Aujourd’hui c’est Vincent Lluelles, ancien étudiant de l’ESRA et co-réalisateur du court métrage Les indomptés qui revient sur sa passion pour le cinéma. Une passion trouvant son origine dans le vidéo club du village de Cabriès dans le sud de la France et qui l’aura mené à rejoindre Paris pour pouvoir étudier le 7ème art et en faire son métier.
Je ne me souviens pas avoir rencontré le cinéma. Un peu comme un membre de la famille, il a simplement toujours été là. Le 7eme art a toujours été un fidèle compagnon, au point que je n’ai pas le moindre souvenir d’une vie avant lui. Si je devais néanmoins retracer le fil de l’histoire, tout cela remonterait alors au tout début des années 2000, dans un décor assez classique : un petit vidéo-club de village, chez moi à Cabriès dans le sud de la France. Un lieu incontournable de la vie villageoise, où l’on pouvait croiser à la sortie de l’école ses camarades de classe et leurs parents venus faire le plein pour le week-end. J’étais fasciné par les jaquettes de VHS et de DVD, par les affiches, par toutes ces promesses d’univers qui s’offraient à moi. Le vidéo-club, c’était la meilleure des agences de voyage. Je m’en rappelle comme si c’était hier : l’affiche de Titanic qui était encore restée scotchée à la porte, le distributeur de chewing-gums, le rayon des films d’horreur que je pourrai découvrir « quand je serai grand ». Je me souviens y avoir fait certaines découvertes fondatrices qui dessinaient déjà les contours de mes goûts et futures envies de cinéma : Starship Troopers, Jurassic Park, Last Action Hero, Le géant de fer… . Mais la découverte la plus forte de mon enfance et qui laissa une trace indélébile fut sans aucun égal Terminator 2 : Le jugement dernier. Et un moment précis fit l’effet d’une déflagration : le célèbre « Hasta la vista, baby » lancé par Schwarzenegger avant de faire éclater en morceaux le T-1000. Je me souviens que mon frère et moi avons hurlé et applaudi à ce moment-là. Ce fut mon premier vrai choc de cinéma. Le genre de choc dont on ne se remet probablement jamais, que l’on poursuit durant toute une vie de cinéphile en quête de la même sensation extatique. Bien évidemment, je ne théorisais rien de tout ça à l’époque, mais j’avais néanmoins le sentiment que je ne pourrais plus me passer de ça.

En parallèle du vidéo-club déjà en déclin, j’ai eu la chance de grandir à une époque assez formidable pour les sorties au cinéma. Le seigneur des anneaux, Spider-Man, Les indestructibles, La guerre des mondes… . Mais, comme beaucoup d’autres je crois, c’est à l’adolescence que j’ai commencé à bâtir ce qui pourrait commencer à ressembler à un début d’une insouciante cinéphilie. Grâce à mon père, j’ai pu découvrir à cette époque tous ces films que j’étais enfin en âge d’appréhender : Le Parrain, Les affranchis, Taxi Driver, Shining, Reservoir Dogs… Paradoxalement, si tous ces films eurent un impact incroyable sur moi, c’est à cette époque que je me détachais lentement du cinéma. J’avais d’autres centres d’intérêt ; le sport, les jeux vidéo… . Je continuais à regarder des films mais sans grande curiosité.
Il a fallu attendre quelques années pour que cette passion se réveille sans prévenir. J’étais au lycée. Je venais de me faire opérer des dents de sagesse et je devais rester à la maison, flanqué de deux grosses joues de hamster. Pour m’occuper, mon frère m’avait sorti plusieurs DVD auxquels je ne m’étais jamais intéressé. J’ai regardé beaucoup de films durant ces quelques jours de convalescence. Je ne m’en souviens d’aucun, sauf d’un. Un qui changea tout : Walk the Line, le biopic de Johnny Cash réalisé par James Mangold. Pourquoi ce film ? Je ne sais pas. Mais il fit renaître en moi toute la passion et l’émerveillement qui m’avaient habité plus jeune. Evidemment, j’avais certainement vu de bien plus « grands » ou plus « nobles » films avant, mais Walk The Line, qui est à mes yeux toujours un excellent film cela dit, eut un impact puissant et inattendu sur moi. Parfois, c’est juste le bon film au bon moment. J’ai compris que je voulais faire ça, faire des films. Je ne réussirais peut-être pas, mais au moins, j’essaierais. Alors j’ai commencé à m’y mettre sérieusement. A rattraper tout le retard que j’avais pris.
C’est à cette période, vers mes 17 ans, que je regardais le plus de films. Je complétais des filmographies, je lisais sur le cinéma, je faisais le cinéphage. J’étais aidé par ces passeurs géniaux qui arrivaient à mettre des mots sur ce que je ressentais et que je n’arrivais pas à traduire : Christophe Gans, Jean-Pierre Dionnet, Yannick Dahan… . Je me retrouvais dans leur vision du cinéma. Mais plus j’avançais dans mes découvertes, plus je complexais. Il y avait trop de films à voir, trop d’époques, trop de pays… . Je croyais que la cinéphilie était une grande ligne droite, une route bien tracée, en constante ascension. Je compris très vite qu’il s’agissait plutôt d’une forêt, dans laquelle il faut se frayer un chemin en inventant ses propres routes. Je mélangeais tout et j’aimais me perdre là-dedans. Je pouvais passer de Billy Wilder à Jackie Chan, de John Carpenter à Julien Duvivier en passant par Tsui Hark et Sam Peckinpah. C’est incontestablement durant cette période que je pris le plus de claques cinématographiques.

Galvanisé par toutes ces découvertes, je suis ensuite monté à Paris pour suivre des études de cinéma. C’est véritablement là-bas que j’ai goûté à ce que je pourrais appeler une « cinéphilie partagée », avec d’autres passionnés lors d’évènements mémorables : festivals, rétrospectives, masterclass… . Je me souviens d’une projection de La horde sauvage à la Cinémathèque dès ma première semaine à Paris. C’est ridicule, mais à l’époque, traverser Paris pour se rendre à la Cinémathèque relevait presque du pèlerinage pour moi. J’avais l’impression d’aller au cinéma pour la première fois. Je passais aussi beaucoup de mes soirées dans les salles du cinéma Les Fauvettes qui venaient de faire peau neuve. A cette époque, sa programmation était encore consacrée au cinéma de patrimoine. Je ne compte plus le nombre de chefs-d’œuvre que j’ai pu voir ou revoir là-bas. Dès cette première année, j’ai eu la chance de voir certains réalisateurs qui m’avaient tant fait rêver : Dario Argento, John Landis, Guillermo del Toro, Paul Verhoeven, Oliver Stone… . Ce n’était pas il y a si longtemps, mais je suis toujours très nostalgique en repensant à ces premières années parisiennes dont je peux encore sentir l’odeur insouciante.
Depuis 4 ans déjà, l’école est finie. J’essaie de faire mon trou dans un milieu que je suis encore en train de découvrir, sans savoir de quoi demain sera fait. Mais je sais une chose : le cinéma, lui, sera toujours là. On peut toujours compter sur lui. Après une année étrange de privations et de restrictions, je redécouvre avec presque le même émerveillement la réouverture des salles. Et je compte bien les hanter pendant encore longtemps.
Vincent Lluelles
Propos recueillis par Yoan Orszulik, vous pouvez retrouver Vincent Lluelles sur Twitter ainsi que son travail sur le court métrage Les indomptés.