Pour éclairer un peu la rentrée, on s’est dit qu’on allait faire une petite liste de cinéastes “à suivre”. Un terme un peu vaste pour une liste avec laquelle vous ne serez pas nécessairement d’accord, mais ce n’est pas très grave. L’idée est ici de mettre en avant des artistes qui ne bénéficient pas de la côte de popularité qu’iels méritent à nos yeux, avec comme contraintes qu’iels aient commencé leur carrière au cours de la décennie passée et avec au moins 2 longs métrages au compteur. Des cinéastes pas forcément inconnu·es ou de niche, mais des cinéastes qui – on l’espère – poursuivront leur carrière et auront un jour leur nom bien imprimé dans l’histoire du cinéma. Avec à chaque fois un film qui représente au mieux leur travail.
Les choix de Yoan Orszulik :
Parmi les nombreux talents du cinéma indien apparus ces dernières années, Karthik Subbaraj est l’un des plus importants. De Jigarthanda au récent Retro, en passant par Iraivi ou Mahaan, il a construit une œuvre foisonnante et syncrétique. Subbaraj s’inscrit dans l’héritage de cinéastes apparus à la fin du XXe siècle — Tarantino, les Coen, les Wachowski, etc. — tout en perpétuant une tradition locale de cinéma populaire engagé. Ses longs-métrages s’articulent souvent autour d’anti-héros confrontés à divers systèmes d’oppression, découvrant peu à peu leur humanité.
Un film à voir : Jigarthanda DoubleX
Après avoir côtoyée George Miller et Lars von Trier, l’Australienne Jennifer Kent passe à la réalisation avec Mister Babadook en 2014. Ce récit d’un monstre hantant une veuve et son fils révèle son aptitude pour l’horreur et créer un personnage mémorable. Quatre ans plus tard, Kent change de registre avec The Nightingale, qui mêle rape and revenge et fresque historique contestataire. Deux longs-métrages qui témoignent de la polyvalence de son talent, au point qu’elle a été contactée par Guillermo del Toro pour sa série Le Cabinet des curiosités.
Un film à voir : The Nightingale
Joaquin Cociña et Cristóbal León
Cociña et León s’inscrivent dans la lignée de duos comme les Daniels ou Cheslik-Tews, dont ils sont le pendant horrifique. Leurs œuvres mêlent animation en volume et prises de vue réelles, confrontant le monde de l’enfance au fascisme. La Casa Lobo est une relecture, sous forme de conte, de la colonie Dignidad. The Hyperboreans met en scène, à travers un tournage de cinéma, le retour d’un fascisme aux origines mythologiques. Cociña et León parviennent à faire la jonction entre divers courants artistiques, sans négliger la portée émotionnelle de leurs œuvres.
Un film à voir : La Casa Lobo
Les deux longs-métrages de July Jung forment une œuvre cohérente et passionnante, au carrefour du drame social et du polar, où évoluent des figures féminines — l’une adulte, l’autre jeune — confrontées à l’injustice. Dans A Girl at My Door, la relation ambiguë entre les personnages renoue avec un certain cinéma âpre des années 70. About Kim Sohee met en scène la confrontation d’un idéal de justice face à l’ultralibéralisme sud-coréen. De son propre aveu, Jung a retenu la leçon de son mentor, Lee Chang-dong : ne jamais oublier le public lorsque l’on conçoit un film.
Un film à voir : About Kim Sohee
Mari Selvaraj
Mari Selvaraj fait également partie des nombreux talents du cinéma indien. Il débute sa carrière de réalisateur en 2018 avec Pariyerum Perumal. En 2021, il frappe fort avec Karnan, un drame social sur un village défavorisé victime de la politique des castes, traité comme un film épique reprenant les codes de l’heroic fantasy. Le récent Vaazhai lui permet de revenir sur son enfance et l’origine de son engagement politique, sans jamais négliger le langage cinématographique. Un réalisateur passionnant dont l’oeuvre s’inscrit au carrefour du naturalisme et de la mythologie.
Un film à voir : Karnan
Les choix de Nicolas Gilli :
Vivier de talents extraordinaire, la Corée du Sud accouche régulièrement de cinéastes rares, autant par l’étendue de leur talent que par la quantité d’oeuvres présentes dans leur filmographie. Yoon Sung hyun rejoignait en 2011 Jang Joon-hwan ou Na Hong-jin. Une sorte d’étoile filante dont chaque création fait l’effet d’une déflagration, et peu importe le sujet ou le genre qu’il va investir. Dans son cas, qu’il s’agisse d’un drame étudiant, d’une dystopie ou d’un récit de zombies, si ce n’est pas la noirceur extrême de son propos qui l’emporte, c’est son talent pour raconter des histoires et quelque part se réapproprier un langage visuel très fort.
Un film à voir : La Frappe
Fier de son identité Basque et de la culture qui accompagne son peuple depuis des temps immémoriaux, Paul Urkijo Alijo a toujours baigné dans les mythes et légendes. Depuis ses premiers courts métrages, dont certains ont eu une belle carrière à l’international, il met un point d’honneur à mettre son talent de metteur en scène raffiné et de conteur hors pair au service des mythes du Pays Basque. Démons, divinités païennes, sorcières et créatures en tous genres peuplent son cinéma extrêmement ambitieux. Pour donner vie à ces mythes venus de la tradition orale, Paul Urkijo Alijo embrasse bien volontiers la forme de la fresque épique et du récit fantastique, tout en s’adressant à un très large public.
Un film à voir : Irati
Américaine née au Royaume-Uni de parents iraniens, Ana Lily Amirpour porte dans sa chair un enchevêtrement de cultures qui, mises au service de son cinéma, donnent naissance à quelque chose de fascinant. Après un premier film qui était un western avec des vampires en Iran tourné dans un noir et blanc “auteuriste”, elle a mis en scène une étrange romance cannibale post-apocalyptique puis un film d’aventure urbain aux relents de fantastique qui n’est pas sans rappeler les productions Amblin des 80s et 90s. Une cinéaste absolument fascinante, capable de s’aventurer dans tous les genres, d’en associer les plus improbables pour en tirer quelque chose d’unique.
Un film à voir : A Girl Walks Home Alone at Night
Danny et Michael Philippou
S’il y a eu au cours de la précédente décennie des réalisateurices extraordinaires apparu·es dans le cinéma horrifique et déjà bien installé·es dans l’inconscient collectif (Ari Aster ou Jordan Peele), il faudra compter dans les années qui viennent avec les frangins Philippou. S’ils n’explosent pas en plein vol, les australiens ont la possibilité de développer une approche de l’horreur à la fois très vivifiante et suffisamment solide pour bâtir des futurs classiques. De plus, ils semblent capables d’enchaîner les projets à vitesse grand V et sans sacrifier quoi que ce soit sur le plan qualitatif. Bien au contraire tant la progression entre leurs 2 premiers films est immense.
Un film à voir : Substitution – Bring Her Back
Ce sera le vétéran de cette sélection mais techniquement, son premier long métrage date de 2012. Sollima, outre son nom qui transpire l’histoire du cinéma italien, c’est aujourd’hui un des plus grands auteurs au monde, pourtant relégué dans l’ombre en dehors de sa présence régulière à la Mostra de Venise. Sa capacité à raconter des histoires multiples, à bâtir des personnages aux mille facettes, sa mise en scène qui trouve toujours la justesse et l’élégance, et son courage pour affronter des sujets complexes sans jamais tomber dans le prêt-à-penser, font de lui une sorte d’équivalent transalpin de Clint Eastwood. Ce qui aujourd’hui le condamne probablement.
Un film à voir : Adagio
Et pour vous, qui seraient les cinéastes à suivre ?
Un texte signé Yoan Orszulik et Nicolas Gilli