Aujourd’hui semble-t-il définitivement installé dans le cinéma live action, avec Tomorrowland à venir, probablement suivi de 1906, c’est pourtant à travers l’animation que Brad Bird s’est fait un nom. Et avant son aventure Pixar avec Les Indestructibles et Ratatouille, il a signé ce petit chef d’œuvre du cinéma d’animation qu’est Le Géant de fer. Un classique aujourd’hui estimé mais qui fut un terrible échec commercial, accentuant la chute de Warner Bros. Feature Animation.
Le Géant de fer est un petit miracle. Au-delà du film en lui-même, sa naissance tient d’une conjoncture idéale pour ses auteurs. Adapté du livre pour enfants « The Iron Man » du poète et écrivain anglais Ted Hughes, un temps envisagé sous la forme d’un film musical, Le Géant de fer représentait une sorte de projet de la dernière chance pour Warner Bros. Feature Animation, qui s’était pris un violent revers avec l’échec d’Excalibur, l’épée magique de Frederik Du Chau (le studio produira encore deux longs métrages après Le Géant de fer : Osmosis Jones des frères Farrelly et Les Looney Tunes passent à l’action de Joe Dante, deux échecs successifs qui entraîneront la fermeture du studio jusqu’à ce qu’il renaisse de ses cendres sous la forme Warner Animation Group en 2014 avec La Grande aventure Lego). Avec un budget et des délais de production réduits, des équipes motivées mais en manque d’assurance, Brad Bird avait un sérieux atout en poche : une liberté quasi totale.

Les mains libres, sans vraiment avoir de producteur derrière son dos pour lui mettre la pression ou lui faire apporter des modifications, Brad Bird a pu exploiter son équipe de la meilleure façon qui soit, dans un cadre trois fois plus réduit que celui d’une production Disney ou Dreamworks. Et le résultat de cette saine émulation couplée à cette liberté d’action s’avère tout bonnement prodigieux. Quinze ans après sa sortie, Le Géant de fer n’a pas pris une seule ride et conserve sa place dans le cercle des plus belles réussites du cinéma d’animation. A la vision de cette merveille, le recrutement ultérieur de Brad Bird par Pixar tient de l’évidence : il a réussi avec son premier long métrage à fédérer absolument tous les publics, et ce récit qui comblera évidemment les plus jeunes mais n’oublie jamais le public adulte. Le Géant de fer est une sorte de fable humaniste, qui fait se rencontrer de façon incroyablement harmonieuse E.T. l’extraterrestre, King Kong, La Guerre des mondes, Terminator et tout un pan de l’animation japonaise consacrée aux mechas gigantesques. Le tout dans un récit d’une modernité absolue, bien que prenant racine en plein décor de guerre froide. Le tout pour poser une question aussi absurde que fondamentale : les armes ont-elles une âme ?
Tout Le Géant de fer tourne autour de cette idée. Brad Bird questionne ainsi un des principes fondamentaux de la philosophie américaine, étayant une véritable démonstration par l’absurde aboutissant sur un message profondément anti-militariste, tout en restant respectueux des institutions militaires. Ainsi, Le Géant de fer s’impose comme une satire extrêmement intelligente, dans la mesure où le film ne se contente pas de taper bêtement sur des cibles faciles ou de s’en moquer. De façon bien plus fine, parfois très corrosive, dans un esprit assez proche de Docteur Folamour, ou: Comment j’ai appris à ne plus m’en faire et à aimer la bombe, le film va tourner en dérision la peur de l’arme absolue. Cela à travers une construction éminemment cinématographique, très proche du cinéma live, notamment via son découpage. Entre traitement frontal et allégorie poético-mécanique, Le Géant de fer délivre son beau message avec une grâce de chaque instant.

Il est saisissant de noter à quel point le film aura eu un impact, même discret (parfois un simple mouvement de caméra) sur le cinéma américain à grand spectacle, du King Kong de Peter Jackson à Pacific Rim, en passant par A.I. intelligence artificielle. Tout simplement car Le Géant de fer contient absolument tous les éléments définissant une fable humaniste alimentée au merveilleux. Et chez Brad Bird, tout se passe dans la nuance et dans l’ascenseur émotionnel. A titre d’exemple, très tôt dans le film il montre une salle de classe dans laquelle est diffusée une vidéo expliquant comment se protéger en cas d’attaque nucléaire. Une vidéo évidemment parodique, la solution prônée étant de se cacher sous une table. Dans le final, lorsque la menace devient bien réelle, l’heure n’est plus à l’humour et le rappel de ces consignes prend tout à coup une tonalité très amère. Tout le film joue ainsi sur une ligne alternant légèreté et gravité afin de bâtir un véritable socle tragique, même si l’épilogue est là pour apporter un nouveau souffle salutaire. En jonglant avec les émotions du spectateur, parfois réellement malmené, Brad Bird prouve tout son talent de conteur et signe ni plus ni moins qu’un véritable classique dont le destin est clairement de traverser les âges sans que sa puissance ne faiblisse, à l’image de son magnifique robot géant, cette arme qui se découvre une âme. L’intelligence du propos critique se retrouve d’ailleurs dans l’opposition entre un agent fédéral, représentant une brillante caricature de la paranoïa gouvernementale (ici liée à la guerre froide mais applicable à toute autre situation de crise, et un haut officier censé représenter l’aveuglement militaire mais qui s’avèrera incarnation du pragmatisme des puissants.

Le tout emballé dans cette folle histoire d’amitié entre un enfant et un géant d’acier venu d’ailleurs. Une histoire d’émerveillement et d’éveil à l’autre, traitée avec une forme de naïveté très belle, digne des plus grands mythes entre l’homme et le monstre (ou l’étranger, par extension). Bourré d’humour, d’action et d’émotion, avec une mise en scène qui exploite parfaitement le rapport d’échelle entre un enfant et cette créature géante, qui pose une profonde réflexion sur la politique d’armement de l’Amérique, Le Géant de fer avance tout en douceur mais à un rythme d’enfer. Mais surtout tout en subtilité et sans aucune forme de manichéisme, à l’image de ce robot qui représente à la fois l’arme ultime et la solution ultime contre les armes à feu. A ce titre, cette scène pendant laquelle sa nature se révèle lorsqu’un cerf se fait tirer dessus, contenant toute l’ambivalence de cette créature à laquelle Vin Diesel prête sa voix puissante, est toute simplement prodigieuse.