Aujourd’hui c’est Adrien Spena dit « Luigi », membre de l’association Les 42 Grenouilles qui réalise des courts-métrages amateurs, qui évoque différents souvenirs de tournages, mais surtout les heureux hasards que l’on peut être amené à vivre quand on est passionné par le cinéma.
Une chaude journée de Septembre 2004, près de Chambéry en Savoie, j’avais, une fois n’est pas coutume, raté mon bus pour le lycée.
Arrivé au bout de ma rue, je manque de passer sous les roues d’un poids lourd. Le chauffeur s’arrête pour s’excuser, et je remarque sur le côté de la remorque une inscription : « Camion régie ». Cela faisait quelques années déjà que le cinéma me passionnait, et j’ai donc tout naturellement demandé sur quel tournage il se rendait. Il me rétorque que ça tombe bien, il est paumé et ne sait pas par où passer pour accéder au cimetière de Barberaz. Le plus naturellement du monde, je lui réponds que je serais très heureux de monter avec lui pour lui donner les indications, vu que c’est un peu compliqué, quand même.
En montant dans la cabine, le chauffeur très sympathique commence à lancer la conversation. Je réponds des banalités en lui indiquant le chemin, sans vraiment lui prêter attention. Dans ma tête, j’imaginais des stars hollywoodiennes, des décors fous, des grues, et des explosions. Dans un cimetière. Bien sûr.
Arrivés à bon port, il m’intime de descendre et gare son camion. Une jeune femme s’approche de moi, et me demande ce que je fais là. Je luis explique avoir indiqué le chemin pour le camion régie, et très gentiment elle m’invite à la suivre. Elle, c’était la régisseuse générale. Elle m’emmène un peu plus loin, où s’affairaient une quarantaine de personnes. Des électros, des machinistes, des assistants caméras… et là, assis sur leurs chaises respectives, se trouvaient André Dussollier, Catherine Frot, et Pascal Thomas. La régisseuse, Céline, me demande de rester dans mon coin, car ils s’apprêtaient à tourner une scène. Tout le monde se concentre, et le troisième assistant s’approche de la caméra avec son clap, et annonce : « Mon petit doigt m’a dit, scène 42 sur 1B, première ».
J’ai passé une journée entière avec eux, et ce fut la plus belle journée de mes années lycée. Malgré le coup de fil énervé de ma mère, malgré les deux heures de retenue que j’ai chopé le lendemain. Rien de tout ça ne m’importait. J’avais trouvé ma voie.
Je me lançais donc l’année suivante dans les études, en BTS audiovisuel, près de Lyon. Deux années magiques, ponctuées de stages passionnants et de rencontres qui allaient marquer mes premières années professionnelles.
A l’obtention de mon diplôme, je commence à travailler. Pour France 3 d’abord, sur des tournages de plus ou moins bonne facture, de Plus belle la vie en passant par Louis la brocante ou Fabien Cosma. Puis en 2008, je reçois un coup de fil de Céline, ma régisseuse providentielle qui m’a ouvert la voie : elle a besoin d’un assistant caméra pour trois semaines, sur un film de Philippe Godeau. En plus, le tournage se passe en Savoie, ma patrie de naissance. J’accepte, et là je rencontre François Cluzet, et Michel Vuillermoz. Le Dernier pour la route fut mon dernier tournage en tant que technicien, la vie faisant que je dû m’éloigner des plateaux.
Quelques mois plus tard, je suis devenu projectionniste. Une manière de continuer à vivre de ma passion. Dans ma cabine, dans le brouhaha et la chaleur des projecteurs, j’ai décidé d’écrire un film. J’y ai mis toutes mes névroses, mes espoirs et mon humour.
En allant à Paris pour caster mon actrice principale, je suis abordé par un homme dans le TGV. Je ne l’ai pas reconnu tout de suite. Il me dit avoir un bon souvenir de moi, et me demande ce que je fais en ce moment. Nous avons discuté pendant tout le trajet, et il m’a donné des conseils pour mener à bien mon projet de film. Le train arrive en gare de Lyon, nous sortons sur le quai.
« A bientôt Adrien, Bonne chance pour la suite ! »
« Merci monsieur Cluzet, pour tous vos bons conseils ! »
« Tu peux m’appeler François ».
Deux mois plus tard, je réalisai ce qui restera à ce jour mon unique film, La liste d’attente. Un court-métrage de 27 minutes, bourré de défauts, mais qui a le mérite d’exister, et de m’avoir permis de me réaliser moi-même.
Aujourd’hui, je ne suis plus dans le cinéma. Mais je n’ai jamais abandonné cette passion qui m’anime. Je fais partie d’une association qui réalise des courts-métrages amateurs, et je mets un point d’honneur à transmettre ma passion et mon expérience aux intéressés.
Il est là mon rapport avec le septième art : pourquoi se contenter de regarder les histoires des autres, alors que l’on pourrait créer et vivre les nôtres ? Tout est dans la transmission, tout est dans le partage. Aujourd’hui je suis marié, j’ai des responsabilités dans mon travail, mais je suis toutes les nuits l’œil dans un objectif et la tête dans les étoiles. Je réaliserai un autre film un jour. Je n’ai qu’à choisir parmi les huit scénarios que j’ai écrits, et à retrouver la flamme qui m’a poussée à entreprendre le projet fou de poser mes rêves sur la pellicule. Enfin maintenant, sur un disque dur.
Adrien Spena
Propos recueillis par Yoan Orszulik, vous pouvez retrouver Adrien Spena sur Facebook ainsi que ses travaux sur YouTube via son court-métrage La Liste d’attente et la chaine de l’association Les 42 Grenouilles.