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Souvenirs de Cinéma #18 – Clémence Michalon

Aujourd’hui c’est Clémence Michalon, travaillant dans les ventes internationales de films pour The Party Film Sales qui revient sur son parcours éclectique à plus d’un titre. D’une enfance bercée par son père cinéphile, aux plus grands festivals de cinéma internationaux, en passant par les coulisses d’un métier méconnu mais essentiel dans la vie d’un film. 

Je suis un peu madame tout le monde à l’échelle des cinéphiles.

Je viens d’une famille dans laquelle le cinéma est avant tout quelque chose de distrayant. Quand j’étais petite je ne regardais pas souvent la télévision et les films que je regardais étaient plutôt des dessins animés Disney. En ce qui concerne la salle de cinéma, j’y allais plutôt, bien qu’occasionnellement, avec ma maman qui aimait beaucoup les comédies romantiques de Richard Curtis avec Hugh Grant (et moi aussi !). En revanche mon père était assez cinéphile, très orienté action-sf, et disposait d’un Home Cinéma, du coup je regardais beaucoup de films chez lui. Il m’arrivait d’en regarder certains par l’entrebâillement de la porte, mais dans l’ensemble j’étais autorisée à les regarder avec lui assise dans le salon. Mon père ne se préoccupait pas vraiment de savoir si j’avais l’âge requis. Bien que peu impressionnable, j’avais pourtant été traumatisée petite par Blanche Neige et les sept nains qui fait que je ne suis toujours pas prête à revoir le film aujourd’hui. Il y eut plus tard Event Horizon: Le vaisseau de l’au-delà, découvert vraiment trop jeune. Mon père me rappelle souvent que je l’avais un peu cherché, puisque à l’époque j’étais fan de Buffy contre les vampires, qui ne joue pas vraiment dans la même catégorie de frayeurs, mais qui était censée être interdit au 10-12 ans, du coup je pensais que je pouvais également voir ce long métrage. J’ai vite déchanté. Je me souviens d’un enregistrement vidéo où l’on voit un homme s’arracher les yeux, ainsi qu’un gamin avec les jambes écartelées. Il y avait une sensation d’horrible mosaïque qui se dégageait de cette scène, j’hurlais. Ces deux longs métrages sont des souvenirs traumatisants, mais à part ceux là j’ai toujours regardé des films au contenu adulte sans trop de problème. 

Par la suite j’ai découvert en dvd ce qui reste mon film préféré à ce jour : Kill Bill de Quentin Tarantino. Je pense que du haut de mes 11 ans il devait y avoir un phénomène d’identification très fort, de voir une héroïne dans un film d’action pour lequel j’avais déjà une appétence mais de fait en rupture  totale avec mon enfance et l’animation Disney. Cependant la plaque tournante de ma cinéphilie c’est lorsque mon demi-frère m’a calée à 13 ans devant Pulp Fiction. Je me souviens l’avoir vu en deux fois. Je m’étais endormie un peu avant la fin car on l’avait regardé très tard, lorsque je l’ai revu une seconde fois le même week-end c’est le travail sur la temporalité qui m’a bluffée, je me suis rendu compte que le cinéma constituait un art à proprement parler. Pour moi, avant ça, un film c’était juste raconter une histoire, on regardait un film avec un début, un milieu et une fin ; pouvoir jouer avec la temporalité du récit c’est quelque chose qui m’a marquée. 

Ma passion pour le cinéma a vite grandi. Je suis de Lyon, j’ai grandi en ville jusqu’à mes 12 ans, âge auquel j’ai déménagé à la campagne avec ma mère, un véritable désert cinématographique et artistique. Du coup, même après ma découverte de Pulp Fiction, le cinéma restait avant tout un phénomène social, je ne me souciais pas encore trop de ce que j’allais voir, c’était quelque chose pour se retrouver lors de mes premières sorties entre amis. En revanche j’ai très rapidement développé une appétence pour le cinéma derrière mon ordinateur portable. J’ai découvert de nombreux chefs d’oeuvres sur mon petit écran. J’ai une vraie nostalgie par rapport à mon adolescence, c’est une période que j’ai adoré du fait que j’ai vécu de superbes souvenirs avec ma bande de potes, au point que j’ai beaucoup de sympathie pour les films sur cette période de la vie. Supergrave, est un peu la perle de ces films là, le scénario est parfait, hyper structuré, au point que cela m’émeut. Je revois un peu mes amis à cette époque, voir ce trio de losers essayer de choper une fille avant l’été me parle beaucoup. Par extension, les productions Judd Apatow et les films de John Hughes fonctionnent plutôt bien sur moi.  

L’autre événement fondateur fut l’été de mes 15 ans. J’étais partie aux États-Unis, je suis restée un mois et demi là-bas. Ma correspondante me faisait voir beaucoup de choses ne serait-ce que pour la langue, au point que je suis devenue quasiment bilingue. Dans sa chambre elle avait sa propre télé et sa propre collection de dvd et j’ai vu beaucoup de films de gangsters et de thrillers psychologiques cet été là. J’ai aussi découvert une liberté de mouvement assez liée à leurs habitudes de consommation. Les cinémas sont ouverts tout le temps, on peut passer le permis dès 14 ans et prendre sa voiture pour s’y rendre. Il y avait également les magasins Blockbuster qui ont disparu avec l’arrivée des plateformes de streaming. Je me souviens y être allée à plusieurs reprises à 3h du matin pour louer des films avec ma correspondante et enchainer des nuits blanches. Par ailleurs elle prenait sa voiture et m’emmenait regarder des films chez ses amis le soir au point que nous restions sur place jusqu’au lendemain. C’était fou comme expérience. À mon retour en France j’ai remarqué que j’étais la plus cinéphile de mes amis au point que je choisissais le film lors de la plupart de nos soirées ciné. 

Cependant le cinéma était encore une passion secondaire. À 12 ans je voulais être journaliste politique avant que ma passion pour la musique ne m’oriente vers le journalisme culturel. Je voulais faire de la radio ou de la presse écrite et je ne pensais pas du tout faire carrière dans le cinéma, je ne savais d’ailleurs pas du tout ce que ça impliquait ou comment ça marchait. Quand je suis entrée en prépa Sciences Po avec l’idée de devenir journaliste, il se trouve que l’on parlait beaucoup de cinéma notamment en cours d’Histoire pour contextualiser des événements. Je me suis rendu compte que j’avais un réel avantage là dessus car j’avais déjà vu ou entendu parler des films évoqués en cours. À mon sens, ça a été un élément différenciateur par rapport aux autres étudiants, au point que j’ai su assez tôt que je pouvais me professionnaliser dans ce secteur. 

Par la suite j’ai fait un séjour Erasmus à Rome, j’en ai profité pour revoir La dolce vita ou Vacances Romaines, et prendre des cours de cinéma. Le curriculum de films à voir était impressionnant, j’ai vu pas mal de classiques cette année là, notamment du mouvement néo réaliste, des westerns spaghetti et j’ai fait un premier stage dans le milieu du cinéma, au Festival de Rome puis en exploitation. J’ai été très marquée par ma visite de Cinecittà, ces studios ont une histoire de dingue que tout le monde semble avoir oublié. J’ai toujours une vision romantique de Rome, je ne ressens pas de décalage comme lorsque que l’on regarde des films américains se déroulant à Paris. Lorsque je suis rentrée en France j’ai eu un gros sentiment de nostalgie en découvrant La Grande Bellezza, en reconnaissant mon bus qui traversait l’écran. 

À mon retour je me suis insérée dans un Master culturel : « Stratégie des enjeux culturels internationaux » . Je voulais avoir un bagage un peu plus fort sur l’aspect culturel, mais l’étiquette internationale était un peu une arnaque, nous avions des cours sur des ères géographiques où il ne se passait pas grand chose et sur lesquelles il n’y avait pas d’angle particulier. Il y avait des cours de Droit ou d’économie du cinéma mais l’ensemble était très axé sur le spectacle vivant. J’ai fait un premier stage d’études en ventes internationales avant de reprendre une année d’études en école de commerce avec un Master dédié à l’audiovisuel. Je me suis questionnée pendant un moment sur la production parce que j’ai toujours eu un fort attrait pour le développement de scénario, mais finalement je suis restée dans les ventes parce que c’était le domaine du stage que j’avais trouvé et celui où je me sens le mieux au final. 

Mon 1er stage en exploitation pour Les Cinémas Gaumont-Pathé s’était très bien déroulé. J’y ai appris le métier de Community Manager et l’ambiance était sympa mais je me suis vite aperçue que ce n’était pas le secteur dans lequel je souhaitais vraiment travailler. Durant ma dernière année à Sciences Po on m’avait proposé de rentrer dans le bureau des cinéphiles de l’école. C’est à ce moment là que j’ai commencé à me dire que si je voulais en faire mon métier, il fallait que je m’investisse d’avantage et que j’aie une vitrine. Par ce biais un des membres de ce ciné club m’a proposé de mener des entretiens pour un webzine, Le Mauvais Coton, axé sur la culture au sens large. Cela allait de la gastronomie à la musique, en passant par le cinéma. Lorsqu’il est parti à Paris pour son stage de fin d’études, il m’a proposé de le remplacer avec l’un de mes copains de promo pour mener les entretiens au Comoedia de Lyon qui accueillait souvent des avants premières. C’est dans ce cadre que j’ai fait mes premières projections presse ainsi que mes premiers entretiens avec les cinéastes et les talents qui y passaient. Cela me permettait de me professionnaliser tout en enrichissant mes connaissances, en parallèle j’ai commencé à m’intéresser aux ventes internationales. En 2014 j’étais retenue pour faire partie du jury des Venice Days de la Mostra de Venise. Il s’agit d’une des sélections parallèles, un peu l’équivalent de la Quinzaine des réalisateurs à Cannes, organisée notamment en partenariat avec Europa Cinemas, un réseau de salles art & essai européennes, dont fait partie le Comoedia. Chaque année le réseau Europa Cinemas envoie un appel à candidatures via 3 salles par pays européen. Chacune d’entre elle soumet la candidature de quelques personnes pouvant faire partie du jury composé de 28 jeunes de l’Union Européenne. Le Comoedia avait soumis la mienne et celle de mon ami de promo avec qui je faisais les interviews. À Venise j’ai rencontré plein de gens d’horizons très différents avec des gouts très pointus, certains voulaient devenir réalisateurs ou scénaristes et avaient déjà un univers bien à eux.

Vu qu’il me fallait un stage pour l’année suivante, j’étais déjà dans l’optique de trouver quelque chose. J’avais demandé à l’une des organisatrices des Venice Days si je pouvais visiter le marché du film, qui n’en est pas vraiment un, puisqu’il s’agit surtout d’un marché de coproduction plus que de vente mais à l’époque c’était encore un entre deux. J’y ai vu des gens faire ce que je fais aujourd’hui, parler de financement, de vente, et ce fut un peu une révélation, cela alliait mon intérêt pour l’économie du secteur et l’événementiel. D’autant que cela se passe durant un festival avec toute l’énergie et l’adrénaline que l’on y dresse. Je me suis dit que c’était ce que je voulais faire, le fait qu’il s’agissait d’un environnement relativement méconnu du grand public rendait la chose encore plus attrayante pour moi.

Ça me parait toujours assez fou de s’intéresser à un film sans chercher à connaitre sa genèse, ses tenants et ses aboutissements, notamment d’un point de vue économique, alors qu’il s’agit d’un des domaines les plus passionnants que j’ai pu étudier et côtoyer. En tant que vendeur français on est mandaté par un producteur pour exporter son film à l’international, évidemment en tant que vendeur art et essai, il y a un aspect coup de coeur, défendre des films auxquels on tient, même s’il y a forcément une logique de rentabilité commerciale. Il faut trouver des films qui puissent se vendre. Il y a deux branches dans les ventes internationales. La partie ventes à proprement parler : vente aux distributeurs, aux télévisions, aux plateformes etc.. et la partie festivals. Je suis rentrée dans ce métier par cette porte-là. Travailler avec des festivals m’a beaucoup apporté et j’ai adoré ça. Par la suite j’ai aussi fait des ventes TV et maintenant je suis vendeuse « Tous Droits », mes clients sont des distributeurs étrangers sur un large panel de territoires.

Je suis beaucoup partie à l’étranger, mais en ce moment tout est en pause. J’aurais du me rendre dans certains pays d’Asie mais la pandémie a changé la donne et comme tous mes collègues vendeurs, j’ai fait une croix sur Hong Kong et Busan. À l’heure où l’on multiplie les marchés en ligne, j’ai un peu peur que les marchés les moins importants soient oubliés de notre calendrier de déplacements et qu’on se retrouve à les faire en ligne uniquement. 

Au cours de ma courte carrière il y a des films que j’ai pris énormément de plaisir à défendre. Manta Ray de Phuttiphong Aroonpheng était vraiment mon « bébé ». J’aimais déjà beaucoup le film et nous n’étions à l’époque que deux au sein de l’équipe des Ventes. Mon responsable était en vacances durant l’été, du coup je me suis occupée de tout le marketing et du lancement à Venise en travaillant nuit et jour avec les producteurs en Thaïlande et en France. Il y a également eu Félicité de Alain Gomis, film pour lequel notre société Jour2Fête a assuré la première à la Berlinale en 2017 et auquel j’ai pris part en travaillant main dans la main avec une équipe formidable. Idem pour La Belle et la meute de Kaouther Ben Hania qu’on a lancé au Festival de Cannes quelques mois après. 

Pour la jeune structure que nous étions, signer des auteurs qui se lancent dans une grosse carrière de festivals à Cannes, Berlin et Venise fut très important, ainsi que pour moi. Par ailleurs je m’entends très bien avec la grande majorité de mes acheteurs et clients, le relationnel est ce que je préfère dans ce métier. Pendant les festivals je traine beaucoup avec mes amis blogueurs et journalistes notamment étrangers, là on ne parle pas de stratégie de distribution ou de prix de vente, juste des films. J’ai besoin de m’entourer de gens qui me font découvrir des choses et qui me donnent envie de redécouvrir cette appétence, cette boulimie pour la culture, et à l’inverse je suis contente quand je peux partager mes témoignages de cinéma, les films auquel je tiens, d’être dans la transmission. Dans les coups de coeur qui me définissent il y a notamment La La Land, un des rares longs-métrages que j’ai vu plus d’une fois au cinéma hors projection en festival, avec certains Star Wars, ce qui est un fait notable. Je n’ai jamais autant pleuré devant un film, je n’arrête pas c’est des torrents de larmes à chaque fois. Ça a l’air d’une Rom-Com comme ça, mais les gens qui s’aiment et qui ne peuvent pas être ensemble, moi, ça me bouleverse à chaque fois. 

J’aime beaucoup aller au cinéma toute seule ce qui contraste forcément avec ce que j’ai pu raconter jusque là mais j’aime être seule avec mes émotions et mon ressenti, et égoïstement, un film que j’aime deviendra un peu « mon » film. Je crois que le cinéma restera à jamais mon marqueur identitaire. 

Clémence Michalon

Propos recueillis par Yoan Orszulik, vous pouvez retrouver Clémence Michalon sur Twitter.

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