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Souvenirs de Cinéma #27 : Jean-Victor Houët

Aujourd’hui c’est au tour de Jean-Victor Houët, rédacteur pour le site web Cloneweb consacré à la pop culture, et monteur pour Konbini News, de nous livrer ses souvenirs cinématographiques à travers une évocation de ses séances marquantes et du caractère exceptionnel, quasi mystique, que représente que la salle de cinéma à ses yeux.  

Mon tout premier souvenir de cinéma, c’est une image figée dans mon esprit.

Je revois très exactement où j’étais dans la grande salle du feu Gaumont République de Rouen, et le champ de vision que j’avais sur cette immense toile qui projetait Le Roi Lion, les yeux remplis de larmes.

Non pas que le film ait eu une importance quelconque dans ma vie : je ne le porte pas plus que ça aujourd’hui dans mon cœur et mon enfance sera avant tout bercée par les visionnages répétés en VHS de Robin des Bois et Toy Story. Mais c’est l’image originelle, celle qui a devancé toutes les autres dans ma mémoire quant à mon rapport au cinéma, qui deviendra sacré au fil des ans, au point de pouvoir enchaîner jusqu’à 8 films de suite dans un festival, à parfois traverser les frontières pour voir un long-métrage attendu comme jamais le plus vite possible, et à écrire, tourner et monter sur le cinéma.

Si cette image a son importance, c’est sans doute parce qu’elle reflète ce que représente pour moi l’expérience cinéma dans toute sa splendeur. J’y perçois le point de vue d’un gamin d’à peine 4 ans, posé sur son réhausseur, complètement écrasé par la taille de l’écran et cette tragédie shakespearienne avec des gros chats qui parlent et chantent. La sensation d’être submergé par le spectacle et d’y être plongé tête la première transparaît de toute part dans cette image mentale, de façon d’autant plus cristalline que c’est une image fixe, comme un photogramme volé de cet instant précieux. Est-ce que mon esprit l’a précieusement capturé et sauvegardé pour toute ma vie, ou est-ce que je l’ai moi-même recomposé ou fantasmé pour maintenir l’illusion de l’instant, à vrai dire je n’en sais rien. Mais elle est là, indélébile, et précède une vie bercée par les images en tout genre, qu’elles proviennent de bandes dessinées, de jeux vidéo ou avant tout, bien sûr, de films.

Je viens de fêter mes 30 ans et si je fais le bilan sommairement, la chose la plus constante dans toute ma vie, celle qui ne me différencie en rien de ce gamin devant Simba et Scar, c’est ce goût pour les images. Celles qui vous emportent par leur ampleur, vous terrassent par leur folie et leur puissance, tout en faisant vibrer cette corde sensible et invisible en vous. Le moment historique que nous traversons, avec ce virus qui nous met à distance des salles de cinéma, me rappelle encore plus cruellement à quel point certaines des expériences les plus viscérales que j’ai pu vivre y ont eu lieu. Et même si l’offre en streaming et l’acquisition de blu-ray au mépris des capacités physiques de mes étagères permet de continuer à s’abreuver de films, ce temple qu’est la salle obscure manque plus que jamais tant elle reste irremplaçable.

Aussi bien pour y voir les dernières sorties que du patrimoine, pour du gros budget musclé que du drame indé fauché, dans un multiplexe ou un petit établissement de quartier, la salle de cinéma reste cette invitation à faire abstraction de tout le reste pour être dévoué à ce qui y sera projeté, afin de maximiser les chances d’être absorbé et impliqué par ce qu’on voit, pour parfois le vivre comme si vous étiez dans l’écran. La force magnétique, quasiment spirituelle d’un tel lieu, provient je pense d’une chose précise et unique la concernant. 

Si je mets à plat mes souvenirs de cinéma les plus forts, il y a par exemple la découverte de 2001: LOdyssée de lespace, où la traversée de la porte des étoiles a fini par me faire décoller hors de mon siège, la séance prenant alors des attraits de projection astrale et d’hallucination littérale, dont je suis sorti à l’état de zombie plus capable d’aligner 2 mots, blanc comme un cul, tout juste bon à se traîner jusqu’à son lit pour s’écrouler et dormir pour se remettre d’un tel saut cosmique. 

Il y a aussi la découverte de Samsara, où le projet d’omniscience et de vision globale de l’humanité produisait un vertige sans fin et inédit, comme une prise de conscience suprême de l’action de notre espèce sur son habitat et de ses terribles conséquences ainsi que ses coups de génie. 

Il y a la sensation de pouvoir respirer l’air de Pandora et de tomber en amour pour les Na’vis avant de se rendre compte à la fin d’Avatar que les vrais méchants de l’histoire sont les humains, c’est-à-dire nous, tout ça pour sortir excité comme une puce par le voyage offert, avec le sentiment d’avoir quitté la Terre et visité une autre planète tout en ayant la joue encore chaude devant sa dramatique finalité.

Il y a l‘impression de voir se dérouler sous mes yeux le fonctionnement de l’humanité par les rapports humains à travers le temps devant Cloud Atlas, de revenir des siècles en arrière pour constater la vertigineuse chute de la civilisation dans le Moyen-Âge torturé d’Il est difficile d’être un dieu, de se prendre en pleine poire la sauvagerie et l’étrange beauté de l’horreur de la guerre devant le final cut d’Apocalypse Now, et j’en passe, sans parler des séances notables pour le bouillonnement au sein de la salle, où les espoirs délirants et les fantasmes en tout genre sont palpables telle une cocotte-minute, rassemblant des centaines d’inconnus autour d’un moment merveilleux, en témoigne cette explosion de joie du public lors de l’apparition d’un certain logo Star Wars, coupé aussitôt par un silence religieux devant le texte d’introduction à la première séance de l’Épisode III, tout comme le même degré d’excitation se retrouvait dans un contexte culturel radicalement différent et tout aussi euphorisant à l’avant-première parisienne de Baahubali 2.

Je pourrais donc passer des pages et des pages à décrire et me remémorer des souvenirs de séances et de sensations vécues, mais quand je les recoupe toutes, je tombe donc sur cette chose précise et unique : des premières fois. On le sait tous, dans n’importe quel domaine et sans faire de parallèle vaseux, les premières fois sont marquantes parce qu’elles nous font aborder un nouveau champ d’existence, en nous amenant des étincelles inédites de vie. Et le cinéma est un vivier infini de premières fois.

Quand bien même les salles se ressemblent, les séances toujours organisées de la même manière et les films fabriqués et structurés suivant une méthodologie généralement commune à tous, on ne sait jamais ce qu’on va vivre dans une salle de cinéma. Qui nous allons rencontrer et prendre en grippe ou aimer follement, quels dilemmes ou réflexions vont s’imposer à nous, quelles fantasmagories vont nous émerveiller ou terreurs nous faire perdre nos moyens, quels voyages nous allons entreprendre, quelles drôleries vont nous chatouiller les zygomatiques, quelles énergies vont nous galvaniser, quelles aventures nous attendent, quelles saveurs visuelles et sonores vont électriser nos sens. 

La salle de cinéma, dans sa grandeur et son intimité, permet de vivre ça au mieux et c’est sans doute la raison pour laquelle elle est aussi vitale et irremplaçable. C’est sans doute pour ça que ma première image de cinéma, cette fameuse séance du Roi Lion, est restée placardée et encadrée dans mon esprit tel un chef-d’œuvre dans un musée. Le bouleversement qu’elle contient, c’est celui qui a précédé tous les autres.

Ce n’est pas le plus fort au final, mais c’est bel et bien ce frisson derrière lequel je cours toujours et qui, ô miracle du septième art, continue encore et encore de me frapper avec une évidence et une force intacte. Finalement, dans les yeux de cet enfant retourné par cette fresque de félins et stupéfait par l’immensité de cette fantaisie, il y avait bel et bien toute la magie du cinéma.

Jean-Victor Houët

Propos recueillis par Yoan Orszulik, vous pouvez retrouver Jean-Victor Houët sur le site Cloneweb.

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