Aujourd’hui c’est Guillaume Lasvigne, ancien fondateur du site Courte-Focale.fr et responsable de la chaine YouTube Anima consacrée à l’animation japonaise, qui rend hommage à tous ceux qui lui on transmis la passion de la critique et de l’analyse cinématographique, qu’il s’agisse du site L’ouvreuse.net et de bien d’autres personnes.
Je me suis intéressé relativement tard au cinéma. Jusqu’au lycée, mon expérience des salles se limitait aux blockbusters les plus en vue : mon entourage n’était pas particulièrement cinéphile et je ne fais pas partie de ces nombreux ados ayant contourné les interdits pour découvrir des films qui ne leur étaient pas destinés. Mon premier vrai choc, je l’ai vécu à la télévision sans avoir eu à convaincre qui que ce soit pour m’installer devant : c’était L’Armée des douze singes, dont l’atmosphère cauchemardesque et la musique lancinante m’ont valu de sympathiques terreurs nocturnes ! Encore aujourd’hui, je le considère comme le plus grand film de Terry Gilliam et je crois bien qu’il ne finira jamais de m’obséder.
C’est probablement à la même époque que j’ai découvert Titanic en salles. J’étais en 6ème et le choc fut tel que je retournai le voir en salles deux fois de plus. Mais encore une fois, ma passion n’est pas née à ce moment-là. Si j’ai découvert de nombreux longs-métrages pendant mon adolescence, je les enchaînais sans forcément prendre de recul dessus. Les rares cours de ciné au collège me paraissaient abstraits (« qu’est-ce que j’en ai à faire que ce soit un plan américain plutôt qu’un gros plan ? ») et des noms aussi grands que Hitchcock, Miyazaki ou Burton ne me sont apparus que plus tard. Toutefois, le lycée a été un premier tournant avec une vraie envie de fréquenter mon cinéma local. Mais là encore, ma priorité allait aux sorties événementielles et je découvrais coup sur coup Le jour d’après, La passion du Christ et autres Spider-man 2 sans volonté de saisir pourquoi je pouvais les considérer comme réussis ou ratés. C’est ce manque d’intérêt pour l’art cinématographique qui m’a amené à considérer The Island comme un chef-d’œuvre mais hey ! Du haut de mes 18 ans, le traitement premier degré de la première moitié allié à l’avalanche d’explosions de la deuxième m’avait beaucoup impressionné.
C’est la presse, puis la critique en général, qui m’ont amené à approfondir mes connaissances et à développer mon esprit critique. Mais si un magazine comme Ciné Live m’intéressait et pointait du doigt certains aspects des films auxquels je ne portais jusque-là aucune attention, je ressentais déjà une sorte de frustration à l’égard de textes courts et qui semblaient énoncer des généralités interchangeables. Toujours est-il que mes lectures m’ont amené à tenir un blog, à m’essayer à la critique à mon tout petit niveau. Deux chocs ont suivi.
Inévitablement, j’ai d’abord découvert un vivier de collègues blogueurs ayant une connaissance et des approches du cinéma considérablement plus étendues que les miennes. J’ai ressenti un sacré vertige à ce moment-là, la sensation de découvrir un monde d’œuvres et d’idées dont je ne soupçonnais pas l’existence. Kubrick, un cinéaste fondamental ? Le découpage ? Les thématiques ? Mais de quoi parlent ces gens ?!
À cet instant, j’entre dans un engrenage dont je ne suis jamais sorti : si tels réalisateurs ou tels films sont importants, je me dois de m’y consacrer. Si tel aspect d’un film peut m’aider à mieux l’appréhender, je dois l’approfondir. Si tel blogueur est capable d’écrire des trucs aussi pertinents, d’amener le débat à un niveau qui m’est inconnu, je dois faire l’effort de m’élever à sa hauteur. Apprendre, découvrir, étudier, analyser pour mieux découvrir le monde et, je ne l’intellectualiserais que plus tard, me découvrir moi-même. Si je suis qui je suis aujourd’hui, je le dois bien sûr aux milliers de pelloches que j’ai ingurgitées et parfois étudiées depuis, mais aussi à tous les plumes que j’ai pu lire et avec qui j’ai pu échanger, débattre ou collaborer. Ce qui m’amène au deuxième choc de mon apprentissage cinéphile.
Je ne sais plus comment j’ai découvert L’ouvreuse. Je me souviens en revanche d’une révélation, celle d’une bande de mecs qui parlaient de cinéma comme personne, du haut de l’évidence de leur érudition, de leur passion et de leur intégrité. Des gars qui avaient autre chose à faire que de réciter le dossier de presse ou de se regarder écrire. Non, eux préféraient parler focales, obturateur, diaphragme, découpage, règle des tiers et tant d’autres notions ou principes dont, je l’apprenais progressivement, découlait le sens des images filmées. Je me souviens avoir été très impressionné, et à la fois un peu abattu dans la mesure où j’estimais avoir un début de bon niveau dans le domaine critique. Bref, ils parlaient de Cinéma avec une irrévérence, une passion et un humour tels qu’ils ne pouvaient qu’énerver ceux qui préféraient parler d’eux-mêmes. J’y voyais une démarche qui m’a énormément inspiré par la suite, celle de poser des questions plutôt que d’apporter des réponses définitives avec l’air satisfait de celui qui sait. C’était la fin d’une décennie, le début d’une autre, l’attente quotidienne d’un nouvel article, d’un nouveau dossier, d’un nouveau débat, de nouvelles connaissances qui me servent encore aujourd’hui. De manière directe, c’est tout un horizon culturel et intellectuel qui s’est ouvert à moi, qui m’a défié et permis de sortir de ma zone de confort. Plus indirectement, c’est aussi là que j’ai connu les noms de Yannick Dahan, Rafik Djoumi, Stéphane Moïssakis, Arnaud Bordas, Julien Dupuy, bref, la bande de Capture Mag dont je suis toujours les pérégrinations et qui m’ont tant apporté. Et histoire de bien faire le tour, c’est eux aussi qui m’ont amené à intégrer le Forum Tichoux et à suivre, encore aujourd’hui, des noms devenus aussi familiers que ceux de la bande à M. Bobine ou Ermite Moderne.
Alors oui, j’aurais pu citer longuement des artistes et films plus ou moins connus de tous et qui ont largement façonné ma cinéphilie. Mais, bon, déjà on m’a donné carte blanche donc je fais ce que je veux (tu vas faire quoi M. Gilli, hein, tu vas faire quoi ?!), mais je n’aurais pas de souvenirs de cinéma sans ceux qui me l’ont fait pleinement appréhender. Alors à ce titre, à Nicolas Bonci, Guillaume Gas, Matthieu Ruard, Gustave Shaïmi, Nicolas Marceau, Nicolas Zugasti, Seb Macfly, Anaïs Tilly (ma future épouse, comme quoi les blogs c’est vraiment pas mal), bref, tous les blogueurs, journalistes, vidéastes que j’ai pu côtoyer de près ou de loin et indissociables de ma cinéphilie : merci, un immense, un putain de merci.
Damn, j’ai même pas réussi à parler de Cloclo.
Guillaume Lasvigne
Propos recueillis par Yoan Orszulik, vous pouvez retrouver Guillaume Lasvigne sur le site Courte-Focale.fr ainsi que sur sa chaine YouTube Anima.