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Rencontres du cinéma britannique – Entretien avec Teddy Devisme

Aujourd’hui rencontre avec Teddy Devisme, auteur de l’essai Nouvelles voix du cinéma social britannique et directeur artistique des Rencontres du cinéma britannique d’Abbeville. L’occasion de revenir avec lui sur les coulisses et l’organisation de cet événement souhaitant faire connaitre une cinématographie encore aujourd’hui mal connue de par chez nous. 

Comment est né cet événement ?

L’événement est né d’une envie de passionnées, à la fois parce que nous aimons le cinéma et la culture britannique, mais aussi parce que nous voulons transmettre cela plus largement. Constatant que le cinéma britannique a du mal à trouver une place dans les salles françaises chaque année, nous désirons proposer le meilleur de son patrimoine et de ses nouveautés là où nous vivons depuis longtemps. De plus, c’est l’occasion de faire revivre une habitude qui s’est perdue, car à la fin des années 1990 jusqu’au début des années 200 existait « La semaine du cinéma britannique » au même endroit, dans la même salle de cinéma qui nous accueille.

La création de ces rencontres fut-elle semée d’embuches ?

Plusieurs difficultés se sont posées, et certaines se posent toujours – et continueront de se poser. La première étant qu’il fallait une association pour porter le festival. Nous avons donc créé une toute nouvelle association pour l’occasion. Puis est évidemment arrivé l’obstacle financier : obtenir un peu de subventions, essayer de trouver des partenaires, et faire avec les propres moyens disponibles. Ce qui a conditionné chaque idée, que ce soit d’un point de vue humain ou logistique. Mais avec notre passion commune, notre énergie et notre créativité, nous proposerons un très beau festival.

Pourquoi parler de rencontres plutôt que d’un festival ?

Il s’agit bien d’un festival. Il s’agit juste du nom de celui-ci, qui se veut évocateur de ce que nous cherchons à faire, de notre ambition à long terme. Nous souhaitons que le festival soit un lieu de rencontres : avec les films, avec les artistes dont les films seront diffusés, avec des invités d’autres disciplines, avec des professionnels divers (journalistes, critiques, enseignants, exploitants, producteurs, etc). L’objectif étant de (re)venir à la rencontre du cinéma britannique, un peu trop délaissé depuis plusieurs années en France.

Quel est votre rôle en tant que directeur artistique ?

Je suis d’abord à la direction du festival, avec une collègue déléguée générale. Alors qu’elle est principalement en charge des aspects administratifs, financiers et humains de l’organisation, je suis la personne qui donne « la couleur » et « l’identité » du festival. Par exemple, je définis le thème de l’édition (la couleur pour cette première édition), et je choisis comment la programmation doit s’articuler : les sections, les temps forts à avoir, la cohérence entre chaque moment et chaque animation, etc. Par conséquent je suis le programmateur : je réfléchis à des films adaptés au thème et aux orientations que l’on souhaite donner (les publics à toucher), je cherche la disponibilité des films, je négocie avec les ayants-droits, et je m’assure que les copies parviennent jusqu’au festival. De plus, je cherche des invités pour les projections, je cherche des partenaires (hors financiers) comme Femmes Solidaires ou LaCinetek, puis je m’occupe de la décentralisation. Tout ceci n’est qu’exhaustif et les principales tâches que j’effectue, car il est possible – en étant notamment à la toute première édition, que je donne un coup de main à des collègues sur les autres missions.

Parmi les sections importantes de ces rencontres on en retrouve une dédiée au cinéma de patrimoine, qui offre un bon panorama de ce que fut autrefois le cinéma britannique. 

Oui, il y a une forte tendance avec les festivals de proposer essentiellement des nouveautés / les dernières productions. Cependant, j’ai toujours estimé que le patrimoine doit continuer à vivre, et pas uniquement via les écrits. Parmi nos objectifs, nous avons à cœur de mettre en miroir le cinéma d’hier et le cinéma d’aujourd’hui. Et puis surtout, de permettre à des films parfois oubliés ou simplement méconnus de revivre, de retrouver le chemin des salles. C’est un travail de curation, en fait. Le cinéma britannique d’hier est si riche, si diversifié, et a été influent à sa manière, qu’il est important qu’il continue d’exister dans nos perceptions du cinéma. J’ai moi-même découvert le cinéma britannique grâce à un festival qui diffusait Brève rencontre de David Lean (1945). Comme le font si bien, par exemple, les festivals d’Amiens, de La Rochelle, Lumières de Lyon : le patrimoine peut toujours être (re)découvert et trouver un écho à notre époque.

Trois films en avant-première, comment s’est faite cette sélection ?

La sélection s’est faite après avoir visionné plusieurs films durant les mois qui ont précédé l’annonce de la programmation. Et elle s’effectue exactement comme avec les films de patrimoine, en vérité. C’est-à-dire selon la disponibilité des films, et la faisabilité financière pour le festival. Parce que si un film n’a pas d’ayant-droit français, il faut s’arranger avec l’ayant-droit britannique. Tout en sachant qu’il faut soit faire créer les sous-titres français, soit les louer à une entreprise ou à un festival qui les a déjà faits. De plus, nous n’avons pas beaucoup de créneaux disponibles, et plusieurs films ne peuvent pas être inclus. Enfin, une sélection d’avant-premières est également l’occasion de mettre l’accent sur des films à sortir prochainement et/ou sur des cinéastes actuels qui comptent pour nous.

On retrouve également une section jeunesse avec notamment Wallace & Gromit, mais également des oeuvres plus récentes et moins connues.

Tout à fait, l’éducation à l’image et la transmission aux jeunes publics sont très importants pour nous. Nous souhaitons être à la fois accessibles pour les plus jeunes, pour les scolaires, tout en leur permettant de (re)découvrir des films de qualité et qui furent surement plus discrets à leurs sorties. Ainsi nous diffuserons L’envolée de Eva Riley (2019) aux collégiens et lycéens, film d’initiation qui peut beaucoup parler à des adolescent-e-s. Puis nous diffuserons des courts-métrages d’animation dans une séance parents/enfants, mais leur spécificité est de dater des années 1950 à 1970, réalisés par le duo John Halas et Joy Batchelor. Il est donc possible d’allier le cinéma de patrimoine à l’éducation à l’image.

La sélection de courts-métrages permet de mettre en avant l’éclosion de nouveaux talents. 

Nous remercions fortement le festival This is England de Rouen pour cela. Car avec la collaboration de leur équipe organisatrice, et les autorisations enjouées des cinéastes concerné-e-s, nous pouvons diffuser douze courts-métrages dans un seul programme. Nous estimons qu’il est important de donner une place significative aux courts-métrages en festival. Car même si c’est parfois juste un tremplin vers de futurs longs-métrages (et donc être le cinéma de demain), c’est aussi un format en soi qui n’a rien à envier aux longs. Beaucoup de cinéastes font davantage de courts-métrages que de longs, et ils sont tout autant cinéastes. Leur visibilité est essentielle, encore plus dans un événement comme un festival.

On sent à travers ces diverses sections, l’envie de toucher un large public et pas seulement une niche cinéphile.

Exactement. Quand bien même les festivals de cinéma parlent davantage à des gens passionnés ou curieux de cinéma, c’est un lieu de partage et de transmission. C’est un lieu où nous organisateurs apportons notre soutien à des films et des cinéastes, tout comme ce n’est pas un espace fait pour qu’on le garde pour nous. Et cela qu’importe le type de passionné-e, de curieux-se, de cinéphile, de néophyte qui vivra de près ou de loin un festival de cinéma. Ainsi, il en faut pour tous les goûts et toutes les sensibilités, tout en gardant une cohérence et pertinence. Et nous, avec une certaine exigence au sein de la programmation, souhaitons que chaque édition ouvre plusieurs horizons et intérêts à des degrés différents.

Cela passe aussi par la transmission, via divers passeurs qui viendront à la rencontre du public. 

Bien sûr. Même si nous n’aurons pas d’invités concernant les films diffusés pour cette première édition, nous aurons des passeurs aux profils différents pour parler des films et du cinéma. Que ce soit à travers nous l’équipe d’organisation (où même les métiers sont différents) ; ou à travers une table ronde où le public retrouvera un enseignant, un critique et un réalisateur ; ou même à travers des débats à l’issue des projections sur des sujets autres qu’esthétiques. Pour reprendre une question précédente, et vous le dites vous-même dans l’énoncé de celle-ci, il s’agit d’aller à la rencontre du public avec nos connaissances et notre plaisir envers le cinéma britannique. Après les projections, tout cela appartiendra aussi au public, à leurs esprits, à leurs cœurs, à leurs cultures personnelles.

Pendant longtemps le cinéma britannique a été victime de mépris, notamment de la part de Jean-Luc Godard et François Truffaut. Aujourd’hui, avec l’importance qu’à pris le cinéma de patrimoine, cela semble être le bon moment pour réparer cette erreur.

Il était déjà bon au moment de leurs propos de déconstruire cet absurde préjugé et mépris sur le cinéma britannique. Mais fort heureusement, il y a toujours eu des personnes pour valoriser le cinéma britannique, peu importe la portée que cela a pu prendre. Depuis l’arrivée du numérique et des restaurations de plus en plus nombreuses, oui peut-être que c’est le moment idéal pour faire sortir le cinéma britannique de patrimoine de l’ombre, et lui redonner l’importance qu’il mérite. Que ce soit avec les œuvres d’avant guerre, avec les films des nombreux studios, avec le Free Cinema qui n’a rien à envier au néo-réalisme italien ou à la nouvelle vague française, avec les cinéastes réputés qui ont commencé à la télévision, avec l’école documentaire des années 1930, avec l’école de Brighton dès les débuts du cinématographe qui inventèrent le gros plan et le montage (entre autres), avec l’horreur et le fantastique de la prolifique Hammer, avec la réinvention nécessaire du mode de production suite à la politique de Margaret Thatcher, etc.

À quelques exceptions près on se rend compte que ce cinéma là reste très mal distribué en France, peut-on espérer une meilleure exploitation dans le futur ?

En effet, avant le Covid le Royaume-Uni tournait à environ 200 films produits par an depuis les années 2000, et depuis le Covid c’est environ 150 films produits par an. Pourtant, parmi les productions purement britanniques (en excluant les co-productions américaines, pays qui aide énormément l’industrie britannique depuis des décennies), même pas une dizaine arrivent dans les salles françaises. On peut tout de même saluer les efforts de distributeurs qui signent certains films (ED Distribution pour Enys Men, Condor pour Aftersun, UFO pour Blue Jean, Arizona pour L’envolée, etc), et saluer ceux qui permettent la ressortie de quelques films de patrimoine (Splendor pour la rétrospective Terence Davies, Tamasa et leurs coffrets Hammer et Au Cœur de la Nuit, Les films du camélia pour The Apoitment, etc). Evidemment, en tant que passionné du cinéma britannique, j’aimerais qu’il y en ai davantage de chaque. Nous espérons humblement qu’un festival supplémentaire puisse mettre davantage de lumière sur ces films, et un jour faire venir les professionnels (distributeurs et exploitants) au festival pour découvrir les nouvelles productions. Le cinéma britannique a terriblement besoin de retrouver de la considération et du soutien digne leurs nombreux talents, surtout depuis leur sortie de l’Union Européenne.

Y a-t-il des oeuvres et cinéastes britanniques qui vous tiendraient à coeur de faire découvrir prochainement. 

Et comment ! Il y a tellement de choses que j’aimerais faire au sein du festival, ne serait-ce qu’avec la programmation de films. Nous connaissons même déjà les thèmes des deux prochaines éditions (2025 et 2026), si bien sûr nous pouvons les mettre en place. Sinon, comme j’aime beaucoup le travail de curation, j’aimerais pousser la section patrimoine vers la redécouverte de raretés et de cinéastes (presque) oubliées : je pense à Bill Forsyth, à Muriel Box (la réalisatrice britannique la plus prolifique, après la seconde guerre mondiale), aux frères Boulting, au duo Launder & Gilliat, à Basil Dearden, à Derek Jarman, à Jane Arden, à Humphrey Jennings et tant d’autres !

Peut-on voir ces rencontres comme complémentaires au Dinard Festival du film britannique ?

Le Dinard Festival du Film Britannique et Irlandais (ils ont changé leur nom cette année) fait un travail magnifique et est une référence en France pour le cinéma britannique. Nous pouvons nous voir comme complémentaire de Dinard, ou de tout autre festival de cinéma britannique en France : il y en a de très beaux à Nîmes (Ecrans Britanniques), à Rouen (This is England), à Villeurbanne (Ciné O’Clock), à Ajaccio (Under my screen) et bien d’autres. Sans chercher à être complémentaires d’autres propositions et approches, nous cherchons surtout à apporter ces films là à une population / un public qui n’a pas accès à ces festivals car c’est bien trop loin.

Que peut-on vous souhaiter pour cette 1ère édition ?

Que le public puisse répondre présent, et que nous puissions continuer à être soutenu de toute part. Car nous voulons vraiment proposer un événement de qualité et de proximité, le tout fait avec nos petits bras.

D’autres projets en lien avec une seconde édition ou le cinéma britannique en général ?

Il y a quelques idées de côté pour la deuxième édition en Juin 2025, et des idées à long-terme. Nous espérons bien sûr, dans un avenir proche, faire venir des invitées de Grande-Bretagne et d’Irlande, créer des compétitions, montrer davantage de films, et augmenter le nombre d’animations. Mais pour l’heure nous nous concentrons à réussir cette première édition. Sinon, personnellement j’ai toujours l’ambition d’écrire de nouveaux ouvrages sur le cinéma britannique. Quand cette première édition sera passée, je reprendrai l’écriture d’un deuxième essai dont le sujet est déjà très bien défini et structuré.

Propos recueillis par Yoan Orszulik. Site des rencontres du cinéma britannique, vous pouvez également retrouver cet événement sur Facebook, Instagram, ainsi que Teddy Devisme sur Twitter, Instagram, Letterboxd et son ouvrage Nouvelles voix du cinéma social britannique.

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