Aujourd’hui c’est Clément Costa, créateur de la chaine YouTube Ciné Skope, centrée sur diverses facettes du 7ème art, et rédacteur pour le site internet Écran Large de Geoffrey Crété, qui revient sur les divers étapes de sa cinéphilie. Notamment sa passion pour le cinéma indien qui marqua un tournant et qu’il ne cesse depuis, de transmettre autour de lui.
Contrairement à beaucoup de mes amis cinéphiles, je n’ai pas grandi dans un environnement particulièrement sensible au 7ème Art. À la maison, le poste de télévision était peu allumé et les excursion en salles obscures étaient encore plus rares. D’autant que mes parents faisaient une distinction claire entre les films « pour enfants » – à savoir le cinéma d’animation – et le reste.
C’est donc logiquement l’animation qui m’a procuré mes premiers chocs. Le tout premier souvenir viendra du grand Don Bluth avec Le Petit Dinosaure et la Vallée des merveilles. Certes il y avait l’aventure colorée, les personnages attachants et les dinosaures (argument infaillible pour un gamin de 6 ans). Mais je découvrais grâce au film de Bluth un sentiment nouveau : la peur. La peur face aux séquences sombres, déchirantes. La peur de la mort. La peur d’un méchant qui semble tout-puissant face à nos jeunes héros. Ce sentiment là allait inconsciemment guider ma cinéphilie. La quête d’œuvres qui marquent et secouent. Probablement à mes yeux la preuve ultime qu’il faut toujours découvrir les films un peu trop tôt, à un âge leur permettant de déployer toute leur puissance magnétique.
Quelques années plus tard, je découvrirai Le Géant de Fer et là encore le cinéma d’animation m’offrirait un choc esthétique et émotionnel inédit. On pouvait donc appréhender le deuil, la guerre, l’injustice, la haine de l’autre et bien d’autres sentiments uniquement par le pouvoir des histoires et des images.

Mon entrée au collège allait m’éloigner temporairement du cinéma pour une raison plutôt valable : la littérature. Je me réfugiais au CDI dès que l’occasion se présentait. Tout y passait. Agatha Christie, C. S. Lewis et ses chroniques de Narnia, Le Petit Prince, les Tobie Lolness par Timothée de Fombelle. Et puis rapidement de nouveaux chocs grâce aux découvertes de Stephen King, H. P. Lovecraft et un peu plus tardivement Clive Barker.
Contrairement aux films qui étaient choisis sans mon opinion, les livres étaient un espace de liberté totale. Je lisais ce que je voulais, j’allais même volontairement vers les récits susceptibles de me causer quelques nuits blanches. L’horreur absurde de Cellulaire, les premières pages glaçantes de Cujo, les échanges terrifiants entre Hannibal Lecter et Clarice Sterling sous la plume de Thomas Harris. Pendant que mes parents se demandaient si les Spider-Man de Sam Raimi ou les Pirates de Gore Verbinski n’étaient pas trop dérangeants, j’enchaînais les terreurs cosmiques au fil des pages.
Alors que j’étais toujours au collège, l’autre bascule viendrait de ma sœur. Une de ses amies indiennes lui avait montré un film de Bollywood avant de lui prêter le DVD pour qu’elle puisse le revoir. J’ai toujours détesté les films musicaux. Même enfant, je zappais les chansons des Disney tant ces séquences m’insupportaient. Alors quand ma sœur me proposais de regarder un film musical de 4 heures, le tout sur fond de romance, je rigolais gentiment. Et puis, par je-ne-sais quel hasard, ma curiosité a pris le dessus.
Ce film, c’était La famille indienne de Karan Johar. Du pur Bollywood traditionnel tel qu’on se l’imagine lorsqu’on ne connaît rien du cinéma indien. Et pourtant… Sans que je ne comprenne pourquoi, le film m’a fasciné. C’était un langage cinématographique que je ne connaissais pas. Un sens de la dramaturgie et de l’intensité qui dépassait tout ce que j’avais vu. C’était décidé, ma nouvelle obsession était le cinéma indien – et plus particulièrement la filmographie de l’acteur Shahrukh Khan dont le charme naturel avait de quoi désarmer n’importe quel adolescent un peu mal dans son corps.
Les années suivantes allaient être remplies de découvertes – bonnes comme mauvaises. Gamin de Toulouse, j’ai traversé toute la France en train pour me rendre au quartier indien de Paris avant de revenir avec des centaines de DVDs de contrefaçon. Je prenais tout ce qui passait : des gros succès populaires, des échecs cuisants, des blockbusters d’action, des thrillers, des romances musicales, etc.
Et puis il y a eu deux films. Dil Se de Mani Ratnam et Raincoat de Rituparno Ghosh. Le premier est une romance violente sur fond de terrorisme, le second un huis-clos dont la réflexion se porte sur les non-dits et les mensonges. C’était ma première rencontre avec le pur cinéma d’auteur. Rythme lent, plans particulièrement travaillés, dialogues subtils. Cette découverte a une fois de plus changé ma vie de cinéphile. J’ai compris que le cinéma n’était pas qu’une histoire de scénario ou de divertissement. Raincoat était la preuve qu’on peut ne rien raconter de plus qu’un dialogue entre deux menteurs compulsifs tout en suscitant des émotions insoupçonnées. La narration se faisait par l’image. Ça peut paraître évident d’un œil adulte, mais quand on découvre ça à 14 ans, on a l’impression de ne jamais avoir regardé correctement le moindre film.

Je me suis alors plongé dans le cinéma d’auteur indien, qu’il soit hindi, bengali ou tamoul. Puis j’ai commencé à aller tout seul au cinéma pour y voir les dernières sorties qui étaient recommandées par les sites de référence. Cette année là, j’ai été sonné par Valhalla Rising, Mr Nobody, Un Prophète et Morse. Des films que j’ai toujours refusé de revoir par peur d’être déçu.
L’année suivante, en arrivant au lycée j’ai fait la rencontre d’un ami dont le grand-frère était un pur produit des vidéoclubs. Amateur de cinéma de genre et autres bizarreries expérimentales. Un soir, il m’a passé 3 films sur une clé USB. Des films qui finiraient d’établir ma passion dévorante pour le cinéma : L’antre de la Folie, L’échelle de Jacob et Old Boy.
À partir de ce moment-là, j’ai sacrifié mon sommeil pour enchaîner film après film. J’ai dévoré les filmographies de John Carpenter, Bong Joon Ho, David Cronenberg, Dario Argento, David Lynch, Gaspar Noé et bien d’autres. En parallèle, je continuais d’explorer le cinéma indépendant indien avec les maîtres Vishal Bhardwaj, Anurag Kashyap et Vikramaditya Motwane. J’allais découvrir les classiques horrifiques, le cinéma d’action HK, les thrillers coréens, le giallo, etc. Tout ce qui révolutionnais ma vision du cinéma était bon à prendre.
Et plus le temps passe, plus je peux associer mes expériences transcendantes à des découvertes en salles. Les rediffusions de Melancholia et Twin Peaks – Fire Walk With Me qui m’ont appris à ne pas négliger l’impact d’une redécouverte sur grand écran. Under The Skin et Mother !, deux séances dont je suis sorti en tremblant d’excitation et de nervosité. The Lunchbox, vu 4 fois en salles tant sa douceur a eu un effet thérapeutique que je ne m’explique toujours pas complètement. Plus récemment la séance furieuse de RRR, véritable communion de groupe face à un spectacle dont la générosité et la folie a de quoi évoquer les plus grandes œuvres de Tsui Hark.
Les années passent et ma soif de cinéma reste intarissable. C’est surement pour ça que j’ai orienté ma chaîne YouTube puis mes articles vers des films souvent moins connus. Parce que contrairement à beaucoup je n’ai pas construit ma cinéphilie sur les grands classiques de la pop culture. J’avais déjà 17 ans quand j’ai découvert Indiana Jones et je lui préférais de loin les folles Aventures de Jack Burton dans les Griffes du Mandarin. Passion nanar oblige, j’ai découvert Star Wars après Turkish Star Wars.
N’ayant pas connu la décennie 80, je n’ai aucune nostalgie de son cinéma. Je reconnais à la pop culture Hollywoodienne de cette époque là d’immenses qualités qui disparaissent tristement depuis plusieurs années. Mais ça n’est jamais par les grands blockbusters que j’ai stimulé ma passion. J’espère donc dans mon travail pousser à la curiosité. Parce qu’il n’y a rien de plus grand que de découvrir un chef-d’œuvre inattendu, un nouveau type de cinéma, une pépite insoupçonnée que l’on va partager autour de soi.
Clément Costa
Propos recueillis par Yoan Orszulik, vous pouvez retrouver Clément Costa sur chaine YouTube Ciné Skope, ainsi que sur le site Écran Large et Twitter.