Après plus 40 ans de présence sur le grand écran, le roi des monstres, s’apprête à faire ses adieux aux différentes générations ayant grandi avec lui. Un départ provisoire, au travers d’un très beau long-métrage, marquant la fin d’une époque, et d’une certaine conception de l’imaginaire sur grand écran.
Après la sortie de Godzilla versus Space Godzilla, Tomoyuki Tanaka et les cadres de la Toho décident que le prochain film de la saga, le 22ème, sera aussi le dernier. Les raisons ? Les différents longs-métrages sortis depuis le Godzilla de 1984 se sont avérés biens moins rentables que leurs homologues des 60’s. Certains comme Godzilla vs Biolante se sont même révélés être d’importants échecs commerciaux. Le studio Japonais souhaite également relancer sa franchise à travers le futur remake américain qui permettrait une meilleure visibilité commerciale mondiale pour de futurs projets. Symboliquement, il est décidé que ce dernier opus se conclue par la mort de Godzilla. Au départ deux scénarii sont envisagés. Godzilla versus Bagan, inspiré d’un jeu vidéo sorti sur Super Nintendo, voyait le roi des monstres se muter en Super Godzilla. Rapidement abandonné, au profit d’un concept bien plus fort et symbolique, Godzilla versus Godzilla. Ce scénario ambitieux voyait la créature des récents épisodes tuée par son prédécesseur fantomatique de 1954. Trop risquée et difficile à concevoir, cette idée est mise de côté, au profit d’un affrontement plus classique envers un nouvel ennemi, Destoroyah. Toho alloue à ce film l’un de ses plus gros budgets, 13 millions de dollars. Tandis qu’un accord est passé avec TriStar Pictures pour une distribution vidéo aux USA. Godzilla vs Destoroyah s’ouvre sur l’attaque nocturne de Hong Kong par le roi des monstres. Une scène succincte et efficace, qui permet au spectateur de constater que la créature n’a rien perdu de son terrifiant pouvoir de destruction, mais aussi qu’elle « brûle de l’intérieur ».
La G Force Japonaise, en compagnie du jeune étudiant Kenichi Yamane (Yasufumi Hayashi), fils de Shinkichi Yamane, arrive à la conclusion que Godzilla voit sa température interne augmenter dangereusement, jusqu’à provoquer une fusion nucléaire susceptible de détruire le monde. Tandis que de nouvelles créatures issues d’une fusion entre des organismes précambriens et les particules de l’Oxygen Destroyer font leurs apparitions à Tokyo. Sur ce canevas classique, la confrontation du dinosaure atomique avec un nouvel ennemi, le cinéaste Takao Okawara construit une œuvre fascinante et inspirée. Les radiations nucléaires jadis « créateur » du monstre sont désormais responsable de sa future mort. Destoroyah nait du propre moyen de détruire Godzilla. Deux idées, parfaitement exploitées, alliant astucieusement la thématique symbolique autour de la fin d’un mythe, et une résonance avec les propos pessimistes de Daisuke Serizawa dans le long-métrage de 1954. Ses éléments riches de sens permettent à la saga de retrouver l’atmosphère pessimiste et l’urgence apocalyptique des origines. L’apparition de Emiko Yamake (Momoko Kochi) confère au long-métrage une ambiance nostalgique. Sa présence en début de film, évite les pièges du « fan service » que l’on peut trouver dans d’autres franchises. Ses liens affectifs avec Kenichi et sa fille Yukari (Yoko Ishino), sont suffisamment détaillés pour permettre une plus grande empathie émotionnelle.
Godzilla vs Destoroyah permet de retrouver la télépathe Miki Saegusa (Megumi Odaka). Cette dernière entretiendra un lien psychique important avec le fils de Godzilla, à la caractérisation similaire à son père. Faisant le lien entre le passé de la saga et son présent, le scénario réserve à chacun des protagonistes un morceau de bravoure lié aux différentes créatures. Les rôles principaux étant majoritairement féminins, la saga renoue également avec une approche féminine des mythes. À défaut d’être innovante, la mise en scène de Takao Okawara s’avère efficace et souvent soignée, même quand il s’agit de reprendre un passage emblématique d’Aliens de James Cameron. Le cinéaste soigne autant ses monstres, que les interactions humaines. Une mise en images iconique et dramatique qui trouve son apothéose dans le combat final opposant Destoroyah (Superbe design, rouge sang) à Godzilla. La photographie nocturne de Masahiro Kishimoto et Yoshinori Sekiguchi (ancien assistant caméra de Kurosawa sur Ran et Rêves) allie modernité du cadre et contrastes colorimétriques hérité des 60’s. Tandis que le responsable des effets spéciaux Kôichi Kawakita offre à ces créatures un dernier baroud d’honneur.
D’une justesse émotionnelle peu commune, cet ultime affrontement, renoue avec la terreur apocalyptique, et le sens du merveilleux des origines. Tandis que le très beau Requiem composé par Akira Ifukube (qui signe sa dernière partition pour le monstre), conclue la saga sur une note profondément tragique et mélancolique. Le magnifique plan final, dont se souviendra Gareth Edwards, semble nous dire que les mythes ne meurent jamais. Peu de temps après sa sortie, la Toho bétonna le bassin qui servi aux tournages de nombreuses scènes de la saga durant plus de 40 ans. L’actrice Megumi Onaka mit fin à sa carrière d’actrice. Le 2 avril 1997 Tomoyuki Tanaka décéda. Momoko Kochi s’éteignait un an plus tard le 5 novembre 1998 des suites d’un cancer.
Dernier opus majeur de la saga, Godzilla vs Destoroyah coïncide avec la fin d’une certaine conception de l’imaginaire. En Asie, comme aux USA de nombreux cinéastes livrèrent également leur dernier baroud d’honneur à l’égard des mythes populaires qui les avait façonnés. Annonçant que la décennie à venir serait celle où ces mêmes artistes verraient leurs créations récupérées par des studios et un public devenu cynique et désabusé. Godzilla sera l’une des principales victimes de cette nouvelle démarche. D’où l’importance artistique de ce dernier opus, aussi tragique que merveilleux. Il constitue un très beau chant du cygne, temporaire, à celui qui fut l’un des mythes populaires les plus vivaces de l’histoire.