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Souvenirs de Cinéma #3 – Rafael Lorenzo

Troisième plongée en souvenirs cinématographiques avec Rafael Lorenzo fondateur et taulier de l’émission Supergrave, podcast qui depuis plusieurs années revient sur différents sujets en lien avec la pop culture, notamment le cinéma. L’occasion pour lui de revenir sur cette passion de longue date, avant de partir explorer de nouveaux horizons. 

Je ne suis pas cinéphile.

Et sincèrement, sans aucune forme de fausse modestie de ma part et même après plus 15 ans de passion autour du cinéma, passion avec ses hauts et ses bas il s’entend, je ne sais toujours pas ce que ce mot veut vraiment dire. J’aime le cinéma, j’adore le cinéma, il représente une immense partie de ma vie, ça oui, avec tout ce qu’il englobe, ce qu’il comporte, ce qu’il véhicule de magie et d’imaginaire mais me caractériser en tant que tel m’est difficile. Je n’aime pas catégoriser les œuvres et encore moins les gens. Rien dans la vie n’est tout blanc ou tout noir, il y a toujours quelque chose à trouver, quelque chose à sauver. Tout me plait dans le cinéma et dans les films. L’importance du cadre, les choix de la mise en scène, le rythme imposé par le montage, la lumière et la photographie, la place du verbe, la musique, la force des acteurs. Peu m’importent les guerres de chapelles, le genre, l’époque, le style, la doctrine, la nationalité etc…ne me reste que le plaisir et l’émotion que me procure un film grâce aux efforts fournis par ceux qui le font. 

Le mot même, cinéphile, dans sa prononciation sonne comme une maladie. Comme une sentence presque irrévocable. Cinéphile ça ressemble à syphilis, à un truc un peu déviant, un peu dégueulasse qui se transmet d’une personne à une autre un peu comme dans ce film de David Robert Mitchell, que je n’aime pas beaucoup d’ailleurs mais qui fait bien passer l’idée. Quelque chose qui aurait à voir avec la perversion. C’est vrai qu’il y a de ça dans le fait de regarder encore et encore des films de manière compulsive, de chopper des manies en tant que spectateur. De façon fétichiste parfois en voulant tracer son propre chemin, aiguiser toujours d’avantage son regard dans cet art si vaste, si grand. 

« Le cinéma est une maladie. Le seul antidote au cinéma est…le cinéma ! » comme le disait le grand Frank Capra.

Et puis cinéphile ça fait pompeux tout de suite, ça fait pourquoi j’ai raison et pourquoi vous avez tort, je détiens la lumière, je suis dans le vrai et vous vous êtes des ignorants, vous n’y comprenez rien. Il y a quelque chose d’élitiste dans cette démarche, à se proclamer cinéphile alors que toutes les approches sont bonnes. Le cinéma est l’art le plus jeune mais aussi l’art le plus populaire par excellence. Depuis ses débuts jusqu’à sa mort annoncée tous les 10 ans, le cinéma reste accessible au plus grand nombre de par son prix et par ce qu’il propose . Un art, le 7ème, qui condense tout les autres et qui permet à un public de tout horizon, de toute culture d’être toucher, d’être ému par ce qu’il voit et ce qu’il entend à l’écran. 

En parlant d’écran je ne crois pas au côté sacré de la salle. Il ne faut pas stigmatiser les gens, leur dire comment rentrer dans une culture. Un bon film, un grand film ou, j’ose le mot, un chef-d’œuvre l’est et le restera peu importe le dispositif sur lequel il a été vu. Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise manière pour découvrir une œuvre plus grande que soi et qui nous bouleverse. Qui nous raconte quelque chose du monde, des autres et forcément de personnel, de nous J’ai découvert Die Hard à télévision et recadré, j’ai vu 2001: L’odyssée de l’espace en dvd, j’ai vu Le parrain en VF etc… Pas les meilleures conditions pour les voir peut-être, mais ces films avec d’autres ont littéralement changé ma vie. Je les ai redécouvert depuis sous d’autres formes, pour certains en salle, le plaisir fut encore plus grand mais le choc initial lui n’a pas bougé. 

Le cinéma, comme tout art, c’est être ému. C’est rire, c’est pleureur, c’est avoir peur, c’est être en colère… bref ressentir. Ressentir quelque chose devant un film, devant une œuvre d’art c’est que les hommes et les femmes derrière ont réussit leur coup. C’est avoir des sentiments qui nous font réfléchir sur ce que l’on est en tant qu’individu, qui nous permettent de mieux se comprendre et d’avancer. Voilà pourquoi le cinéma est si important dans ma vie. 

Le cinéma m’a fait grandir.

J’ai toujours été complexé et solitaire, je le suis beaucoup moins aujourd’hui, et par la force des choses le cinéma m’a permis de me trouver et d’aller vers les autres. Je me suis toujours senti différent, à la marge, sans comprendre véritablement qu’elle était ma place dans le monde et dans la société. D’où ma carapace bien solide. Je ne dis pas que je me trouvais mieux ou moins bien que les autres, non juste différent. À cause de mon physique et de mon vécu d’enfant. 

Je suis issu d’un milieu populaire où le cinéma n’est qu’un passe-temps, un divertissement comme un autre, ce qu’il est pour beaucoup de gens, qui permet pendant un temps d’oublier ses soucis du quotidien. Je comprends la pensée qui veut qu’après huit heures de travail, souvent bien fatigantes, on a envie de se détendre, de ne pas trop réfléchir et d’aller au « spectacle ». Je ne la prends pas de haut bien au contraire je la respecte, je me sens toujours proche d’elle et même : je viens de là. On en revient à son essence évoquée plus haut, le cinéma comme l’art du peuple. 

Car oui le cinéma n’a pas toujours été ma grande passion, elle est même venue assez tard, durant mon adolescence. Et j’ai eu la chance d’avoir des parents qui m’ont toujours soutenu dans mes folies, dans mes rêves. Bien qu’ayant toujours aimé le cinéma, (qui peut prétendre comme pour la musique ne pas aimer le cinéma ?), certains films ou acteurs depuis ma plus tendre enfance (pèle mêle Jim Carrey, James Bond, Retour vers le futur, Eddie Murphy, Gremlins, S.O.S fantômes etc…) et fréquentant régulièrement le vidéo-club le plus proche, ma passion réelle pour lui à pris du temps. Je me souviens encore de la découverte en vhs de Forrest Gump, The Mask, Ace Ventura et que mes parents me refusèrent Le dîner de cons au profit de Taxi. Une fois formée elle ne m’a plus jamais quitté. Mais je dois le reconnaître ici à des moments donnés le feu de celle-ci a été moins fort, moins puissant. Il en va de même en amour. 

Enfant ma première passion fut pour la bande-dessinée, la bande-dessinée franco-belge pour être exact, ainsi j’engloutissais tout ce qui me passait sous la main. Je trainais tout le temps à la libraire à côté de chez nous et j’adorais les petits Mickey d’Uderzo, Morris, Franquin, Mandryka, Gotlib, Greg et les autres ! Je dessinais, je reproduisais mes cases et mes héros préférés et regardant Les Guignols de l’info et ayant le goût de la caricature je croquais à ma façon les hommes politiques, l’actualité ou les stars que j’aimais. Je n’étais pas mauvais et je me rêvais en dessinateur de BD. Et c’est la bande-dessinée qui a fait la transition et qui m’a définitivement conduit vers le cinéma.  

En tant que fan d’Astérix et du fameux humour Canal, je regardais beaucoup la télévision aussi, j’attendais avec une certaine impatience le Mission Cléopâtre d’Alain Chabat. N’ayant pas réussi à convaincre mes amis du collège de venir le voir avec moi c’est finalement avec mes parents que je pus le découvrir sur grand écran. L’effet opéra tout de suite sur moi tout entre respect de l’esprit de Goscinny, humour potache des Nuls et références cinématographiques. Passant là un excellent moment j’ai voulu par la suite continuer l’expérience en salle seul ou avec des copains sur d’autres comédies du type Le boulet, La beuze ou 3 zéros. Désolé. 

Bref n’ayant aucune connaissance cinéphile dans mon entourage à l’époque, je me « formais » comme je le pouvais. En voulant toujours plus, période Ciné Live oblige, je regardais en boucle les bandes-annonces proposées sur leur cd-rom offert chaque mois (avec celle, fameuse, de Spider-Man de Sam Raimi avec la toile d’araignée entre les deux tours du World Trade Center), je lisais tout ce que je pouvais trouver sur les prochaines sorties et j’allais de plus en plus régulièrement au cinéma avec ma cousine et son copain. Grâce à eux, j’ai eu la chance de découvrir les Spider-Man, Hulk, Signes, K-19 etc…et avec les copains Matrix, Le seigneur des anneaux, Les indestructibles et beaucoup d’autres. Cela s’améliore hein ?! Au lycée, quelques temps plus tard mon professeur d’arts plastiques m’initia à Terry Gilliam, Alfred Hitchcock et surtout Stanley Kubrick. De mieux en mieux.

Mais mon premier vrai choc de cinéma, de mise en scène, arriva par le support dvd, avec un titre bien en particulier. N’y connaissant rien de rien au cours de mes premiers achats je me fiais pas mal aux jaquettes. Ainsi ma toute première galette digitale fut Escrocs mais pas trop de Woody Allen. En vinrent quelques d’autres, Amélie Poulain de Jean-Pierre Jeunet par exemple, jusqu’à littéralement tomber sur ce qui est encore aujourd’hui mon film préféré : Casino de Martin Scorsese. Le packaging était vraiment beau, bien foutu et attirait l’œil avec son fond noir et sa police scintillante. Comme quoi le marketing ça peut créer des vocations. Le film sonnait en moi comme jamais par son coté amour impossible et autodestructeur et je fut estomaqué par sa mise en scène baroque qui condensait sur trois heures 100 ans d’histoire du cinéma. Je compris là véritablement toute l’importance du statut de réalisateur et deviens fou des acteurs en général. 

Premier choc, c’est l’explosion et le cinéma n’allait plus me quitter.

Courant tel un drogué après son premier rail de coke et tirant plusieurs fils de la pelote Scorsesienne, car c’est ça la cinéphilie en fait faire des connexions, je sautais de filmographie en filmographie, j’allais de découverte en découverte principalement américaines. Scorsese donc mais aussi Spielberg, Coppola, De Palma, Mann, Tarantino, Dante, Cameron et les autres. 

Je voulais tout voir, tout lire, tout connaitre, tout apprendre et déjà je voulais transmettre ma passion aux autres. J’ai surtout franchement soulé tout le monde avec des phrases du type « il faut à tout prix que tu vois Voyage au bout de l’enfer de Michael Cimino ! ». Je ne parlais que de cinéma mais je n’avais pas grand monde avec qui partager ce trop plein d’informations mise à part quelques professeurs. Je me rappelle encore des discussions que l’ont a pu avoir avec ma prof d’histoire à propos de Bruce Willis et de sa carrière déjà déclinante. Ce papier me permet ici de les remercier. 

Puis vint le temps de la fac, de cinéma forcément, mais qui ne m’apprit pas grand-chose, le fait de structurer sa pensée, peut-être, ainsi que le cinéma de John Carpenter que je vis en deux/trois jours seulement. C’est déjà pas mal. Là-bas j’ai enfin pu rencontrer des élèves fous de cinéma comme moi, débattre et échanger avec eux autour de notre passion commune, les films. N’avoir qu’une ou deux heures de cours et rester quand même toute la journée à discuter jusqu’à plus soif de cinéma à la cafétéria.  Des élèves qui sont devenus avec le temps des amis très proches, une deuxième famille sur qui compter même et que vous pourrez lire très vite dans cette belle collection de souvenirs. Les connaitre aussi bien que moi je les connais. 

Comme vous avez dû le comprendre j’ai un rapport assez mélancolique avec le cinéma. Et c’est parce que je voulais encore et toujours transmettre ma passion au plus grand nombre et continuer mes discussions avec eux que j’ai crée l’émission de radio Supergrave. Au fond enregistrer et diffuser sur les ondes ce que l’on disait de drôle et de passionnant dans cette fameuse cafétéria ouverte que pour nous. Conserver quelque part une trace de nos discussions animées, parler de nos metteurs en scène préférés et perpétuer ainsi notre amitié. Rester encore un peu plus ensemble tandis que la vie nous appelle tous à droite à gauche. D’où ce choix de titre pour l’émission, un film hilarant et touchant qui ne parle que de ça.  Un ami cinéphile a compris ça et m’a dit un jour que j’étais le ciment de la bande. Je compris alors que je n’étais plus seul et que ma place était trouvée. Par le cinéma, avec le cinéma.

Même si nous avons tous évolué l’émission continue encore aujourd’hui de par leur talent et leur générosité envers moi et nos auditeurs. Celle-ci continuera encore tant qu’elle le pourra de quelle que manière que ce soit. Pour transmettre, être des passeurs à notre petit niveau, défendre et partager ce que l’on aime et qui nous définit en tant que cinéphile. Dis-moi ce que tu vois, je te dirais qui tu es. Je n’ai pas toujours réussi à transmettre cette passion, ce virus mais je dois reconnaitre que je suis assez fier de l’avoir fait au moins une fois auprès de l’un de mes amis les plus proches. Un lecteur, comme moi à la base, mais qui suit aujourd’hui son propre chemin, qui possède son propre regard dans le vaste champ de la cinéphilie. C’est ça aussi être cinéphile : c’est rester ouvert à tout, être curieux de tout. Parfois bien malheureusement on l’oublie, moi le premier, on se met des œillères, on reste dans ses acquis, dans ce que l’on connait déjà. S’avachir dans la conformité comme l’a écrit Michel Audiard. Par sa fraîcheur cinéphile discuter avec lui me remet toujours sur de bons rails et me permet d’avancer toujours plus loin.

Un peu comme à la fin de Silence de ma boussole de toujours Martin Scorsese, je ressens moins le besoin aujourd’hui de revendiquer ma foi dans les films. Ma passion est en moi et je n’ai plus autant le besoin qu’avant de parler tout le temps de cinéma. Je n’ai plus le besoin de tout avoir sur support physique, de tout voir, de posséder tel ou tel goodies etc… Je regarde toujours beaucoup de films, peut-être même trop, le besoin de transmettre est toujours là mais dans un cadre qui a changé, un peu plus défini, plus structuré via mes podcasts et non plus dans ma vie de tous les jours. Voir des films, en parler avec mes compagnons de route de temps en temps et essayer de faire passer quelques idées auprès de ceux qui nous écoutent. Cela me va et ça me suffit.

Truffaut disait que le cinéma est mieux que la vie et pourtant à la fin de la sienne il a fini par changer d’avis. De toute façon l’un ne va pas sans l’autre : aimer le cinéma c’est aimer la vie et inversement. J’aime la vie et le cinéma. C’est beau comme du Lelouch.

J’écris ces quelques phrases au moment où la mienne va changer ou du moins évoluer. Ma folle passion rentrera dans une nouvelle phase qui sera différente mais je le sais tout autant fascinante.

Je vais devenir papa dans quelques mois. 

Ce sera un garçon. Nous venons de l’apprendre. J’ai hâte de rencontrer mon fils, j’ai hâte de le voir grandir et j’ai déjà hâte de lui donner le goût de cet art qui nous apporte tant. Je ne sais pas comment le cinéma va évoluer à l’avenir, personne ne peut le savoir dans cette époque trouble, mais je pense qu’il sera toujours présent d’une façon ou d’une autre. J’en suis sûr. Et j’espère qu’il aura autant de beaux et chaleureux souvenirs avec lui que moi j’ai pu en avoir. Des souvenirs qui me rappellent pourquoi j’aime tant le cinéma. 

Le partager avec ceux que j’aime. Voir avec ma grand-mère maternelle Le Bon, la brute et le truand à la télévision et The Blues Brothers en séance plein air avec elle depuis son balcon. Sourire en repensant au fait que ma grand-mère espagnole appelait Jean Gabin Pépé Le Moko car elle ne savait parler le français.  Rire tous ensemble en famille devant Oscar, Le Corniaud, La Grande Vadrouille, Rabbi Jacob, Hibernatus et les autres. Ne pas avoir pu rentrer enfant avec mes parents à une séance du Roi lion parce que la salle était pleine. Avoir peur des aliens pendant six mois parce que mon oncle avait eu la bonne idée de m’amener voir Independence Day à huit ans. Monter les marches du festival de Cannes à 2O ans. Faire WOW au même moment avec mes amis à la première séance d’Avatar et où l’on voit des kilomètres de profondeur de champ avec la 3D dans le vaisseau spatial. Serrer la main de Martin Scorsese, échanger deux mots avec Jean-Paul Belmondo, voir Clint Eastwood passer devant moi, danser avec Quentin Tarantino, Guillermo Del Toro qui me prend dans ses bras etc…tout ça en festival. Voir au cinéma en guise de premier film en amoureux Lîle aux chiens de Wes Anderson avec ma chérie. 

J’ai hâte d’en avoir de nouveaux avec lui en lien avec le cinéma. Le tout premier film qu’il verra, le voir s’émerveiller devant des images qui bougent sur un écran plus grand que nous et entendre ses rires devant des Chaplin, Keaton ou De Funès éternels. 

Transmettre encore et toujours avec les moyens qui sont les miens.

En tout cela je crois finalement que je suis cinéphile.  

Rafael Lorenzo

Propos recueillis par Yoan Orszulik, vous pouvez retrouver Rafael Lorenzo via l’émission Supergrave disponible sur Mixcloud, SoundCloud et YouTube.

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