Old Boy est un film extrêmement problématique. Non seulement il s’agit bien évidemment d’un film très impersonnel pour un Spike Lee qui n’est pas vraiment sur une pente ascendante, non seulement il s’agit d’un remake franchement inutile, si ce n’est pour permettre au public américain de découvrir cette histoire sans avoir à lire les sous-titres d’un film coréen, mais il s’agit en plus d’un film sortant dans une version largement amputée. Pourtant, même si tout joue contre lui, Old Boy n’est pas le film honteux attendu. Ce qui n’en fait pas un très bon film pour autant.
Si Spike Lee devient, un peu plus à chaque intervention, un être détestable (son dernier fait d’armes consistant à humilier publiquement un designer freelance non rémunéré pour les posters d’Oldboy), il reste un cinéaste important, avec derrière lui une carrière qui en impose, ponctuée de tours de force inoubliables. Do the Right Thing, Summer of Sam ou La 25ème heure, l’existence de ces trois films oblige à ne pas oublier ce réalisateur qui a toujours des choses à dire. Le cas Old Boy est particulier. Quelques années après la sortie, et le succès d’Old Boy, le seul et l’unique, un projet de nouvelle adaptation du manga de Garon Tsuchiya et Nobuaki Minegishi avec Steven Spielberg à la réalisation et Will Smith dans le rôle principal a vu le jour. Un projet abandonné suite à un imbroglio autour des droits d’adaptation qui a finalement amené Spike Lee à la tête du remake. Un remake qui ne devait pas en être un à l’origine, même si le résultat final ne laisse aucun doute quant à sa fonction de calque parfois très précis. L’utilité de faire un remake d’Old Boy n’étant pas vraiment flagrante, tant Park Chan-wook a traité le sujet à la perfection, ce projet s’est rapidement attiré les foudres des observateurs. Et ce jusqu’à sa sortie sur le territoire américain, où le film se fait massacrer par la critique et risque bien de n’être qu’un échec cuisant au box office.

Un des problèmes majeurs d’Old Boy, en l’état, vient du fait que le projet, déjà très impersonnel à l’origine, a complètement échappé à Spike Lee. En effet, si le réalisateur et Josh Brolin semblaient plutôt heureux du montage original frôlant les trois heures, la durée du film a été ramenée à 1h45 afin de rechercher l’efficacité de la série B avant tout, de quoi faire enrager Spike Lee qui est allé jusqu’à effacer son traditionnel « A Spike Lee Joint ». Ce fameux montage de trois heures apporte sans aucun doute quelque chose de fondamental au film, notamment au niveau de la caractérisation de personnages qui n’est pas loin de frôler le néant dans cette version, mais est-ce qu’une heure supplémentaire en ferait pour autant un bon film ? Pas certain, car cet Old Boy souffre d’un souci que rien ne pourra effacer : la comparaison avec son aîné. Concrètement, ce remake adopte plus ou moins la même structure manipulatrice, sur laquelle viennent se greffer quelques éléments nouveaux logiquement liés à la culture occidentale. Ainsi, le propos religieux est très appuyé, jusqu’à la pénitence finale qui ne passe cette fois plus par l’automutilation, élément sans doute trop asiatique, trop extrême pour être compris. Spike Lee fait se multiplier les motifs catholiques dans le cadre, même s’il garde un petit bouddha pour le folklore. Les modifications les plus importantes viennent des motivations profondes du bourreau et de son passé, mais également d’une nouvelle forme de manipulation du spectateur. Cet élément, étonnant, est clairement la plus belle idée du film car il joue avec les attentes et déceptions du spectateur n’étant pas étranger au film original. Mais pour le reste, si Old Boy est un film techniquement très solide et bourré de qualités, il peine à dépasser le statut de copié/collé un peu maladroit qui passe légèrement à côté de son statut attendu de revenge movie.

Lorsqu’un élément du film original est modifié, ou abandonné, il se retrouve chez Spike Lee sous la forme d’un clin d’œil. Un parapluie par ici, un poulpe par là, un marteau, une langue coupée, des ailes d’ange… tout y est, ou presque. Pourtant, Old Boy passe à côté de séquences essentielles. Les erreurs les plus flagrantes se trouvent lors de la phase de détention qui n’exploitent que trop peu les hallucinations de Josh Brolin (le cauchemar des fourmis prenant la forme d’un groom noir le temps d’une unique scène) ou ses frustrations, notamment sexuelles. A tel point que la suite des évènements et une scène fondamentale n’ont plus vraiment de sens. C’est un peu là que le bas blesse, la narration d’Old Boy se contente d’enchaîner des séquences bien connues de quiconque a déjà vu l’original, mais l’ensemble manque cruellement de cohérence. Un défaut que règle sans doute le montage original. Ici, c’est l’inconscient et la mémoire du spectateur qui reconstruit le puzzle plus que le déroulé du récit lui-même. Cela pourrait être gentiment insupportable si Spike Lee ne traitait pas son sujet avec une vraie maestria dans la mise en scène. Peu de séquences sont vraiment mémorables ou représentent un vrai challenge technique, mais l’ensemble s’avère plus que solide. Un beau boulot d’artisan, qui n’arrive toutefois pas au niveau de ce qu’avait réussi Park Chan-wook. D’autant plus que Spike Lee foire légèrement LA scène, à savoir la grosse baston en plan séquence qu’il tente de réinterpréter dans le mauvais sens (la scène a d’ailleurs subi des coupes sévères au montage). Mais il y a dans cet Old Boy de purs moments de folie, de sauvagerie, de violence sadique à la limite du soutenable, qui en font un drôle d’objet hardcore, par intermittences. Il s’en dégage une vraie cruauté et une bestialité qui trouvent une superbe incarnation dans un Josh Brolin impressionnant. A ses côtés, Elizabeth Olsen ne fait malheureusement pas le poids face à Kang Hye-jeong, la faute à un personnage peu façonné, tandis que Samuel L. Jackson et surtout Sharlto Copley assurent le quota de prestations totalement débridées en bad guys en roue libre. La magnifique photographie de Sean Bobbitt et les notes dérangeantes de Roque Baños finissent d’enfoncer le clou : au-delà de l’inutilité flagrante de ce remake, et malgré toute l’application dont il fait preuve, Old Boy est un immense gâchis de talents. Reste à voir si la version longue verra le jour dans un avenir proche et si elle y change fondamentalement quelque chose.