Parmi les festivals de cinéma en train d’éclore ces derniers temps, le Festival des sortilèges, dont la 1ère édition se tiendra le 21 et 22 Juin au Cinéma Majestic Bastille de Paris, a pour ambition de croiser le 7ème art, son histoire, à celle des divers courants féministes. L’occasion d’évoquer les coulisses de cet événement en compagnie de Celia, présidente et directrice artistique du festival.
Comment est né ce projet ?
Du constat que la figure de la sorcière est investie en force ces dernières années. Elle avait été toujours présente, surtout en littérature adulte/jeunesse et cinéma, et c’est ce pourquoi elle demeure une icône pop très prégnante. Cependant j’ai remarqué une densité d’œuvres pour adultes dépassant les arts visuels habituels, dans les arts graphiques avec beaucoup de bandes dessinées, les arts performatifs avec de plus en plus de spectacles & pièces de théâtre, et en festivals je recevais beaucoup de courts-métrages sur les sorcières. Et dès qu’il y a des projections de films autour des sorcières, cela suscite encore de la curiosité. Je me suis donc demandée si cela vaudrait le coup d’y consacrer un festival interdisciplinaire sur ce symbole des féminismes afin de faire dialoguer les arts, les générations et les points de vue sur les représentations de ces femmes dans toutes les cultures du monde. Chaque édition ultérieure fera un focus sur un pays ou une civilisation ayant traité de ces représentations dans ses arts afin de visibiliser ses cultures, ses artistes & ses œuvres (pour beaucoup invisibilisées). L’idée était aussi de mettre à l’honneur des femmes de tout âge : des personnages de ces œuvres, pour certaines inédites en France par des réalisatrices émergentes notamment, avec notre illustre marraine Xavière Gauthier et des intervenantes de tout horizon.
Quelles sont les difficultés que l’on rencontre lorsque l’on monte une première édition ?
Le budget avant tout car il est basé sur mes économies personnelles pour ce démarrage. Donc il fallait tout faire tenir dans cette contrainte première, tout en assurant une ambition artistique : trouver le juste équilibre entre des œuvres populaires et confidentielles, patrimoniales et contemporaines, et dont la qualité esthétique pour une projection sur grand écran puisse être spectaculaire. Aussi, je voulais qu’il soit accessible en politique tarifaire, pour cela il fallait que les films aient des visas pour une projection commerciale (aucun bénéfice pour le festival), donc soit déjà distribués, soit acheter leurs droits et demander un visa temporaire, si bien qu’il a fallu composer ce juste milieu entre rareté éditoriale et contrainte financière/administrative avec des films existants en billetterie CNC. De même, déjouer la suspicion envers un festival féministe qui programmerait aussi des hommes en œuvres et intervenants, car c’est un festival inclusif défendant les luttes féministes, peu importe ce qu’on a dans le slip/la culotte, ce qui compte c’est d’être les plus nombreux à y être sensibles et défendre l’arrêt des violences faites aux femmes.
Comment l’universitaire Xavière Gauthier en est venue à être la marraine de ce festival ?
Je voulais une personnalité forte ayant bataillé pour notre présent et les droits (fragiles) qu’on a acquis grâce à sa génération, elle est apparue comme une évidence car elle fut la co-fondatrice de la revue Sorcières qui embrassait déjà tellement de problématiques, encore actuelles, concernant les femmes. Je l’ai sollicitée et elle a accepté d’être notre marraine pour cette première édition. J’en suis ravie car elle reste très active, combative, et demeure inspirante pour des jeunes, son appel aux nouvelles sorcières à prendre le relais continue de se faire entendre.
Des films, des rencontres, le festival semble transversal ?
Il pourrait l’être plus, mais j’ai dû m’adapter au lieu qui reste avant tout une salle de cinéma. J’avais un concept interdisciplinaire et décloisonné de départ qu’il m’a fallu réadapter à la configuration du lieu. Il reste dans l’intention initiale de faire dialoguer des points de vue, de différents arts, disciplines, médiums, générations au sujet d’un fait de société : la violence sexiste envers les femmes. Comme il s’agit de s’emparer de cette figure de la sorcière ayant infusé la culture populaire, c’est de faire parler cette dernière et de notre rapport à elles deux.
On sent une volonté de toucher un public plus large que celui des cinéphiles.
Tout à fait, le cinéma est un médium populaire et puissant, mais notre culture se nourrit de tout : arts & technologies, et de leurs mutations. Puis le cinéma fut d’abord muet, donc je voulais aussi que ce médium soit adressé à des mélomanes lors de la Fête de la Musique, mais pas que. On peut aimer un art, plusieurs… l’idée est que chacun nous imprègne, que nous en pratiquons peut-être un aussi et nous nous en inspirons pour notre propre vie. Nous rassembler lors d’une séance pour un partage d’émotions, sensibilités, réflexions et débats autour d’œuvres pluridisciplinaires afin de promouvoir le respect des femmes, voilà l’objectif du festival pour ses publics.
Parmi les invité⸱e⸱s on retrouve de nombreuses figures de la cinéphilie contemporaine : Léon Cattan, Demoiselles d’horreur, Fleur Hopkins-Loféron & Olivier Rossignot
Oui ces invité⸱e⸱s y contribuent chacun⸱e à leur manière car i⸱e⸱ls héritent de toute cette culture populaire, la remettent en question et analysent sa portée sur différents médiums. Leurs points de vue complémentaires seront enrichissants à croiser lors du débat avec le public sur les représentations des sorcières d’hier et aujourd’hui dans notre culture populaire, qui s’est complétée d’univers vidéoludiques, de canaux de diffusion immédiats à la puissance instantanée…
Dans la programmation on sent une volonté de créer un pont entre passé et présent, à travers les projections de Häxan et The VVitch.
Au départ je souhaitais projeter les tout premier et dernier longs-métrages sur les représentations des sorcières avec deux courts-métrages contemporains inédits. Häxan était donc naturellement le tout premier choix de qualité pour cette édition inaugurale (non « géolocalisée », contrairement aux prochaines éditions) et j’aime beaucoup le line-up de Potemkine films, donc c’était aussi un choix de distributeur/éditeur indépendant à mettre en avant pour ce festival naissant. Puis je voulais programmer le plus récent, mais tellement récent que sa post-production n’est toujours pas finalisée en juin : Wicked de Jon M. Chu, les effets spéciaux très nombreux sont encore en finition et le film étant daté pour Thanksgiving, le 22 juin était encore trop avancé pour la livraison d’un film fini et sous-titré, mais cela aurait été une magnifique AVP si nous avions pu le projeter! Alors comme dans le catalogue d’Universal Pictures, il y avait aussi un incontournable sur notre thématique qui avait rencontré un succès critique, mais pas public au moment de sa sortie. Il était alors évident de projeter The VVitch qui fut les débuts en long-métrage pour Robert Eggers et Anya Taylor-Joy. De nouvelles générations de publics ne connaissent pas leur premier film ensemble, d’autres voudront le revoir sur grand écran, donc c’est l’occasion unique de le reprogrammer et d’être éblouis par le final spectaculaire sur l’écran panoramique du Majestic Bastille. De plus, avec l’actualité de Furiosa et la notoriété de Taylor-Joy depuis la série Le Jeu de la Dame, il était clair que parmi les films les plus récents, c’était un des plus intéressants à montrer sur cette hystérisation et aliénation ciblant une adolescente se découvrant et ayant mal joué d’une mauvaise blague sur le fait qu’elle serait sorcière. Donc cela peut être un beau galop d’essai pour le festival de mettre en miroir deux films à près de 100 ans d’écart.
La sorcellerie au cinéma est intimement liée au sous genre de la folk horror, qui connaît un regain d’intérêt ces dernières années. Comment expliquez vous ce phénomène ?
J’ai comme l’impression que plus le XXIè siècle est technologique et en perte de sens, plus les gens ont besoin de repères permettant de se sentir appartenir à un groupe/une communauté (passion artistique, implication politique, spiritualité mystique, etc…). Cette tension pouvant apparaître contradictoire me fait sentir que des créateurs désiraient réaliser des œuvres questionnant cette dynamique dans la folk-horror et s’adresser à des publics aimant à se faire peur, à trouver des pistes de compréhension à ces réflexions, et comment la folk-horror et les films de genres sont symptomatiques d’un état d’esprit, d’une époque, d’une politique. En se réappropriant les codes de la folk-horror, on tend un miroir à notre présent, est-ce qu’on a vraiment évolué dans nos peurs les plus primitives ? Cela permet de se rendre compte que finalement pas tant que cela, c’est même le fil conducteur dans notre humanité à tous les conflits et les exclusions, on rejette ce qui nous fait peur, et ce, de tout temps.
Peut-on y voir une corrélation générationnelle avec le fait que la sorcière était très présente dans la pop culture des années 90, début des années 2000 ?
J’estime que chaque décennie va influencer une nouvelle génération, les œuvres se répondent, se poursuivent, s’émulent, construisent des ponts… je cherche plutôt ce qui permet de représenter la diversité, et comment les représentations des sorcières évoluent en sortant des poncifs chapeau pointu par exemple, mais ce dernier peut être aussi drôle à montrer justement avec le recul !
Quelle est la place du Festival des Sortilèges dans la nouvelle cinéphilie féministe ?
Celle des films de genres défendant sciemment et consciemment le respect dû à l’humain, surtout à sa plus grande minorité : les femmes. On ne cherche pas à ne pas montrer que les femmes sont violées, torturées et tuées en fictions/documentaires pour le plaisir avéré de misogynes voulant exciter leurs déviances par des œuvres traitant des persécutions des femmes, mais à diffuser les créations défendant des femmes qui par leurs savoirs, pouvoirs, sexualité, singularité physique/psychique/intellectuelle, leur liberté et sortant du lot, sont systématiquement discréditées et méprisées. L’insulte facile fuse, on se fait traiter de ‘sorcière’ si on ne rentre pas dans le moule au mieux, dès qu’on dit ‘non’, on est de suite agressée verbalement, physiquement au pire. En revanche, je ne souhaite pas non plus projeter que des films d’horreur et des drames, c’est un tropisme qu’on retrouve quand on programme un festival défendant des causes concernant les minorités ou droits humains, on en sort souvent avec le moral à 0 car ce sont des récits épouvantables de violence, et j’ai tout de même envie d’y trouver dans les futures éditions des comédies, comédies musicales… entre autres.
De nouveaux festivals de cinéma apparaissent ces derniers temps, comment interprétez-vous ce phénomène ?
Une crise contre des dirigeant⸱e⸱s historiques abusif/ves de festivals, une envie de pluralité et diversité dans les programmations, d’un nouveau souffle pour une nouvelle génération…. c’est cyclique, ça se renouvelle, et tant mieux ! Tant que l’énergie et le désir de partager avec des publics des coups de cœur seront là, il faut en profiter, on n’a qu’une vie (je ne crois pas en la réincarnation) et je voudrais que cette aventure trouve sa place dans la riche et généreuse offre culturelle francilienne.
À l’instar de ces derniers, le Festival des Sortilèges semble davantage axé sur la découverte que sur la compétition.
Tout à fait, c’est volontaire ! Si j’avais voulu me faciliter la vie, j’aurais construit une compétition de films afin de les programmer gracieusement et obliger les ayant-droits à s’occuper eux-mêmes du sous-titrage, cela nous aurait fait économiser du budget, du temps et de l’énergie. Néanmoins, cette volonté était de ne pas avoir à imposer un énième classement à des œuvres qu’on a aimées subjectivement, on avait déjà fait un tri pour n’en programmer que 2 pour cette première, mais chacun a ses atouts, et on pourra les montrer par la suite à une prochaine occasion, il n’y a pas de critère de récence, car on veut montrer des films qui n’ont pas forcément trouvé le chemin des écrans pour de multiples raisons. C’est une seconde chance pour certains d’une certaine manière d’être vu en France. Là pour les 2 courts-métrages sélectionnés de cette édition ce sont des inédits, en première française.
Que peut-on vous souhaiter pour cette 1ère édition ?
Du public en nombre, de la curiosité, des partages et des échanges, des retours constructifs… et plus trivialement, des adhésions et des dons afin de financer la deuxième édition que je souhaite encore plus riche, inédite et ambitieuse avec Dulac cinémas !
Propos recueillis par Yoan Orszulik.
Billetterie pour Le Festival des Sortilèges. Vous pouvez retrouver sur leur site internet, ainsi que sur Facebook, X/Twitter, Instagram, Threads, BlueSky, et YouTube.