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Souvenirs de Cinéma #1 – Guénaël Eveno

Aujourd’hui Furyosa inaugure une nouvelle rubrique, Souvenirs de Cinéma, dans laquelle des personnalités issues de divers horizons ont carte blanche pour évoquer leur passion du 7ème art. Pour démarrer cette vague de souvenirs cinématographiques c’est Guénaël Eveno, rédacteur sur L’ouvreuse.net, La revanche du film et Les Chroniques du Tardis, qui nous fait l’honneur de revenir sur cette aventure personnelle.

J’ai l’impression que le cinéma a toujours fait partie de ma vie. Mais en vérité, il a mijoté un sacré bout de temps. Avant le lycée, il n’y avait que la musique, la radio et l’écriture, et tout le reste était accessoire, y compris les séries. J’aimais assez les dinosaures pour écrire un court article sur Jurassic Park dans le journal du collège, mais seulement après sa sortie en VHS. Mes premiers pas dans une salle obscure remontent à ma quatorzième année, puis il a fallu attendre un an plus tard pour renouveler l’expérience (un blockbuster patriotique avec des aliens et Will Smith). Aussi impressionnantes qu’aient été ces deux expériences, elles avaient besoin d’une série d’événements dans un mouchoir de poche pour franchir le premier cap : le visionnage de Braindead et la forte émulation autour des premiers films de Peter Jackson, la découverte du magazine Mad Movies avec une tête d’alien burtonienne sur sa couv’ et la découverte tardive au cinéma de la trilogie Star Wars. Un certain Terry Gilliam enfonça le clou quelques mois plus tard avec le monumental Brazil, une claque tellement stupéfiante que le film reste encore au top de ma liste vingt ans plus tard, en dépit de tout ce que j’ai pu manger depuis. Mad Movies, ses anciens numéros et ses nouveaux, et plus spécifiquement son numéro 100 commandé à la hâte, ont nourri la bête pendant des années. Parfois je m’autorisais un cinéma de minuit de Patrick Brion sur France 3 pour aller un peu plus loin que les frontières du cinéma de genre, des poussées timides, mais d’excellents souvenirs.

Les études choisies auraient pu être difficilement plus éloignées du cinéma. Heureusement, les salles obscures constituaient durant ces années encore une grande partie de mon temps. J’ai découvert Paris à travers ses salles de ciné, et il est probable que je n’aurais pas bougé vers la capitale si les films que j’aimais n’avaient été diffusés uniquement au Forum des Halles ou dans un obscur ciné de Montparnasse. Le cinéma a donc grandement contribué à briser mes tendances naturelles au repli et à la sédentarité, parfois violemment, mais la récompense était toujours à la hauteur. Il m’a aussi conduit vers une vie sociale beaucoup moins fermée qu’elle aurait pu l’être. Le Web 2.0 était déjà en place, mais je n’étais pas tombé dedans, faute de connexion dans la casa. Dès que celle-ci pointa le bout de son nez, je tapai hasardeusement ‘Mad Movies’ dans un moteur de recherche. Je découvrais que le magazine abritait un forum,  que non seulement il existait d’autres personnes qui partageaient cette passion à un niveau égal au mien, mais que j’avais encore du chemin à faire pour atteindre la cinéphilie de la grande majorité des gens qui peuplaient les lieux. Des gens qui, derrière leur avatar, étaient (et sont toujours) intelligents, drôles et généreux en conseils, et un brin frappadingues, comme le cinéma qu’ils aimaient. La gravité de ces lieux était irrésistible. Le bilan de plusieurs décennies de web est plutôt dramatique, mais il est nécessaire de se rappeler que cet outil, quand il n’était pas encore le monde réel, pouvait être un excellent catalyseur de découvertes, de rencontres et de créativité pour ceux qui ne rentraient pas dans le moule. Les échanges étaient rudes, mais bienveillants, et finalement aboutirent à des amitiés, puis des rencontres IRL à la boutique Movies 2000 et ailleurs. Parmi ces « madnautes », un certain nicco et un belge nommé Vendetta, qui allaient devenir un peu plus tard mes collègues de L’ouvreuse. 

Les premières années sur le forum Mad Movies et ses forums satellites ont été la fac de cinéma que je n’ai jamais faite. Elles ont abouties logiquement à un boulot à plein temps de « critique ciné » non professionnel. Cela tombait plutôt bien. Mon admiration inconditionnelle pour les frères Coen et David Lynch m’avait ouvert la porte d’une poignée de films noirs et de comédies classiques que je ne me lassais pas de re-découvrir, parmi lesquels l’immense Sunset Boulevard  de Billy Wilder. La découverte de la filmo de ce grand monsieur au talent encore inégalé, puis celle de son maître Ernst Lubitsch avaient excité mon envie d’aller regarder un peu plus en détail tout ce qui s’était fait encore avant ou ailleurs. Et il y’avait de quoi faire. À n’importe quelle époque depuis la sortie des usines Lumières, chaque film a raconté et continue de raconter énormément de choses. En visitant une filmo, il y’a le plaisir de sauter d’un film à l’autre d’un réalisateur et à chaque nouvelle occurrence, de mieux saisir ses intentions. Mais un film n’est pas uniquement une partie d’une oeuvre, ni uniquement des influences, ni uniquement ce pour quoi il a parlé au spectateur, ni uniquement un choc visuel. Toutes les époques de cinéma possèdent leurs chefs d’œuvres, des pièces uniques qui ont su exploiter parfaitement un contexte historique, un système de production, une géographie particulière (l’Australie est un modèle à ce niveau depuis les 70’s) et parfois même des contraintes (Evoquant Lubitsch, l’écriture allusive des comédies hollywoodiennes des années 30/40 n’aurait pas été aussi savoureuse sans le code Hays). Le cinéma brasse une multitude de matières. Il est un point d’entrée à une multitude de connaissances générales. Derrière l’œuvre, il y’a aussi le tournage qui peut être une aventure aussi passionnante que le film. Ceux qui en doutent doivent lire la biographie en deux tomes de Michael Powell (Une vie dans le cinéma et Million dollar Movie). Le réalisateur britannique était venu au cinéma pour l’aventure que les tournages procuraient et sa carrière en fut une belle illustration durant près d’un demi-siècle.

J’aurai pu tomber sur un site web qui privilégie la quantité sur la qualité, les news sur l’analyse, la pub sur le contenu. Un tel site n’aurait pas été un moteur dans cette exploration. Sans réelle ligne éditoriale (on écrivait sur ce qu’on voulait), L’ouvreuse fonctionnait sur le seul consensus de son exigence sur le fond. Le but était d’apporter une valeur ajoutée dans le grand réservoir de connaissance qu’était internet, le tout sans trop se prendre au sérieux. Je pouvais fouiller dans l’Histoire du cinéma et partager mes expériences avec le plus grand nombre grâce aux rétroprojections, à mon rythme et dans des articles parfois développés sur plusieurs semaines. À certains moments, cette activité non rémunérée (il en était hors de question) me prenait autant de temps, voire plus, que mon travail, débordant même sur d’autres sujets qui ne donnaient pas lieu à des articles.  Mais il n’y avait pas que le passé. Bientôt, L’ouvreuse devenait influente – un terme horrible auquel il faudrait s’habituer. Cela lui permettait de distribuer quelques accréditations à ses boys, qui n’avaient pas pour autant attendu ce coup d’envoi pour coloniser l’Étrange Festival, la villa L’ouvreuse de Gérardmer, la nuit excentrique de Nanarland, le BIFFF ou d’autres manifestations chronophages qui se multipliaient, de jour comme de nuit. Ces lieux restent de belles occasions de découvrir des films excellents qui ne sortiront pour certains même pas en vidéo ou en VOD dans nos contrées (cherchez un dvd ou un Blu-ray français de New Kids Turbo) ou d’assister aux premiers méfaits de ceux qui feront le cinéma de demain. Paris, à tout moment de l’année, reste le meilleur des festivals, pour les nouveautés comme pour les ressorties de films. Un paradis pour cinéphiles, comme je l’avais découvert bien plus tôt, et il continue de l’être lorsque le pays n’est pas sous confinement. Il suffit de regarder les affluences à la cinémathèque française ou dans les cinémas du quartier latin, même lorsque les mesures de distanciation doivent s’appliquer. Il y’a d’ailleurs des têtes qui reviennent. Tout un petit monde pour qui le cinéma est presque un besoin primaire. 

Il y’a deux dangers à éviter quand on est cinéphile sans limite de genres, d’origines et d’époques :  Le premier est de ne plus savoir doser et de passer sa vie dans les salles. Mais le cinéma n’a un réel intérêt, à mon sens, que lorsqu’il met en lumière autre chose que lui-même. J’évite également le binge. À quoi bon se gaver jusqu’à en avoir marre ? Le second est de ne plus considérer, à force d’en bouffer, que le cinéma est un sujet d’étude, de ne plus regarder un film qu’en pensant à ce qu’on écrira dessus, de ne plus recevoir de claques. Cela arrivera peut-être un jour, mais dans la mesure où ma dernière claque cinématographique date d’il y’a moins de deux mois, ce point de non-retour n’est pas encore atteint.

Les salles obscures sont une des seules choses permanentes dans ma vie depuis plus de deux décennies, et cela durera probablement tant qu’elles existeront. Elles sont de mon point de vue essentielles au cinéma. La répétition, l’envie de retrouver des personnages qui font partie de notre vie, un concept décliné à l’infini, des lieux ou un style familier, c’est ce qui créé l’intimité avec une série. Un film crée plus difficilement une intimité si toutes les conditions d’immersion ne sont pas réunies. Quel que soit la maîtrise du langage cinématographique de son réalisateur, le talent de son scénariste, l’habileté de son chef op’ ou de son compositeur à créer une ambiance ou la valeur ajoutée de ses effets visuels, dans des cadres où toutes les distractions sont possibles, il manquera quelque chose pour qu’il devienne une expérience pleine et personnelle. Je ne dis pas que des films importants ne peuvent pas naître sur une plateforme. Le superbe Mank de David Fincher peut aisément prétendre à ce titre et je ne doute pas que la prochaine perle de Pete Docter pour PIXAR suivra cette voie. Mais dans ces cas, la frustration au défilement du générique est proportionnelle à l’expérience perdue de la découverte en salles. Je ne dis pas non plus qu’une poignée de films ne peuvent pas se targuer de vous arracher instantanément à vos distractions et vous prendre dans leur vortex sur n’importe quel support et en n’importe quelle circonstance (Chaque été, je rematte Near Dark de Kathryn Bigelow et je me fais toujours avoir). Mais il sera plus difficile de donner une chance à la nouveauté sans entrer dans une salle de cinéma, s’asseoir et se laisser abandonner à un point de vue différent pendant près de deux heures. Puis sortir réaborder le monde avec une impression nouvelle. Tout ça vaut bien le coup de se déplacer et de payer un billet.

Guénaël Eveno

Propos recueillis par Yoan Orszulik. Vous pouvez retrouver Guénaël Eveno sur le site L’ouvreuse.net, sur le blog La revanche du Film et sur Les chroniques du TARDIS, site consacré à la série Doctor Who.

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