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Deuxième film coréen projeté en séance de minuit, Sans pitié (The Merciless) est également le troisième long métrage de Byun Sung-Hyun. À contrario de The Villainess, pas d’entourloupe comme l’atteste la standing ovation amplement méritée pour ce long métrage. S’il n’est point un chef d’œuvre, Sans pitié reste un très beau film qui réussit admirablement à faire du neuf avec du vieux sur les genres usités du film de gangster et de prison. Le tout en étant suffisamment respectueux de ses modèles pour mieux les détourner vers une voie singulière qui force le respect.

Passé un pré-générique Tarantinesque portant sur la nature d’un poisson, Sans pitié rentre dans le vif du sujet via le parcours du jeune prisonnier Jo Hyun-Soo (Si Wan) que Han Jae-Ho (Sul Kyung-gu), un chef de gang, va prendre sous son aile pour en tirer profit durant son incarcération et lors de sa future sortie. Parallèlement à cette situation le spectateur est amené à suivre l’inspectrice Chun In-Sook (Jeon Hye-jin-II) dans sa lutte pour arrêter Jae-Ho. Très vite les évènements vont prendre une tournure inattendue. Aux premiers abords Byun Sung-Hyun semble recycler tous les poncifs usités des ersatz de Tarantino : narration éclatée, humour complice, gangsters exubérants… pourtant deux éléments vont contredire rapidement ce jugement. Le pénitencier permet au cinéaste d’apporter du neuf sur un autre schéma lui aussi usité, l’ascension d’un caïd en zone de non droit. La mise en scène, bien que maniériste, joue son contrepoint humoristique à travers des idées ingénieuses qui font toujours sens avec le récit. Comme l’hilarante reprise de la Cène de Leonard De Vinci ou l’iconisation de Hyun-Soo. De nombreux éléments dramatiques viennent également parasiter l’ambiance décalée du long métrage, à mesure que les réelles motivations des protagonistes sont dévoilées au spectateur. Sans pitié se rapproche ainsi d’avantage du mésestimé Mise à prix que de Snatch. C’est d’ailleurs ce changement de ton, de plus en plus radical, qui permet au film de sortir des sentiers battus. La grande qualité de Sans pitié réside dans son traitement des faux semblants et de la perte de repère de Hyun-Soo à l’égard de Jae-Ho et In-Sook.

Dans les deux cas ces protagonistes sont le reflet d’un individu manipulé par un système qui le dépasse. Le point névralgique étant la relation privilégiée, pour ne pas dire paternaliste, qu’il entretient avec Jae-Ho. Au départ simple faire valoir du caïd, Hyun-Soo va très vite voir en ce dernier un mentor dans l’univers de la pègre qui le fascine de plus en plus. Pour traduire ce changement de psyché, la mise en scène, comme le montage, délaisse l’ostentatoire pour une approche de plus en plus élégante. La superbe arrivée de Hyun-Soo dans une boite de nuit russe filmée en steadycam en est un bon exemple. Le film révèle ainsi un traitement anachronique de la figure du gangster sur grand écran, qui redevient cette figure tragique où la question de l’honneur est primordiale. Jae-Ho devient un personnage introspectif contemplant le poids du passé et de ses erreurs. La manipulation narrative de Sans pitié n’est ainsi jamais gratuite dans la mesure où elle se base avant tout sur la perception faussée que ce fait Hyun-Soo des différentes personnes gravitant autour de lui. C’est justement ce traitement astucieux du jeu de miroir qui permet au film de dépasser le stade du cool pour toucher à une émotion sincère et tragique. De tragique il en est question dans le dernier acte, où la réalisation délaisse totalement tout artifice, opte pour un rythme beaucoup plus lent, se recentre sur l’intimité des personnages. Un souci d’épure qui prend tout son sens avec la terrible conclusion du long métrage qui fait de Sans pitié une véritable tragédie au sens antique du terme, soulignée par la musique qui confère aux dernières images une ambiance mélancolique qui reste gravée en mémoire.

Bien que le film baigne sous diverses influences visibles et facilement reconnaissables, et que l’ensemble mise avant tout sur l’efficacité de son scénario, Sans pitié réussit le pari de revigorer son héritage en mariant harmonieusement ses différentes sources, tout en renouant avec une dimension émouvante à l’opposé total de la production actuelle. À l’instar des récents Get Out, Tunnel et On l’appelle Jeeg Robot, le film de Byun Sung-Hyun s’inscrit dans un renouveau du cinéma d’artisan, délaissant la gaudriole post moderne, la hype publicitaire ou l’auteurisme ampoulé pour renouer avec une fabrication exigeante. Des longs métrages n’ayant pas la vocation de révolutionner quoi que ce soit, mais juste de proposer une œuvre personnelle et humble avec elle-même, soucieuse de respecter son public. Des atouts qui devraient garantir à des œuvres comme Sans pitié une certaine pérennité.

Au carrefour du film de prison et de gangster, Sans pitié est une réussite qui doit beaucoup à son scénario retord, son casting irréprochable et une mise en scène travaillée en accord avec son sujet. Un mariage d’influences et de ton (du comique au tragique) qui ne prennent jamais le pas sur l’émotion ressentie et qui confirme la possibilité de faire du neuf avec vieux, tout en se faisant plaisir. Une très belle surprise.

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7
10

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Auteur

Rédacteur pour Monsieur Bobine et Furyosa. Co-auteur de "L'oeuvre des Wachowski - La matrice d'un art social" chez Third Editions.

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