La sortie en salles de Furiosa de George Miller est l’occasion d’évoquer l’univers post apocalyptique le plus célèbre du 7ème art, en compagnie de Melvin Zed, spécialiste de la saga, auteur de Mad Max Ultraviolence dans le cinéma, partie 1 et du documentaire Archeologist of Wasteland. L’occasion de revenir avec lui sur cette passion remontant à plusieurs décennies.
Quel fut ton premier contact avec l’univers de Mad Max ?
Mon premier contact avec Mad Max, c’est probablement la découverte de l’affiche du premier film accrochée dans le salon d’amis de mes parents, à l’époque de la sortie du film au tout début des années 80. Lorsque le 2 est sorti, dans mon souvenir il figurait régulièrement dans les conversations des adultes autour de moi. Les films rejoindront vite d’autres pelloches que les gamins de ma génération ne pouvaient que fantasmer, comme Orange Mécanique ou une ribambelle de films d’horreur… Je vais devoir attendre des années avant de pouvoir découvrir enfin les films !
Comment l’univers de George Miller est devenu une passion pour toi ?
Alors clairement en bossant sur sa saga Mad Max. À l’époque il n’y avait encore que trois films – on attendait de pied ferme le quatrième ! – mais en m’intéressant à ce qu’il avait fait avant et après cette trilogie, j’ai rapidement réalisé à quel point toute son œuvre était cohérente. Film après film, Miller a constamment réinvesti les mêmes thèmes et les mêmes idées. On trouve des choses dans son dernier film qui nous renvoient au début de sa carrière ! Et je parle de grandes choses comme des thèmes ou des motifs esthétiques, mais également de certaines obsessions nettement plus triviales ! Et puis Miller était encore un réalisateur assez méconnu, encore aujourd’hui, son boulot de producteur dans les 80’s ou son influence sur l’industrie cinématographique australienne des années 90/2000 restent des sujets très peu traités. Bien sûr, depuis la sortie de Fury Road, un certain nombre de bouquins, d’essais ou d’articles ont été écris sur le réalisateur. Et même si généralement c’est assez frustrant, car la plupart des articles se contentent de se recopier les uns les autres, colportant depuis des années les mêmes imprécisions ou les mêmes âneries, certaines personnes se sont penchés sur le réalisateur avec sérieux. Je pense notamment au site australien Sense of Cinema, ou au livre de Luke Buckmaster Miller & Max. C’est bien évidemment trop peu. Quelques livres d’entretiens avec Miller ont été réalisés dans les années 80 et au début des années qui nous éclairent sur son travail, mais récemment rien n’a été fait dans ce sens et on manque cruellement de bouquins sérieux consacré à ce réalisateur.
Avec les années cette passion t’a amené en Australie à la rencontre des divers artisans de la saga.
Tout à fait. C’est qu’à l’époque je ne concevais déjà pas l’idée d’écrire un bouquin sur Mad Max sans pouvoir découvrir ce qu’il y avait au-delà du cadre. J’étais donc résolu à terminer mon boulot par un voyage là bas… et puis ce qui devait être la conclusion de mes recherches s’est révélé être son introduction ! Ce n’est en fait qu’après ce premier voyage, ma première visite aux archives de Canberra et mes premières rencontres que j’ai pu réaliser concrètement l’ampleur de mon ignorance !
Comment est né cet ambitieux projet de retracer l’histoire de cette franchise à travers une série d’ouvrages ?
Eh bien un petit fanzine punk, y’a 15 ans, m’avait demandé un texte sur un film de mon choix. J’avais choisi le premier Mad Max et mon idée était d’écrire deux autres textes et d’en faire un petit fanzine photocopié d’une centaine de pages. Le projet a ensuite lentement, mais surement, dérapé. Je devais faire un seul livre, chez Rouge Profond, puis finalement ça sera 3 gros bouquins chez Rififi, un copain qui se lançait alors dans l’édition.
Avec toute la documentation et les rencontres accumulées au fil des ans, j’imagine que la rédaction des livres doit être un sacré casse-tête.
[rires]. Alors carrément, et ce fut l’essentiel de mon travail durant toutes ces années. La partie la plus fun, c’est de pister des infos, traquer des documents, qu’on le fasse chez soi devant son écran d’ordi ou qu’on parte faire un bout de brousse à la poursuite d’un type… Mais une fois que ces infos ont été récupérées, que les pages ont été scannée, ou que ce type a été interviewé… ce sont des documents qui rejoignent des milliers d’autres documents. Mon disque dur sur lequel je stocke mes archives sur la saga Mad Max comporte plus de 400.000 documents. Ça m’a donc littéralement pris des années pour tout classer, tout lire, tout noter, tout vérifier, tout recroiser… Je peux t’assurer que je n’aurais pas craché sur quelques assistants durant toutes ces années ! Même en découpant le boulot en trois livres, c’est quelque chose d’assez compliqué de garder en tête toute l’architecture du texte… Là j’ai commencé à évacuer le premier film de ma cervelle qui est pour l’instant encombrée de milliers d’infos sur Mad Max 2 !
En parallèle de la sortie du 1er volume, Mad Max, Ultraviolence dans le cinéma, partie 1, un documentaire a vu le jour: Archeologist of Wasteland. Peut-on voir ce dernier comme un complément au livre, ou bien comme un tout autre projet ?
Non, je ne vois pas forcément ça comme un complètement aux livres, parce qu’au fond, le sujet de mon documentaire n’est pas Mad Max 2, mais plutôt le type qui tient ce Musée dédié au film. C’est ce qui m’a fasciné, voir ce mec tellement passionné, possédé même, par son film préféré qu’il a réussi à partir vivre à l’intérieur ! Je le vois plus comme un film sur où peuvent nous emmener nos passions, que sur le sujet même de cette passion. C’est aussi une présentation d’un lieu absolument unique, et d’une mutation de la cinéphilie qui a eu lieu il y a déjà quelques années. D’autres choses ont été faites dans le même esprit, je pense par exemple au documentaire Peau d’âme, sur des gens qui vont faire des recherches archéologiques pour retrouver des fragments du tournage de Peau d’Âne de Jacques Demy. Ils sont à quatre pattes dans la forêt avec des petits pinceaux pour retrouver des paillettes de la robe de Catherine Deneuve, pendant que nous on y allait au tractopelle pour sortir des gros pneus, mais c’est exactement la même idée. Je pourrais évoquer également le superbe doc consacré à ces espagnols possédés eux par Le Bon la Brute et le Truand et qui ont remis en état le cimetière de Sad Hill à côté de Burgos, en Espagne. C’est quelque chose qu’on retrouve aussi dans toutes ces pages Facebook ou de sites qui répertorient les lieux de tournages… Et en poussant même les choses un peu plus loin on pourrait également penser à Mondo et tous ces illustrateurs qui refont des affiches de film… Après, ce documentaire, c’est quelque chose qui s’est greffé sur mon projet principal, une opportunité géniale que je pouvais pas laisser filer. À la base je pensais que ça allait finir en vidéo de 20 minutes sur youtube et voila, des années après je suis encore en train de le présenter pour des projections en salle ! Je suis vraiment très fier et très heureux d’avoir eu la chance de réaliser cette petite récréation !
Quelles sont les difficultés que l’on rencontre lorsqu’on passe de l’écrit à des images en mouvement ?
Alors dans ce cas, aucune j’ai envie de dire. Parce que Richard Riffaut, le monteur de mon doc m’a rapidement expliqué que le scénario que j’avais laborieusement élaboré pour ce film était, on dira, bien trop scolaire. Je me suis donc occupé de filmer des interviews, les lieux, tous les éléments pour raconter cette histoire et Richard s’est chargé du montage. Personnellement, entre le sujet, Adrian, qui a construit le musée, initié l’aventure des fouilles, répondu à mes questions etc… Et Richard qui a fait le montage de mes rushs, j’ai l’impression de n’avoir eu qu’une sorte de rôle de passeur de plat que d’auteur vraiment. C’était quelque chose d’intéressant à faire parce que pour le coup, c’était un travail collectif, l’inverse de mon bouquin, qui a été une longue errance solitaire. Et puis j’ai pu m’amuser à faire des choses que je n’avais jamais fait avant… Comme penser à comment j’allais cadrer ce que je voulais filmer. C’était fait sans aucun moyen et vraiment à l’arrache, mais c’est vraiment ce que j’ai préféré dans cette aventure. C’était à la fois quelque chose de totalement inédit pour moi, donc très très excitant, et puis quel bonheur lorsqu’il s’agit de grosses muscles cars baignée de la lumière du désert australien !
À travers ces différents travaux, j’ai l’impression que ce qui ressort c’est l’idée que le collectif n’est pas simplement au service de Miller, mais participe activement à la richesse de cet univers.
Alors, pour répondre simplement, parce que ce sujet mériterait des pages (des pages que j’ai d’ailleurs déjà écrites pour le tome 3 !), après le tournage de Mad Max 2, Miller et Kennedy se voient proposer un plan en or pour produire et réaliser des séries pour la télévision australienne. Pour ce nouveau projet extrêmement ambitieux, ils vont devoir monter une équipe de réalisateurs et de scénaristes et pour orchestrer le tout, ils vont faire appel à un metteur en scène de théâtre : George Ogilvie. La démarche qu’ils vont initier est absolument fascinante et c’est un petit peu le sujet qui sera au coeur de mon bouquin consacré à Mad Max 3. Tournant littéralement le dos à la théorie des auteurs, Miller va revendiquer le cinéma comme étant un art collaboratif. C’est une démarche consciente qui s’articule aussi sur la mentalité de l’industrie australienne de l’époque, bien plus horizontale que ce qu’on pouvait trouver à Hollywood où tout était bien plus compartimenté !
En tant que fan de cet univers et qui travaille activement dessus, est-ce qu’on a pas une plus grande appréhension à l’approche d’un nouvel opus ?
Une plus grande appréhension je ne sais pas, une grande curiosité peut-être. Encore que, je ne sais pas… Le plus compliqué c’est peut-être d’essayer de se mettre dans la peau d’un spectateur lambda qui découvrirait le film sur grand écran. C’est un peu compliqué, parce qu’en suivant la production de près, on s’imagine forcément un film dont il va falloir faire le deuil afin de pouvoir appréhender le film pour ce qu’il est. Après, lorsque Fury Road est sorti en 2015, ce ne faisait que quelques années que je bossais sur le sujet. Aujourd’hui, c’est un peu différent et c’est assez amusant de voir, et revoir, un Miller qu’on ne connaît pas encore par coeur. C’est comme débloquer une nouvelle zone sur GTA ou ouvrir une porte qui était jusque là fermée à clé. C’est extrêmement excitant, et Miller sait comment lâcher tout un tas d’os à ronger aux exégètes de son œuvre.
Y a-t-il eu selon toi un avant et un après Fury Road, dans la perception critique et publique de cet univers et du cinéma de George Miller en général ?
Clairement, le film a fait découvrir Miller et Mad Max à une nouvelle génération qui s’est pris le film en pleine poire sans trop capter d’où ça venait ! Un certain nombre d’entre eux, au-delà de la célébration de ce qu’ils considéraient être le meilleur film d’action de l’époque, se sont intéressés à Miller et à ses films précédents. En observant ça avec un peu de recul, l’impact du film est évident, et c’est absolument fascinant de voir que l’ampleur de ce choc est décorellée complètement de son succès en salles qui fut plutôt modeste. Depuis 2015, le nombre de bouquins et d’études universitaires sur Fury Road (et sur Mad Max en général) a explosé. Il s’est donc passé quelque chose, c’est une évidence. Après, je pense qu’il ne faut pas oublier qu’on reste dans un domaine « de niche » et que nous sommes loin, très très loin, de l’impact ou de la popularité des blockbusters classiques qui se succèdent sur les écrans. Par exemple, Vernon Wells, l’interprète de Wez dans Mad Max 2, m’avait dit qu’en convention son personnage de Matrix (le méchant de Commando) était incomparablement plus populaire que celui qu’il a joué dans Mad Max 2 ! Alors tout ça reste donc très relatif. Mad Max est très très loin de Star Wars, du Seigneur des anneaux ou de Marvel. Ça n’empêche pas pour autant de voir que pour Fury Road et pour Furiosa la presse spécialisée a sorti des hors séries consacrés à la saga ou au réalisateur. En France, Miller est très populaire dans les milieux cinéphiles, son travail est considéré avec un intérêt certain depuis des années et une partie de la critique a suivi sa carrière, même lorsqu’elle pris un détour vers le cinéma « pour enfants ». Je pense par exemple à la bande à Capture Mag qui a toujours soutenu le réalisateur et son œuvre, je me souviens de Djoumi défendant avec fougue Happy Feet 2 ou des papiers de Dahan dans Positif par exemple. D’Eastwick à Babe 2, de Lorenzo à Happy Feet, les films de Miller ont toujours été défendus comme étant des œuvres essentielles… C’est peut-être un peu moins vrai à l’étranger tandis qu’ici l’idée que Happy Feet et Mad Max font partie d’une même œuvre cohérente a été répétée pendant des années.
Furiosa est récemment sorti en salles, et les premiers échos dithyrambiques ont rapidement laissé place à des avis plus mitigés, à l’instar des suites de Babe et Happy Feet. Une récurrence chez Miller.
Oui, après c’est assez classique. Les plus passionnés se précipitent en salle dès les premières séances et inondent les réseaux sociaux avec des retours dithyrambiques avant que des spectateurs moins emballés commencent à publier leurs retours plus dubitatifs. Après, le film a été plutôt bien reçu et a bénéficié d’une critique globalement très positive. Dans les milieux de fans, on voit clairement un schisme s’amplifier : ceux qui restent bloqués sur la première trilogie, voire les deux premiers films, et ceux qui acceptent et embrassent l’évolution entérinée par Fury Road. Au delà de ça, si on regarde la filmo de George Miller, on est obligé de constater qu’au niveau du box office, il a accumulé les contre performances, les déceptions et les catastrophes. Mad Max 2 et 3 sont loin d’avoir marché comme ils l’espéraient, Lorenzo, Babe 2, Happy Feet 2 et 3000 Years of Longing ont été des fours très cruels… Si on ajoute à ça l’annulation de projets comme Contact ou la Justice League, la carrière de Miller a été pavée de moments très douloureux et de cruelles déceptions.
J’ai l’impression que Miller a voulu faire pour Furiosa ce qu’il avait fait autrefois pour Max Rockatansky sur Mad Max 2, essayer de comprendre au sens mythologique ce qui avait fasciné le public chez ce personnage.
Personnellement, j’ai plus l’impression que Furiosa est à Fury Road ce que Mad Max 3 fut à Mad Max 2 : Le moment où l’on s’émancipe du personnage pour aller explorer le wasteland et son économie. Ceci dit, la question de la mythologie est devenue la force motrice du cinéma de George Miller après la sortie du premier Mad Max lorsque Lucas et Spielberg lui ont lui a fait découvrir le boulot de Campbell. De Mad Max 2 à son documentaire sur le cinéma australien, de Lorenzo à Happy Feet, de la mère qui ne se remet pas de la perte de son enfant dans 3000 Years of Longing à Furiosa qui ne se remet pas de la perte de sa mère, les questions sur la mythologie, sur le comment et le pourquoi on se raconte des histoires est vraiment la colonne vertébrale de toute son oeuvre.
Comme pour Mad Max 2, on la sensation de voir un film qui peut être totalement autonome de la franchise, plus qu’un simple préquel.
Je ne sais pas, bien sûr le film peut se voir de manière autonome, mais j’ai plutôt l’impression qu’il tisse des liens vraiment intimes avec Fury Road… Autant je pense que Fury Road est un film qui peut se suffire à lui-même, autant Furiosa me semble fonctionner dans son rapport avec l’opus précédent. Pour moi c’est peut-être la première fois que Miller fait un film aussi dépendant, pour moi bien plus que Babe 2 ou Happy Feet 2 par exemple. Mais c’est tout à fait discutable, il faudrait qu’on s’entende sur ce qu’on appelle « un simple prequel ». Disons que pour moi, comme tous ses films précédents pouvaient être perçus comme totalement autonomes, je remarquerais donc plus, cette fois-ci, les liens qu’il tisse avec Fury Road.
Le film est également une manière de revenir à l’origine de la franchise à travers son récit de vengeance, mais sous un jour plus romanesque.
Oui, c’est fascinant de voir l’évolution de la saga, la façon dont elle s’incarne dans quelque chose de très différent du premier film en s’établissant dans le désert dès Mad Max 2 et en créant un univers qui sera ensuite revisité à plusieurs reprises. Pour moi, Fury Road avec son culte du V8 établissait déjà une sorte d’hommage assez baroque aux fans hardcore du premier film, à tous ces petrolheads, fans de moteurs, garagistes, qui considéraient Mad Max comme l’incarnation parfaite de leurs obsessions mécaniques. À partir de Mad Max 2, Miller va raconter la même histoire encore et encore, celle d’un groupe de gens qui partiront vers une terre promise établir une nouvelle colonie. Mais, de film en film, la façon de raconter ce mythe fondateur, et le commentaire de l’auteur à son sujet va évoluer, et se complexifier, être de moins en moins naïf et de plus en plus politique. Je pensais qu’avec Furiosa, Miller allait s’en émanciper complètement mais non, il a trouvé un moyen de revisiter ce thème, et de le faire d’une manière incroyable et franchement inattendue !
Parmi les retours que j’ai eu sur le film, certains m’ont évoqué des résonances avec le Western spaghetti, le Wu Xia Pian Hongkongais, le film de gangsters français, l’animation japonaise ou même la Nunsploitation. Furiosa semble davantage ancré dans les codes du cinéma d’exploitation d’autrefois que Fury Road.
Oui, la nature même du cinéma de George Miller, avec ses velléités à produire un spectacle universel, reposant sur des archétypes qui parlent à tout le monde, peut se couler dans tout un tas de grilles de lectures. Furiosa est nettement plus hétéroclite que Fury Road, il peut donc probablement être rapproché de bien plus de références… Après, les velléités de comprendre une œuvre à travers les réminiscences qu’elle peut produire vers d’autres œuvres ou courant cinématographiques évidents, me semble assez limité. Une fois qu’on a révélé une redite, un hommage ou une ressemblance avec tel ou tel film ou genre, on ne dit finalement pas grand-chose. On peut par exemple dire que Mad Max 2 est un western, d’emblée ça paraît tout à fait évident, il y a un fort assiégé, des persos ressemblent à des indiens avec plumes et iroquois et le film se termine sur l’attaque de la diligence. Cependant, en s’arrêtant à ces évidences, qu’est ce qu’on dit du film ? Que raconte t-on de Mad Max 2 en remarquant que ça « ressemble » à un western ? On pouvait déjà le dire du premier film, avec ses duels mécaniques, ses hors la loi qui envahissent une petite ville, ce cercueil apporté par un train… Pourtant ces deux films sont très différents, Mad Max expose un processus de civilisation parti à rebours, c’est un film où la route n’est plus promesse que d’anarchie et de désordre, on fonce vers les ténèbres. Mad Max 2 lui réinvestit la route comme promesse de civilisation et redevient un mythe fondateur, bien plus proche de l’esprit du western, avec sa frontière et sa route qui trace vers le progrès… J’ai l’impression aussi que quelque chose a un peu changé avec le temps chez Miller. Car si à l’époque, Mad Max pouvait être vu comme une compilation virtuose de choses déjà vues dans Stone, Dirty Mary… ou que Mad Max 2 semblait être, entre autre, un remake dans le désert de Ultimate Warrior de Robert Clouse… Les films suivants semblent pour moi s’émanciper de ce coté très patchwork d’oeuvres déjà existantes. En fait, pour le dire simplement, Furiosa et Fury Road me semble converser plus précisément avec les œuvres précédentes de Miller, avec les deux Happy Feet par exemple, qu’avec le chanbara ou le western spaghetti. Mais on est là sur un terrain très personnel, le film résonne, ou raisonne, avec notre propre histoire et notre propre culture personnelle. Je ne cherche absolument pas à nier qu’il puisse évoquer les codes d’un certain ciné d’exploitation pour toi, ou qu’un certain nombre de plans évoquent des plans du cinéma hong-kongais pour d’autres… Pour un familier comme moi de la carrière de Miller, pour un fan de westerns italiens, ou pour un fan de chanbaras, le film va forcément taper dans notre inconscient. Cette universalité est l’une des particularités du cinéma de Miller à mon avis.
Comment interprètes-tu les divers récits miroirs au coeur du film. Que ce soit Immortan Joe-Dementus ou Furiosa-Prétorien Jack ?
Le récit principal tourne autour de la relation entre Furiosa et Dementus. Dementus est un personnage qui rappelle aussi bien Humungus que Max. C’est un leader charismatique habité par la volonté oecuménique d’emmener derrière lui tout un tas de bandes hétéroclites, mais c’est aussi un personnage terrassé par la solitude et le ressentiment, condamné à errer à travers le wasteland. Max, lui aussi, a été consommé par la vengeance et depuis la fin du premier film, il est lui aussi condamné à errer dans le Wasteland sans pouvoir trouver la moindre issue, il voit passer mythe fondateur après mythe fondateur, mais ça n’est jamais pour lui… Plusieurs fois Miller a pensé extirper le personnage de cette ornière (en le tuant à la fin du 3, en le laissant grimper sur la plateforme à la fin du 4), mais finalement il l’a laissé là. Il restera à jamais ce personnage errant. Lorsque Fury Road est sorti sur les écrans, les gens ont évidemment fait un lien entre Max et Furiosa, vu comme une sorte de version féminine de Max… Mais le nouveau film éclaire sous un nouveau jour la nature du personnage joué par Charlize Theron. La discussion entre Dementus et Furiosa à la fin du film illustre le refus de la jeune femme d’être assimilée au destin de Dementus, mais aussi à celui de Max. Elle refuse de se laisser consumer par la vengeance et ne renonce pas à l’espoir, contrairement à Max (« Hope is a mistake ») et Dementus (« There is no hope »). De son côté, Praetorian Jack est un personnage intéressant, c’est l’idée qu’il existe d’autres « Guerriers de la route », habité par des motivations différentes. C’est aussi une tentation pour Furiosa, d’abandonner son espoir pour une place dans l’économie du Wasteland. Les Imperators dans Fury Road étaient perçus comme étant l’élite d’un régime particulièrement baroque et coloré. Furiosa nous les montre pour ce qu’ils sont en fait vraiment : des prolétaires, de « simples » routiers. Furiosa nous invite donc à revoir Fury Road d’une manière un peu différente et enrichit donc les liens entre les différents personnages.
Les parti-pris visuels semblent faire le pont entre les deux facettes technologiques qu’a développé Miller dans sa carrière. Je pense aussi bien aux cascades lives de Mad Max 2, qu’à l’animation numérique utilisée dans Happy Feet.
On ne parle presque jamais de cette dimension-là du travail de George Miller, mais c’est un réalisateur qui a toujours suivi de près l’évolution de la technique. Il produit Babe dans le sillage de Jurassic Park, et si le film de Spielberg et Terminator 2 restent les deux jalons évidents de la révolution numérique, il ne faut pas mésestimer l’importance du boulot abattu par l’équipe de Miller sur Babe. Plus tard, lorsque Andrew Lesnie montre à Miller les tests réalisés pour Gollum, il réalise sur le champ qu’il va pouvoir faire le film de pingouins qu’il avait en tête depuis des années. Aujourd’hui, Furiosa est un film qui utilise l’IA abondamment. Ce travail sur la technique s’est mené en parallèle de celui sur les questions narratives et mythologiques. Ainsi, Fury Road et Furiosa se nourrissent du travail qu’il a effectué sur les Happy Feet. Les décors de Fury Road et Furiosa ressemblent par exemple beaucoup à ceux d’Happy Feet je trouve. C’est un wasteland de terre rouge à la place d’un wasteland de glace, mais au-delà de ça ils sont tout à fait similaire. Miller a réalisé Happy Feet en partie à cause d’une idée qu’avait avancé Polanski en interview : pour chaque scène, il n’y a qu’une place idéale pour placer la caméra. En se libérant des contraintes techniques d’un tournage réel, Happy Feet a permis à Miller d’expérimenter à ce sujet. Même si Fury Road et Furiosa sont, à nouveau, des tournages physiques, ils bénéficient évidemment des expérimentations que Miller a effectué à travers ses deux films d’animation.
Le film fait suite au très introspectif Trois mille ans à t’attendre, avec lequel on retrouve des similitudes thématiques.
Eh oui, mais encore une fois, c’est l’oeuvre entière de Miller, à partir de Mad Max 2, qui présente des similitudes thématiques. Ici, les deux œuvres entretiennent évidemment un dialogue fascinant, et on peut jouer au jeu des similitudes. Le casting par exemple, George Shevtsov qui a un rôle et un costume similaire dans les deux films, le rendu visuel, le parcours d’Alithéa et de Furiosa pour faire la paix avec leur passé douloureux. J’ai été surpris que Miller torde le récit de 3000 Years of Longing tel qu’il se déroule dans le roman pour en faire quelque chose de plus subtil vis-à-vis de ses obsessions, évacuant les idées les plus évidentes (ou attendues) dès son introduction, afin de s’intéresser à quelque chose de plus intime. De la même manière, j’ai trouvé surprenant le déroulement, et surtout la conclusion, de Furiosa. Miller aurait pu s’enfermer dans ses thématiques, refaire constamment le même film, faire des films différents mais qui incarneraient toujours le même propos… Il a plutôt choisi de revisiter encore et encore les mêmes lieux pour pousser et réinventer son propos. On parle d’un gars qui a une filmographie limitée, il n’a réalisé que 11 films, et sur ces 11 films, il y a 6 suites ! Et pourtant, c’est une œuvre dynamique et chaque film est une surprise.
Est-ce qu’on peut dire que Furiosa est une oeuvre somme dans la filmographie de George Miller, dans la mesure où elle convoque frontalement ses précédents travaux et réflexions cinématographiques ?
Je ne dirais pas ça, pour moi c’est juste le nouveau chapitre d’une œuvre cohérente et homogène. Mais je ne suis pas sûr que j’y verrais quelque chose de « définitif ». J’avais eu un peu cette impression pour 3000 Years of Longing en partie parce qu’il convoquait tout un tas de choses issues de ses films précédents et parce que le sujet était directement lié avec ses obsessions, sans avoir besoin de passer par le filtre d’une bande de pingouins qui font des claquettes ou de punks qui conduisent des camions en hurlant. Mais en fait, cet aspect œuvre somme, on pouvait déjà le ressentir pour Happy Feet 2 ou Fury Road. Ceci dit, si Furiosa s’avérait être son dernier film, je pense que c’est ainsi qu’il sera perçu. Et je me rangerai à cette idée. Pour l’instant je ne peux m’y résoudre et je regarde vers le film suivant !
Par effet domino l’univers de Mad Max, et celui de Crocodile Dundee, t’a amené à te spécialiser sur le cinéma australien.
Il fallait bien sûr mieux connaître cette industrie cinématographique particulière pour comprendre dans quel contexte sont arrivés les premiers Mad Max. L’avantage, c’est que le faible nombre de films rendent possible une cartographie de cette industrie. Je caresse l’idée de faire un livre consacré au cinéma australien, une œuvre qui explorerait ces films par des biais thématiques et par le genre. C’est encore un territoire absolument sous exploité et dont on ignore pratiquement tout, sorti des évidences ou des curiosités qui ont réussi à s’imposer chez nous.
Au final que représente pour toi l’univers de Mad Max et George Miller.
Je ne suis pas sûr d’avoir la réponse à cette question. Ou plutôt, j’ai beaucoup trop de réponses. C’est à la fois un fantasme de gamins, un film qui appartient à cette ère des films « ultraviolents » qu’on ne pouvait pas voir et qui a nourri l’imaginaire collectif de ma génération. C’est aussi une œuvre cohérente consacrée à cette nécessité que l’Homme a de se raconter encore et toujours des histoires. C’est un cinéma qui cherche à faire le lien entre notre passé en tant qu’humanité, remontant aux origines, et notre futur. C’est un cinéma qui dialogue à travers les géographies, mais surtout à travers le temps. C’est une œuvre particulière, car cohérente de bout en bout, probablement la seule « franchise » qui ait été pensée, écrite et réalisée par le même chef d’orchestre. Je pourrais également dire que la saga Mad Max et son univers restent pour moi le vocabulaire que Miller a choisi pour nous raconter ses histoires. C’est un cadre, une scène ou un décor qu’il a utilisé pour incarner ses récits… Mais en fait, pour moi, ces films représentent surtout une aventure personnelle incroyable et inattendue. Si j’ai passé plus de 10 ans à creuser le sujet, c’est parce que ce temps a été incroyablement fun et enrichissant et surtout parce que ce projet a assouvi en partie ma soif d’aventures.
Quels films conseillerais-tu pour celles et ceux qui souhaiteraient enrichir leurs réflexions sur Furiosa ?
Je leur conseillerais surtout de revoir les films précédents de George Miller en fait ! Au delà de cette évidence, et vu les liens esthétiques que la saga entretient avec, je conseillerais Lawrence d’Arabie ! Et puis, peut-être parce qu’il le cite directement dans une scène assez importante, revoir Conan le Barbare ne peut pas être une mauvaise idée ! D’une manière générale, il y a aurait un grand livre à écrire sur le cinéma de Milius et de Miller. Deux carrières vouées à la puissance de la mythologie, par deux auteurs qui semblent à la fois très différents, mais aussi tellement proches.
En parallèle de ton deuxième livre, quels sont tes autres projets ?
Eh bien, dans le futur, j’aimerais donc écrire un livre consacré au cinéma australien, son histoire, ses thèmes, ses obsessions et son évolution à travers les décennies. C’est un projet ambitieux, mais pas forcément encyclopédique. Sinon avec Steve des Editions Rififi nous avons du pain sur la planche car nous sommes en train de bosser sur différents ouvrages très, très excitants : Un bouquin sur Sollima, une étude précise du cinéma de Vincenzo Natali, des choses en rapport avec l’Inde, sur Les Guerriers de la nuit aussi… Tout un tas de choses qui avancent, doucement, à leur rythme, mais qui avancent ! Merci Yoan pour ton intérêt !
Propos recueillis par Yoan Orszulik, vous pouvez retrouver Melvin Zed sur son site internet, Facebook, X/Twitter et Instagram, ainsi que son livre Mad Max Ultraviolence dans le cinéma, partie 1 sur le site des Éditions Rififi et son documentaire Archeologist of Wasteland sur le site The Ecstasy of Films.