Aujourd’hui c’est Alexandre Gasulla, auteur de plusieurs vidéos « tribute » consacrées à Michael Mann, John McTiernan ou encore les soeurs Wachowski, désormais actif dans le cinéma d’animation où il a travaillé notamment sur Astérix – Le Secret de la Potion Magique, qui revient sur l’importance qu’a pu avoir le 7ème art en tant que passion mais surtout en tant qu’ouverture sur le monde.
Aussi loin que je me souvienne, le cinéma a toujours fait partie intégrante de ma vie. Si je devais analyser mon rapport à lui, je pense qu’il faudrait remonter assez loin dans mon enfance. Très tôt dans ma vie, on a diagnostiqué chez moi des troubles du spectre autistique. Cela se résumait globalement à de sérieux problèmes de communication avec le monde qui m’entourait, même avec ma propre famille, et une intériorisation de mes pensées et de mes sentiments. Aujourd’hui, j’ai la chance de m’être défait de ce fardeau, ce qui a été un travail de plusieurs années, mais pendant longtemps il m’était tout simplement impossible d’avoir des relations amicales normales ou de jouer simplement avec les autres enfants.
Par la force des choses, je me suis logiquement assez vite retrouvé devant des écrans, et donc devant des films, sans doute parce que c’était la meilleure façon d’occuper un gamin avec lequel on pouvait difficilement parler et qu’on ne pouvait pas toucher. Heureusement, si ma famille proche peut difficilement être qualifiée de cinéphile, le cinéma a toujours été quelque chose de très bien accepté : nous avions une collection impressionnante de VHS, dont la quasi-totalité des films d’animation Disney, les sorties au cinéma étaient quelque chose de courant dès que j’allais à Nantes voir ma grand-mère et mes tantes, bref les films ont été au centre de mon quotidien très tôt. Mon indépendance a aussi été faite au rythme des sorties en salle : dès que j’ai eu l’âge de pouvoir sortir seul hors de chez moi, ma mère m’encourageait à aller au cinéma par moi-même. Très vite, c’est devenu un rituel presque quotidien : les amis étaient un concept encore flou pour moi à l’époque, autant dire que j’avais du temps libre à revendre. Et je le passais donc dans les salles obscures.
Puis il y a eu, à peu près au même moment, les premiers intérêts pour ce qu’il y a hors de l’écran. Le jour où ma mère m’a donné envie de découvrir E.T. l’extraterrestre en me disant que le film était fait par le même homme qui avait réalisé Jurassic Park, j’ai pris conscience qu’il y avait un intérêt à se renseigner sur les coulisses. Avec le temps, c’est devenu une passion, voire une obsession : je passais plus de temps à apprendre les noms des réalisateurs, des acteurs ou les années de sortie qu’à retenir mes tables de multiplication, et encore aujourd’hui j’ai tendance à retenir beaucoup plus facilement les informations sur un film que sur n’importe quel autre sujet de discussion.
Puis est venu le jour où j’ai découvert Seul au monde en salle : sans trop savoir pourquoi, ce film a créé un déclic dans mon cerveau, et une fois le générique de fin arrivé je m’étais mis en tête que mon avenir se jouerait forcément dans le milieu du cinéma. Cela m’a motivé à regarder encore plus de films, à m’intéresser à ce qui a pu être fait des décennies auparavant, à réaliser des courts-métrages amateurs, puis éventuellement à tenter des discussions avec des gens de mon âge sur le sujet. En ce sens, les découvertes de Star Wars, de Matrix, ou de La communauté de l’anneau ont été en quelque sorte les déclencheurs de mes premières amitiés : l’envie de partager cette passion a été la motivation nécessaire pour faire le pas vers les autres. J’ai commencé à avoir des amis, à sortir au cinéma avec eux, à avoir des discussions passionnées, des débats ridicules du style « qui est le meilleur entre Steven Spielberg et Stanley Kubrick », à participer à un podcast autour du 7ème Art, à passer des heures sur des forums spécialisés, etc… .
Je ne pense donc pas exagérer en disant que le cinéma a été ma fenêtre, puis ma porte donnant sur le monde extérieur. Les films m’ont fait comprendre des concepts moraux, philosophiques, ils m’ont donné envie de lire les livres desquels ils sont adaptés, les chansons des soundtracks m’ont donné la curiosité d’en écouter d’autres, des films m’ont poussé vers des univers fantastiques ou des périodes de l’Histoire, bref c’est plus ou moins toute ma culture personnelle qui découle, au final, du cinéma.
Au cours de mon adolescence, j’ai eu la curiosité de rencontrer à nouveau la psychothérapeute qui suivait l’évolution de mes troubles durant mon enfance. C’est à ce moment là que je lui ai fait part de mon envie de travailler dans le cinéma, et elle m’a répondu quelque chose que je n’ai jamais oublié depuis. Elle m’a dit que c’était une évolution logique : enfant je regardais les films comme je regardais le monde extérieur, sans y prendre part, en tant que simple spectateur. L’envie de participer à la création de films était tout simplement ma façon de symboliser mon entrée dans ce monde en prenant les choses en main, de passer du spectateur passif au créateur actif.
Depuis, l’envie de travailler dans le cinéma ne m’a jamais quittée. On avait beau parfois ricaner lorsque j’évoquais mes ambitions, en me disant notamment que c’était une lubie passagère, cela ne m’a jamais découragé. Cette envie m’a dirigé vers une option cinéma au lycée, où mes horizons en termes de diversité de visionnages se sont largement étendus, puis vers une fac de cinéma que j’ai quittée au bout de quelques années (j’aime la diversité du cinéma, du coup j’ai beaucoup de mal avec le fait qu’on oriente sans arrêt les étudiants vers les mêmes films et réalisateurs). Puis j’ai monté des vidéos sur mon temps libre ayant pour thématiques des réalisateurs, vidéos qui ont connu un joli succès sur le net, et je travaille désormais dans le milieu du cinéma d’animation, où je côtoie au quotidien des équipes de passionnés comme moi.
Bref, le cinéma a toujours été un véritable compagnon pour moi. Là où beaucoup y voient un simple médium de divertissement, c’est de mon côté le meilleur moyen que j’ai trouvé pour comprendre le monde qui m’entoure, mais aussi pour me comprendre moi-même.
Alexandre Gasulla
Propos recueillis par Yoan Orszulik, vous pouvez retrouver le travail de Alexandre Gasulla sur les films Astérix – Le Secret de la Potion Magique, Bob l’éponge, le film: Éponge en eaux troubles, ainsi que sur ses chaines YouTube et Vimeo.