Aujourd’hui c’est Loris Hantzis, rédacteur pour les revues La Septième Obsession et L’écran Fantastique, qui revient sur son rapport personnel au 7ème art. Une passion perçue sous un prisme quasi mystique, où la croyance fédératrice en des images fictives côtoie la transmission du savoir.
Il y a cette scène dans Hugo Cabret de Martin Scorsese où les deux enfants s’infiltrent dans un cinéma. Le garçon crochète la serrure d’une entrée interdite et Chloë Grace Moretz, visiblement inquiète, lui dit : « On pourrait avoir des ennuis ! », à quoi il répond : « C’est à cela qu’on sait que c’est une aventure ». Ils s’immiscent dans la salle et y découvrent, ébahis, émerveillés, Harold Lloyd s’accrochant aux aiguilles de la pendule d’un building. J’ai beaucoup pensé à cette scène au fil des années. Je crois qu’elle a bouleversé mon rapport au cinéma pour une raison simple : ils auraient pu s’asseoir devant le film muet le plus lamentable de l’histoire comme devant un grand Chaplin, l’effet aurait été le même. Les images bougent, les personnages crient, pleurent, c’est drôle, touchant, tétanisant. Le cinéma, dans son expérience primitive – celle de l’enfant, celle de l’aveugle qui voit pour la première fois – est forcément incroyable, fascinante, forcément magique.
J’essaie, depuis, de retrouver la pureté de cette virginité cinématographique. J’essaie sincèrement d’aimer tous les films. Je n’écris pas de critiques négatives, et je ne discute pas ou peu des œuvres qui ne m’ont pas émues. « La critique est l’art d’aimer » écrivait Jean Douchet, figure paternelle de La Septième Obsession. Je crois à cette idée comme à une religion. Si l’on a l’immense prétention de demander à quelqu’un de dédier du temps à nous lire ou nous écouter, il faut lui vanter la beauté. Poétiser nos ressentis, trouver dans ces récits, ces personnages, des leçons de vie qui lui permettront d’élargir son point de vue et d’élever son âme. Donner des clefs de lecture, donner envie d’approfondir son imaginaire, conduire l’autre vers plus de compassion à travers le cinéma. Ce sont là des missions ô combien louables qui me motivent à passer des heures sur un article qui ne mettra pas à manger dans mon assiette.
Je pense que le cinéma est l’art de la compassion. Plus qu’aucun autre, il nous permet d’embrasser toutes les subjectivités. Dans sa globalité, le cinéma est un constant rappel à ce qui nous rend humains : l’amour, la colère, la haine, le deuil, le regret, chez tous les êtres, de toutes les couleurs, tous les genres, à travers toutes les contrées. Lorsque je regarde l’évolution de mon regard sur le cinéma, je vois à quel point il s’entremêle à l’évolution de ma Foi. Croire dans le pouvoir de l’art est similaire à la croyance religieuse, c’est un acte un brin désespéré dont beaucoup se moqueront, mais qui démultiplie notre empathie et donne l’envie, le devoir même, d’apporter sa pierre à l’édifice, de faire quelque chose.
Mes grandes fiertés de ce métier auront été de rencontrer et vanter les films de Lucky McKee que je considère comme l’un des plus grands cinéastes de sa génération. Discuter avec mes cinéastes favoris, faire signer mon poster de Bullet Ballet à Shin’ya Tsukamoto comme le dernier des fanboys. De toute façon, chaque article publié, chaque interview est surréaliste lorsqu’on est issu de la classe populaire où le cinéma est une planète lointaine et les réalisateurs des demi-dieux inaccessibles. Demander conseil à Guillermo del Toro pour une scène de mon premier court-métrage, m’investir à fond pour faire découvrir des œuvres qui me sont chères comme Swallow ou The Nightingale. Le cinéma est toute ma vie, je peux le dire sans cynisme.
Il faut aimer, c’est tout ce qui compte. À la scène d’Hugo Cabret, j’ajouterais celle des Voyages de Sullivan de Preston Sturges où les prisonniers, fers aux pieds, sont accueillis dans une église. Le pasteur noir chante « Let my people go » et on vient éteindre les lumières et projeter un Disney. Le personnage principal, à ce moment au fond du trou, peine à comprendre l’enthousiasme de la salle. Et puis, il se laisser aller, oublie ses problèmes, et réapprend à rire. Toute la dimension fédératrice du cinéma comme art populaire est contenue dans cette scène, tout le pouvoir d’un regard primitif, naïf, toute sa puissance salvatrice.
L’art est fait pour être aimé alors aimons-le, chérissons-le, célébrons-le.
Loris Hantzis
Propos recueillis par Yoan Orszulik, vous pouvez retrouver Loris Hantzis dans les revues La Septième Obsession et L’écran Fantastique.