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Fruit d’une gestation compliquée ayant eu raison du DC Extented Universe initié par Zack Snyder, The Batman débarque en salles après plusieurs reports liés à la Covid-19. Le résultat final, bien en deçà des avis dithyrambiques désormais coutumiers des blockbusters super héroïques, mérite néanmoins qu’on s’y attarde avec attention. Ses importants défauts, comme ses qualités non négligeables, étant une bonne occasion de rappeler ce que peut être un cinéma d’artisan dans l’industrie Hollywoodienne actuelle.

Initialement prévu à la réalisation de The Batman, Ben Affleck laisse sa place à Matt Reeves en février 2017. Deux ans plus tard Warner Bros annonce que le comédien n’incarnera plus le chevalier noir et que le futur film ne prend désormais plus place dans le DC Extented Universe. Matt Reeves en profite pour peaufiner le scénario avec Peter Craig (The Town, Hunger Games : la révolte). Certains collaborateurs issus de ses deux opus de La planète des singes : le monteur William Hoy, le chef décorateur James Chinlund, complètent l’équipe aux côtés de Weta Digital. ILM vient prêter main-forte à l’équipe avec son système de tournage Stagecraft popularisé par The Mandalorian. Après avoir envisagé Nicholas Hoult et Armie Hammer (déjà pressenti pour incarner Batman dans le défunt projet Justice League Mortal de George Miller), c’est finalement Robert Pattinson, le premier choix de Reeves au moment de l’écriture, qui récupère le rôle titre. Initialement prévu dans le rôle du Riddler, Jonah Hill s’éloigne du projet au profit de Paul Dano. Vanessa Kirby, Ana de Armas ou encore Alicia Vikander sont pressenties pour incarner Selina Kyle avant que Zoë Kravitz ne décroche le rôle. Andy Serkis, Colin Farrell, Jeffrey Wright et John Turturro complètent la distribution en vue d’un tournage prévu en grande partie à Glasgow en écosse en Janvier 2020 pour un budget estimé entre 185 et 200 millions de dollars. La pandémie de Covid-19, qui causera le décès du coach en dialecte Andrew Jack à qui le film est dédié, contraint la production à un arrêt de plusieurs mois au point que la sortie est reportée à Mars 2022.

À travers l’enquête que mène le chevalier noir sur une série de meurtres dont les victimes sont les hautes sphères de Gotham City, Matt Reeves propose de revenir à la source du personnage, un détective dans la lignée de Sherlock Holmes utilisant son cerveau autant que ses gadgets. Une idée bienvenue qui permet au réalisateur de prendre ses distances avec les précédentes itérations du personnage sur grand écran. Le « The » du titre indique que le sujet sera bien Batman et non plus les antagonistes comme chez Tim Burton, Christopher Nolan ou Todd Phillips. Loin d’avoir le champ d’action qu’ont pu avoir ses prédécesseurs, l’approche de Matt Reeves s’apparente plus à celle d’un humble artisan soucieux du travail bien fait comme pouvaient l’être Stephen Hopkins ou Joe Johnston. C’est à dire des personnalités pas à l’abri de livrer des oeuvres embarrassantes mais qui démontrent régulièrement un véritable savoir faire leur permettant de livrer de véritables réussites artistiques personnelles. Une optique artisanale, éloignée des boursouflures égotiques et des produits interchangeables qui gangrènent l’industrie hollywoodienne actuelle, qui en théorie devait permettre au réalisateur de damer le pion à la concurrence. Ayant démontré un véritable soin sur le découpage comme vecteur d’atmosphère et d’émotions sur ses deux opus de La planète des singes, Matt Reeves poursuit cette démarche salutaire. The Batman est l’occasion de renouer avec une véritable attention portée au cadre, au fait de laisser respirer ses plans, de capter l’attention du spectateur sur l’histoire en jouant sur les changements de focales, la position des interprètes dans le cadre, leur gestuelle, leurs regards, la direction de la lumière… . Le minimum syndical de la narration visuelle. La première apparition de Batman sur un montage alterné en est un excellent exemple. D’abord suggéré avant d’apparaître plein cadre, le justicier de Gotham City redevient cette incarnation de la peur craint des malfrats. Le cinéaste parvient dans certains passages à redonner une vrai aura cinématographique aux actions des personnages, sans jamais jouer la carte de l’hypertrophie visuelle et du One Perfect Shot, simplement en utilisant le bon axe de caméra et en mettant en avant les éléments visuels de l’intrigue au bon moment. Par ailleurs la volonté de questionner le statut social de son héros via des personnages secondaires comme Selina Kyle ou Alfred Pennyworth, permet de construire une empathie progressive de Batman à l’égard des habitants issus des milieux défavorisés. Le tout culminant dans un final à la portée symbolique qui tente de redonner un semblant d’innocence et d’humanité à l’héroïsme de son personnage, là où la précédente itération de Zack Snyder avait totalement oublié de remettre le peuple au centre des enjeux thématiques du récit.

Dans le rôle titre, Robert Pattinson apporte une sobriété bienvenue qui tranche avec les tics caricaturaux de l’actor studio à l’oeuvre chez certains de ses collègues. Le reste de la distribution : Zoë Kravitz et Paul Dano en tête, ne démérite pas non plus. Cependant ces qualités indéniables, auxquelles il faut rajouter l’excellente partition de Michael Giacchino, n’empêchent pas la présence de nombreux défauts qui entachent grandement le résultat final. Dans un premier temps, la durée excessive du long métrage, 3 heures, témoigne d’un vrai problème d’efficacité dramaturgique au point de rendre l’ensemble laborieux à suivre. Matt Reeves a beau tenter, tant bien que mal, de tenir son récit jusqu’au bout, il n’échappe pas à des circonvolutions inutiles. L’enquête autour des crimes du Riddler est reléguée au second plan, pendant un long moment, afin de faire le pont avec le passé familial tortueux de Bruce Wayne et Selina Kyle. Grand ami de James Gray, avec lequel il co-écrit le script de l’excellent The Yards, Reeves utilise cette donnée pour tenter de renouer avec les tragédies familiales à l’oeuvre chez ce dernier, sans pour autant réussir à dépasser le cadre de l’interconnexion déterministe à l’oeuvre dans les blockbusters actuels avec son lot de personnages inexploités. Le long-métrage n’échappe pas aux passages obligés, comme le teasing d’un futur méchant en fin de film ou la romance entre Batman et Catwoman, quand le début du film promettait une collaboration ludique et attachante à la manière de Isla Faust et Ethan Hunt dans Mission Impossible: Rogue Nation. De James Gray, le réalisateur reprend également la course poursuite sous la pluie de La Nuit nous appartient, mais sans la lisibilité de cette dernière. Avare en scènes d’action, ses dernières se révèlent filmées platement, témoignant à nouveau du potentiel cinégénique gâché de Batman. Ce qui est d’autant plus dommage que les incursions de Reeves sur La planète des singes témoignaient d’une certaine compétence dans ce domaine. Par ailleurs la photographie du versatile Greig Fraser, qui avait pourtant fait des merveilles sur l’approche picturale de Bright Star et le climax nocturne de Zero Dark Thirty, s’avère particulièrement terne malgré la volonté de déjouer les conventions actuelles liées à l’utilisation des néons. Le film use plus que de raison du flou et de la longue focale, nuisant à l’immersion. De cette logique découle l’autre point problématique du film : son orientation artistique.

La grande qualité des deux volets de La planète des singes était d’associer la performance capture à des récits convoquant tout un pan du cinéma d’autrefois, notamment le western et le péplum, pour démontrer la force artistique et émotionnelle de cette technologie à travers ses personnages simiesques. The Batman est de nouveau l’occasion pour Matt Reeves de convoquer ses souvenirs cinéphiliques, cette fois-ci liés aux années 90. L’intrigue centrale lorgne vers le thriller apocalyptique avec en ligne de mire Seven. À l’instar de John Doe, le Riddler est une entité fugace et omnisciente. Le commissaire Gordon et Batman n’étant rien d’autres que des avatars de William Somerset et David Mills. Le cinéaste ne cherche même pas à cacher cet emprunt comme en témoigne la découverte de l’antre du Riddler qui reprend au plan prêt celle de John Doe dans le chef d’œuvre de David Fincher. Il en va de même pour la caractérisation de son protagoniste principal qui apparait comme un jeune adulte torturé écrivant ses pensées dans son journal intime. Bien que le cinéaste dise avoir calqué la personnalité de Bruce Wayne sur Kurt Cobain, on pense très fortement à Eric Draven dans The Crow. Le film d’Alex Proyas étant l’autre inspiration visible du film de Matt Reeves au point que de nombreux passages semblent y faire référence. Bien que situé à notre époque, The Batman reprend tous les codes du Neo-noir Gothique des années 90. Du Shopping de Paul W.S. Anderson jusqu’au Matrix des soeurs Wachowski, en passant par Les Anges déchus de Wong Kar-Wai et le Blade de Stephen Norrington : Pluie permanente, mégapole tentaculaire, héros torturé, amour impossible, esthétique gothique, boite de nuit détenue par un milieu interlope souterrain dont l’influence s’étend aux plus hautes sphères de la société, traque sur internet, etc. On touche au coeur du problème, ne cherchant pas à mettre en perspective ses influences, comme c’était le cas sur la franchise La planète des singes, mais à les plaquer sans recul dans son long métrage, Matt Reeves tombe dans le pastiche vide de sens autre que nostalgique. Le cinéaste a beau tenter une analogie entre le Riddler et le mouvement complotiste QAnon, le résultat s’avère totalement vain. Si de par sa nature Batman se prête à une approche Neo-noir, le référentiel esthétique et narratif est tellement appuyé de manière sérieuse sur l’ensemble du film, qu’il dessert totalement le propos, au point de sombrer dans la caricature. Au final The Batman apparait comme un nouvel exemple de cinéma doudou. De la même manière que Drive et Super 8 pour les années 80, le film de Matt Reeves finit par devenir, malgré ses intentions louables, le fer de lance du revival des années 90. Ce qui est d’autant plus dommage qu’avec un soin supplémentaire le film aurait pu facilement s’extirper de son référentiel écrasant pour trouver sa singularité et devenir une humble réussite artistique, à la manière de ce que Joe Johnston avait pu accomplir au début des années 90 avec Les aventures de Rocketeer.

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En résumé

En dépit de ses qualités, The Batman apparait comme une oeuvre maladroite dont les honorables ambitions se heurtent à l’échec de son exécution. Un long métrage qui plaira aux spectateurs et cinéphiles désireux de retrouver une époque révolue, mais qui s’avère handicapé par le poids de ses références et son approche timorée qui l’empêche d’être l’humble réussite qu’il aurait pu être.
5
10

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