sur le long terme de tomber amoureux des images et de voyager le temps d’une bobine à Détroit ou sur la planète Hoth.
Plus je grandissais et plus je prenais plaisir à passer des après-midi à regarder des choses parfois peu recommandables. J’avais à peine 6 ans quand j’ai vu Basic Instinct (avec la dose de malaise qui va avec, mais j’étais déjà en train de devenir un petit fan de Paul Verhoeven). Certains de ces après-midi m’ont permis de découvrir d’autres petits bijoux, dont Terminator 2 et Predator. Je revois encore mon père pointer du doigt l’écran en me disant « regarde c’est pas une étoile mais un vaisseau » alors que la capsule du chasseur alien s’apprêtait à aller donner du fil à retordre à Schwarzy et sa bande. Terminator 2 m’aura quant à lui marqué au fer rouge, me traumatisant bien plus que n’importe quel film d’horreur avec sa fameuse séquence de rêve atomique. Au même titre que Verhoeven, James Cameron était en train de devenir l’un de mes réalisateurs fétiches (un certain Abyss, vu avec ma grande sœur durant l’un de ces fameux après-midi, aura aussi joué son rôle).
Les années passaient, je louais toujours un peu de tout et n’importe quoi, découvrant autant de choses peu recommandables que de films grand public. Pour la petite histoire, je m’étais fait rouspéter par mes parents quand j’avais loué Scream, les deux me reprochant de regarder un film bien trop violent pour mon âge. Marrant quand on sait qu’ils n’avaient pas hésité à me montrer la petite Regan faire des 180° avec sa tête quand j’avais trois ans.
Il y avait quelques cinémas dans mon pays à l’époque, mais j’avais dû hélas attendre quelques années avant de pouvoir m’y rendre, faute d’occasions concrètes. C’est ainsi que mon premier métrage sur grand écran fut Lancelot : Le Premier Chevalier de Jerry Zucker, en 1996, un film dont ne je garde aucun souvenir (tant mieux parait-il). Par contre, je me revois encore entrer presque religieusement dans la salle de cinéma, découvrant estomaqué cet écran 150 fois plus gros que la télé qu’on avait chez nous. L’endroit me fascinait, et j’avais déjà qu’une hâte, y revenir encore et encore. Fort heureusement, je n’allais pas trop tarder à y remettre le couvert, découvrant cette fois l’univers ultra référencé de Christophe Gans avec son très chouette Crying Freeman (découvert avec mes parents, avec encore une fois la bonne dose de malaise qui va avec ). Le premier gros choc vécu dans une salle fut… Independence Day. Pas vraiment un chef d’œuvre du 7ème art, loin s’en faut, le film m’avait soufflé étant gamin. Je m’étais rendu dans une des nouvelles salles dernier cri que mon pays possédait désormais, avec ma grande sœur et l’une de ses amies. Je me vois encore boucher mes oreilles pendant la scène où les villes explosaient, soufflé par l’installation Dolby des lieux tandis que mes yeux hébétés se délectaient du spectacle de destruction massive. J’avais passé une merveilleuse journée (j’ai d’ailleurs encore en tête le plat que j’avais mangé par la suite tandis qu’un touriste allemand de passage prenait notre petit trio en photo après avoir fait un brin de causette). Je regarde encore le film d’Emmerich sans déplaisir de nos jours, conscient de ses grosses lacunes mais m’arrêtant au final sur la grosse madeleine de Proust qu’il a pu être pour moi.
J’ai continué à aller encore et encore en salles, jusqu’à ce qu’un autre film ne vienne à nouveau me mettre dans tous mes états : le Titanic de Monsieur Cameron. Même si le film n’a pas été le choc escompté à sa sortie (cela changera, heureusement pour moi, au fil des visionnages), ce fut encore une fois tout le petit rituel qui avait entouré la séance qui m’avait transporté : achat des billets une semaine à l’avance avec ma cousine, croix sur le calendrier… J’étais tellement hypé que je m’amusais à faire des bateaux en papier en cours, à la grande consternation de mes camarades de classe qui me prenait pour le dernier des idiots. Je garde également un merveilleux souvenir de cette séance, finissant une bonne fois pour toutes d’ancrer les salles obscures au panthéon de mes lieux fétiches.
La découverte du magazine Mad Movies, un dimanche matin dans le coin « magazines » d’un hyper, aura totalement redéfini ma manière d’appréhender les films. Outre la découverte de dizaines de réalisateurs m’étant parfaitement inconnus (Sam Raimi, Peter Jackson, Dario Argento, Olaf Ittenbach et j’en passe), j’apprenais enfin pourquoi j’appréciais certains type de films et pas d’autres, et pourquoi un plan ou une lumière particulière arrivaient à me faire ressentir des guilis dans le ventre. J’avais été happé par l’aspect ludique, frondeur et érudit du magazine, à tel point que je l’ai acheté religieusement chaque mois durant des années, forçant du coup certains de mes amis à voir des Evil Dead, des Kill Bill et autres Matrix ou Le seigneur des anneaux encore et encore.
Mon arrivée en France pour cause d’études n’aura pas arrangé les choses, bien au contraire. J’avais voulu un temps faire des études de cinéma pour essayer de pousser ma passion encore plus loin, mais le projet fut tué dans l’œuf pour des raisons personnelles. Cela dit, j’ai depuis pu cultiver ma passion différemment. Ce fut le cas au travers de très belles rencontres avec des gars encore plus siphonnés que moi. Si mes études m’ont été utiles par la suite, j’aime à penser que ces rencontres m’auront été autrement plus enrichissantes que n’importe quel CM en amphi. J’ai encore en tête ces soirées généreusement houblonnées où on parlait de William Friedkin, de Tsui Hark, de gore allemand, de Michael Bay ou d’autres zigotos comme Rob Schneider. J’ai aussi découvert avec eux la folie des festivals, où l’on finissait complètement HS après des soirées mouvementées à regarder des chefs d’œuvres comme Action Mutante ou les pires polissonneries de Tinto Brass.
Les années ont passé et j’ai parfois un regard assez nostalgique sur mon parcours de cinéphile. Si la passion est toujours là, elle a perdu un peu de sa magie, la faute peut être à l’hégémonie de certains studios (et au formatage qui en découle), ou à une certaine facilité d’accès qui contraste violemment avec la difficulté que j’avais étant adolescent à avoir accès à certaines choses. Mais pourtant, je continue à bouffer de la péloche comme un sagouin, me gavant autant de blockbusters parfois navrants que d’obscurs films bis connus par trois clampins dans le monde. La magie, je la retrouve cependant dans le fait de partager certains de mes plus beaux moments avec d’autres, comme voir ma copine s’émerveiller à mes côtés devant un Fury Road ou Gravity, ou découvrir dans un silence religieux Akira sur grand écran avec ma bande de potes.
À contrario d’un Roy Batty qui voit ses souvenirs disparaitre tels des larmes dans la pluie, j’espère que ces moments clés ayant défini ma vie de cinéphile resteront encore longtemps dans mon cœur. Et à force de consommer des histoires sur pellicule, je vais peut-être finir par en raconter une à mon tour, qui sait !
David Veerasawmy
Propos recueillis par Yoan Orszulik, vous pouvez retrouver David Veerasawmy sur Cocoscope pour voir ses quelques créations vidéo et musicales, ainsi que sur le site d’Edilivre pour découvrir ses recueils et romans.