Aujourd’hui c’est Matthieu Broussolle, créateur de la chaine YouTube d’analyses cinématographiques Le Coin du Bis, qui revient sur de nombreuses merveilles du cinéma d’exploitation issues des quatre coins du globe et de différentes époques, qui nous fait l’honneur d’évoquer un moment important ayant façonné son amour du cinéma.
Novembre 2001. Cela fait plusieurs mois que je guette avec impatience la sortie au cinéma du premier volet du Seigneur des anneaux, réalisé par Peter Jackson. Internet n’est pas encore dans tous les foyers et la majorité des informations que je récupère sur le sujet proviennent de magazines. Ce jour-là, j’achète le dernier numéro de Première (que je lis depuis peu) et qui met en couverture Elijah Wood dans la peau d’un personnage dont j’ignore à peu près tout. Car si Le seigneur des anneaux m’intrigue, ça n’est pas tant pour l’adaptation du livre en lui-même (que je n’avais pas lu) que pour voir ce que fabrique le réalisateur du gorissime Braindead à la tête d’une énorme trilogie hollywoodienne… Familier des précédents films de Jackson, j’avais le sentiment de posséder une information que les autres n’avaient pas : je savais très bien qui était le bonhomme et le génie dont il était capable. La critique dithyrambique dans Première n’a fait que renforcer mes deux certitudes : Jackson avait réussi son coup et comme j’étais le seul à ne pas douter de son talent parmi mes amis, j’en savais définitivement plus qu’eux.
Mais quelques pages plus loin, l’arrogance de mes 20 ans allait prendre un sérieux coup et le cinéphile pointu que je pensais être fut vite remis à sa place. Contre toute attente, le film du mois n’était pas La communauté de l’anneau mais un film d’auteur dont le réalisateur m’était presque inconnu et qui semblait avoir conquis toute la rédaction. En substance, la critique disait qu’on ne comprenait pas grand-chose à l’histoire mais que le film était un chef d’œuvre à tous points de vue. À mes yeux, ces mots n’avaient aucun sens (comment peut-on aimer un film auquel on ne comprend rien ?) et je décidais le soir même d’aller voir l’objet en question, convaincu qu’il ne ferait pas le poids face au blockbuster de mon réalisateur néo-zélandais préféré.
Alors que je m’attendais à trouver une salle de cinéma quasi vide, celle-ci était remplie au tiers. Avant même que les bandes annonces ne démarrent (de mémoire, Harry Potter à l’école des sorciers et The One avec Jet Li), le public restait silencieux – ce qui était assez étonnant vu le multiplexe où je me trouvais. Lorsque les lumières s’éteignirent enfin, une musique retentit et des danseurs apparurent à l’écran. Puis on entendit quelqu’un respirer au-dessus d’un lit avant que le générique ne démarre. Pendant que les noms s’affichaient et qu’une limousine serpentait le long d’une route mal éclairée, j’éprouvais une sensation étrange : le sentiment que, malgré mon envie initiale de me moquer de ce film que « personne ne comprend », j’allais l’adorer bien au-delà de ce que j’avais pu vivre jusqu’alors.
2h20 plus tard, les lumières se rallument. Les yeux écarquillés, tout le monde se regarde mutuellement en espérant trouver de l’aide, un soutien, une explication, quelque chose qui nous permette de mettre des mots sur ce que l’on vient de voir. Le générique de fin est terminé et personne n’ose bouger pour partir. Il s’écoulera deux bonnes minutes avant qu’un courageux ne se lève, enfile son manteau et soit assailli de questions par les spectateurs voisins… De mon côté, je viens de passer par tous les états émotionnels possibles et de prendre la claque de ma vie. En sortant de la salle, je savais que ce film allait marquer une étape dans ma cinéphilie mais j’ignorais encore à quel point. Perdu dans mes pensées, je me suis également perdu sur le trajet du retour (alors que le chemin entre mon appartement et le cinéma était tout droit). Après une nuit blanche, j’ai raté un examen d’infographie (et le diplôme qui allait avec) pour constater dans la foulée que ce que je faisais ne me plaisait pas. La seule chose qui m’intéressait était de retourner dans le film, revivre cette expérience et, peut-être, comprendre ce qui s’était passé ce soir-là.
Du jour au lendemain, j’ai quitté mes études et me suis enfermé dans ma chambre avec pour objectif d’en apprendre le plus possible sur le cinéma. J’ai alors ressorti les quelques magazines spécialisés que je possédais et j’ai dévoré d’une traite les articles qu’auparavant je ne lisais pas sous prétexte qu’ils parlaient de films peu connus ou de cinéma d’auteur (un gros mot jusqu’alors). Pendant deux ans et à raison de 3 à 4 films par jour, j’ai découvert une quantité phénoménale d’œuvres, de réalisateurs, de genres et de sous genres dont je ne soupçonnais même pas l’existence du haut de mes 20 ans. Au vu de toutes ces découvertes, j’ai rapidement fini par admettre que, contrairement à ce que je pensais, je ne connaissais pas grand-chose au cinéma et que même si la route allait être longue pour rattraper tout ça elle s’annonçait furieusement excitante. Dès lors, j’ai cessé de revoir toujours les mêmes films doudou pour m’aventurer dans l’inconnu. Ma découverte du cinéma bis et la passion que je lui voue s’est déclenchée à ce moment-là : ces films sont tellement hors normes que chacun d’eux sonne pour moi comme une promesse de revivre le choc émotionnel de cette fameuse soirée de novembre 2001… 20 ans plus tard, la passion est intacte et je la partage via une chaîne YouTube où, secrètement, j’espère déclencher le même électrochoc chez les spectateurs que celui que j’ai pu vivre à l’époque. Et il n’y a rien qui me fasse plus plaisir que lorsque je lis un commentaire qui me signale que ça a été le cas.
Au final, je suis allé voir La communauté de l’anneau comme prévu quelques semaines plus tard et même si j’ai été émerveillé par le travail de Jackson, le film qui me restera en tête des mois durant et qui aura changé ma vie ne sera pas forcément celui-ci… En novembre 2001, je suis allé voir Mulholland Drive.
Matthieu Broussolle
Propos recueillis par Yoan Orszulik, vous pouvez retrouver Matthieu Broussolle sur sa chaine YouTube Le Coin du Bis.