Après deux volets inaugurant le cycle « Millenium », la Toho frappe fort pour ce 26ème opus, narrant l’affrontement du roi des monstres avec ses deux plus célèbres adversaires. Un long-métrage majeur qui réussit l’exploit de réinventer le mythe, en respectant son essence. Le tout supervisé par un cinéaste de génie, qui signe l’un des meilleurs films de la décennie.
Suite au semi échec de Godzilla versus Megaguirus, Toho décide que le prochain film autour de leur icône sera à nouveau le dernier. Pour ce qui doit être une conclusion d’anthologie, le studio confie les rênes du projet à un réalisateur majeur : Shusuke Kaneko.
Passionné de Kaiju Eiga et de mangas depuis sa plus tendre enfance, Kaneko fait ses premiers pas dans le 7ème art au sein de la compagnie Nikkatsu. Assistant réalisateur, pour Kôyû Ohara sur Roman Porno, une série de films « porno soft » inscrits dans le sous-genre du Pinku Eiga (film d’exploitation japonais). Passé à la réalisation en 1984 avec Kôichirô Uno’s Wet and Swinging, une parodie coquine d’un manga sur le tennis, Kaneko s’oriente aussitôt vers un cinéma de genre plus « mainstream ». Il enchaîne plusieurs longs-métrages comiques, policiers, fantastiques et horrifiques qui le conduiront à diriger le Britannique David Warner pour le deuxième sketch de Necronomicon en 1993. Après cette expérience internationale, le cinéaste est appelé par le studio Daei afin de ressusciter la franchise Gamera, au moment où le monstre de la Toho s’apprête à quitter temporairement les écrans japonais. Il est entouré de Kazunori Itô, scénariste de Mamoru Oshii pour lequel il a écrit Patlabor et Ghost in the Shell, et du responsable des SFX Shinji Higuchi, que Shusuke avait rencontré durant ses années à la Nikkatsu. L’équipe dispose de 4,5 millions de dollars mais d’une production de 18 mois (contre 10 pour un Godzilla) qui permet de peaufiner leur travail. Sorti en 1995, Gamera gardien de l’univers sera suivi de deux suites, qui feront de cette trilogie un summum du Kaiju Eiga. Faisant entrer le genre dans la modernité tout en renouant avec la noirceur des origines, cette œuvre sera saluée jusqu’aux USA où Roger Ebert, d’habitude peu ouvert aux Kaiju Eiga (il qualifiait le Godzilla d’Ishirô Honda « de grande stupidité »), ne tarira pas d’éloges sur le travail du cinéaste et de son équipe. C’est donc auréolé du succès critique et commercial de sa trilogie que le réalisateur se voit chargé de mettre en images l’ultime affrontement de celui qui fut l’une des raisons de sa vocation de cinéaste.
Kaneko suggère à la Toho, une confrontation entre le roi des monstres et un astronaute contaminé par un virus spatial qui le fait muter en une créature gigantesque. Cette idée est rejetée au profit d’un combat opposant Godzilla à plusieurs monstres préexistants. Le cinéaste propose Varan et Anguillas pour ne pas faire de l’ombre à son principal protagoniste. Le studio refuse à nouveau et impose Baragon, Mothra et King Ghidorah, plus populaires commercialement. Disposant d’un budget de 9,4 millions de dollars et d’un an pour livrer son film, Kaneko convoque la majorité des collaborateurs de sa précédente œuvre. Le directeur artistique Toshio Miike, le monteur Isao Tomita, le compositeur Kô Ohtani et le superviseur des SFX Makoto Kamiya. Shinji Higuchi participa aussi au projet sans être crédité. Le casting fait appel à Chiharu Niiyama héroïne de la série télé locale Time Shock 21, ainsi qu’à Ryudo Uzaki, Hideyo Amamoto et Masahiro Kobayashi. Tandis que les soeurs Ai et Aki Maeda déjà présentes dans Gamera 3 et les deux Battle Royale, se fendent d’un caméo symbolique. Quant à Mizuho Yoshida, comédien spécialiste en motion capture sur la saga vidéo ludique Metal Gear Solid, c’est à lui que revient la tache d’enfiler la panoplie du roi des monstres.
Godzilla, Mothra and King Ghidorah : Giant Monsters of all-out attack (GMK) démarre son pré générique à travers trois scènes d’exposition, note d’intention du long-métrage. À Tokyo une réunion de la JSDF (Japan Self Defence Forces) menée par l’amiral Taizô Tachibana (Uzaki) relate la dévastation de New York par un monstre géant, qui ne serait pas Godzilla. S’ensuit l’attaque d’un sous-marin par le célèbre dinosaure atomique, tandis que la journaliste Yuri Tachibana (Niiyama), fille de Taizô, est témoin d’un tremblement de terre dans une forêt locale que l’on dit hantée. Trois séquences qui montrent la volonté du réalisateur de s’éloigner de la caricature cynique de Roland Emmerich (qui avait choqué le cinéaste japonais) et de renouer avec le « merveilleux apocalyptique» d’Ishiro Honda, en l’inscrivant dans une modernité cinématographique. De l’attaque des motards dans un tunnel jusqu’au climax maritime final, en passant par la chevauchée forestière de Baragon et le réveil de King Ghidorah, GMK se montre particulièrement spectaculaire et généreux. Le design des créatures à été légèrement repensé en fonction de leurs nouvelles caractérisations. King Ghidorah, désormais protecteur de l’humanité attendant son réveil, est doté de magnifiques écailles dorées. Tandis que Godzilla n’a plus de pupilles dans les yeux, ce qui le rend plus terrifiant et souligne son aspect de « mort vivant ». La résurrection du monstre, après sa 1ère défaite en 1954, est dûe aux esprits des victimes de la seconde guerre mondiale.
Pacifiste convaincu, Kaneko oriente son récit vers la satire anti-militariste et médiatique. Accompagné d’un humour sadique, aux détours de scènes prenant place dans des toilettes, un hôpital et, lors du combat opposant Godzilla et Baragon. Autant d’idées qui enrichissent l’univers, sans en dénaturer l’esprit, où la réduire à l’état de pamphlet caricatural. Kaneko n’oublie pas l’ancrage mythologique de la saga et le remet au premier plan, donnant une grande importance aux esprits, dieux et démons, thématiques centrales du récit. Les protagonistes répondent à des bases issues du remake américain, que le cinéaste va détourner, afin de rendre leurs caractérisations et leurs parcours, plus tragique et émouvant. L’amiral Taizô est un homme de devoir mais empreint d’une fragilité à l’égard de la mort, loin de la figure autoritaire caricaturale. Tandis que sa fille Yuri est une journaliste frondeuse qui agit avant tout pour informer la population et non par opportunisme envers sa carrière, comme pouvait l’être Audrey Timmonds dans le remake de 1998. Ce qui donne lieu à une très belle histoire d’amour filial et à la réintroduction de la place centrale de la figure féminine en tant qu’espoir de l’humanité. Le tout trouvant son apothéose dans une scène finale comme ultime pied de nez au cinéma cynique d’Emmerich. La mise en scène de GMK pousse dans ses ultimes retranchements le Suitmation. Kaneko utilise une très grande profondeur de champ, joue sur la courte focale, les perspectives, les échelles de plans (la contre-plongée notamment), lors des combats entre les monstres. Faisant interagir au maximum humains et créatures dans le même espace, afin d’accentuer le gigantisme de ses monstres dans des décors détaillés et réalistes. Mélangeant habilement techniques traditionnelles et CGI, afin de favoriser l’immersion du spectateur. Le tout souligné par une très belle photographie nocturne du vétéran Masahiro Kishimoto, déjà à l’œuvre sur Godzilla versus Space Godzilla et Godzilla versus Destoroyah, qui profite d’un flash-back pour rendre hommage à l’incendie d’Atlanta d’Autant en emporte le vent. Le film s’amuse également à citer la toute première apparition de Godzilla, ainsi que les Shobijins au détour d’une réminiscence strictement visuelle. Tout en introduisant certaines idées issues des meilleurs animes, comme les bombes perforeuses. GMK mélange Kaiju Eiga, satire, drame, mythologie, et récit initiatique, avec une aisance peu commune, que bon nombre de productions peuvent lui envier.
À sa sortie, le film fut le plus gros succès commercial de l’ère « Millenium » remportant plus de 20 millions de dollars sur le territoire Japonais. De nombreux fans ainsi que le critique américain Leonard Maltin le considèrent comme l’un des meilleurs opus de saga. Certains allant même jusqu’à dire qu’il s’agit du meilleur film aux côtés du premier volet d’Ishiro Honda. Le succès incita Toho à poursuivre sa saga, mais Shusuke Kaneko ne fut pas rappelé. Avec le recul Godzilla, Mothra and King Ghidorah: Giant Monsters All-Out Attack peut se voir dans son mélange harmonieux de différents genres comme un précurseur du The Host de Bong Joon-ho qui poussa les ruptures de ton de façon encore plus radicale. Tandis que sa démarche cinégénique trouve un écho dans le remake sous-estimé de King Kong par Peter Jackson, qui citera Kaneko au détour de quelques plans lors de la traversée de Skull Island. Guillermo del Toro lui rendra également hommage, aux travers de la relation qui unit deux des protagonistes principaux, dans Pacific Rim.
GMK est non seulement un des meilleurs films de la saga, mais également un idéal de cinéma monstrueux. Un habile mélange des genres un parfait numéro d’équilibriste, doublé d’un film d’auteur au sens le plus noble du terme. Le cinéaste fait une magnifique déclaration d’amour à l’origine de sa vocation. Renouant avec le meilleur du « merveilleux apocalyptique » de la saga, doublé d’un sens de l’intimisme et d’une incroyable maîtrise de la mise en scène. Rénovant le mythe, sans jamais la dénaturer. Un authentique chef d’œuvre. Spectaculaire, jouissif, beau et émouvant. Une ode à l’imaginaire sur grand écran, indispensable aux fans de Kaiju Eiga, et aux novices du genre.