Close

Login

Close

Register

Close

Lost Password

Doctor Strange in the Multiverse of Madness – Critique

Marquant le retour de Sam Raimi au cinéma après 9 ans d’absence, Doctor Strange in the Multiverse of Madness est une oeuvre bien en deçà de ce à quoi le brillant cinéaste nous avait habitué par le passé. Un long métrage dont les quelques sursauts sont l’occasion de constater à nouveau le fonctionnement pernicieux de Kevin Feige à l’égard de ses productions, mais également l’impasse artistique à laquelle fait désormais face le réalisateur des trilogies Evil Dead et Spider-Man. 

Janvier 2020, suite à des différents artistiques avec Kevin Feige, Scott Derrickson quitte la réalisation du second volet de Doctor Strange. Le scénario se voit réécrit par Michael Waldron, ancien collaborateur de Dan Harmon sur les séries Community et Rick & Morty, et devenu showrunner de la série Loki. Jennifer Kent, qui avait déjà refusé la mise en scène de Captain Marvel pour se consacrer à The Nightingale, décline à nouveau l’offre de Kevin Feige. Il en sera de même pour Ari Aster et Mike Flanagan. Sam Raimi, qui s’était promis de ne plus reprendre les rênes d’un film estampillé Marvel après les déboires rencontrés sur Spider-Man 3, accepte finalement de reprendre la réalisation sous forme de défi, afin de travailler sur un projet dont la production est immédiate. Deux de ses collaborateurs, le compositeur Danny Elfman et le monteur Bob Murawski, le rejoignent avec Bruce Campbell et Scott Spiegel. Le britannique John Mathieson, ancien collaborateur de Ridley Scott ayant travaillé depuis sur diverses productions (Logan, Marie Stuart: Reine d’Écosse) se charge de la photographie. Le reste de l’équipe technique est composée des habitués du MCU: le chef décorateur Charles Wood et la monteuse Tia Nolan. Cette dernière déjà à l’oeuvre sur Avengers: Endgame, assiste Murawski au montage. Les compagnies Sony Pictures Imageworks, ILM, Weta et Digital Domain, se partagent les effets visuels. La distribution du précédent opus reprend du service : Benedict Cumberbatch, Benedict Wong, Rachel McAdams, Chiwetel Ejiofor, rejoints par Elizabeth Olsen et Xochiti Gomez. La pandémie de Covid-19 repousse le tournage initialement prévu en mai 2020 à septembre de la même année à Londres, pour être de nouveau mis en pause en Janvier 2021 suite à la recrudescence des cas de Covid-19 au Royaume Uni, avant de reprendre mi-mars pour se terminer fin avril. Cependant après des projections tests négatives, et les divers problèmes liés à la gestion de la pandémie, d’importantes sessions de reshoots sont organisées entre novembre 2021 et janvier 2022, liés à la cohérence du récit ainsi qu’au Multivers.

Alors qu’il assiste au mariage de son ex-fiancée, le Dr. Christine Palmer, Doctor Strange se voit contraint d’affronter un démon pieuvre dans New-York. Durant son combat Strange en vient à sauver America Chavez, une jeune fille dont il a rêvé la nuit précédente. Cette dernière lui apprend qu’elle fuit des monstres à travers diverses dimensions en essayant de mettre la main sur le Livre de Vishanti susceptible d’en venir à bout. Stephen Strange s’en va consulter Wanda Maximoff qui se révèle être à l’origine de ses manifestations, grâce au Darkhold. Suite à l’attaque du Kamar-Taj par cette dernière, America Chavez et Strange se retrouvent propulsés sur Terre-838. Le duo va devoir retrouver le Darkhold ainsi que le Livre de Vishanti afin de contrecarrer les plans de la sorcière rouge. Pour bien comprendre les problèmes de Doctor Strange in the Multiverse of Madness, il est important de rappeler le parcours Sam Raimi. Lorsque Evil Dead débarque dans les salles au début des années 80, le film connait un retentissement dépassant le cadre du cinéma d’horreur indépendant, au point d’obtenir les louanges de personnalités aussi diverses que Stephen King et Federico Fellini. Les raisons étant que Sam Raimi était parvenu à dépasser les contraintes budgétaires et un postulat basique du cinéma d’exploitation, par le biais d’une mise en scène renouant avec l’inventivité baroque du cinéma des origines telle que pouvaient la pratiquer Murnau, Einseinstein ou encore Abel Gance. Une volonté de libérer la caméra des contraintes physiques pour exprimer par l’image les sentiments des personnages, la fameuse caméra émotionnelle théorisée par le chef opérateur Sergey Urusevskiy sur ses collaborations avec Mikhaïl Kalatozov. En cela la démarche de Sam Raimi poursuivait celle amorcé par le japonais Nobuhiko Ôbayashi sur House, 4 ans auparavant, et que l’on retrouvera également du côté de la nouvelle vague Hong Kongaise des années 80-90. Une approche qui va faire école chez de nombreux cinéastes. Du néo zélandais Peter Jackson au britannique Edgar Wright, en passant par le japonais Shin’ya Tsukamoto, le sud coréen Park Chan-wook, les français Jan Kounen et Alain Chabat ou encore les soeurs Wachowski. Tandis que de nombreux metteurs en scènes ne cesseront de vouer une grande admiration au réalisateur d’Evil Dead : Martin Scorsese, qui dira le plus grand bien de Spider-Man, les frères Coen, Quentin Tarantino, David Fincher, Guillermo del Toro ou la récente palmée Julia Ducournau. Reconnu de ses pairs, mais ayant passé de nombreuses années à parfaire son style avec l’humilité d’un artisan touche à tout, la consécration que connait Sam Raimi au début des années 2000 avec ses adaptations de Spider-Man, n’empêchera pas ce dernier d’avoir beaucoup de mal à s’adapter au changement de paradigme des studios. Ayant galéré pendant 9 ans à monter divers projets, dont un remake du Prophète de Jacques Audiard, le retour de Raimi au sein d’un MCU ayant contribué à uniformiser toute proposition cinématographique, fait figure de retour par la petite porte et rappelle fortement la période où d’autres artisans caméléons comme Robert Wise, Richard Fleischer ou John Frankenheimer eurent du mal à s’adapter au nouveau fonctionnement des majors au point d’enchaîner les commandes impersonnelles pour espérer poursuivre leur carrières : L’odyssée du Hindenburg, Conan le destructeur, L’Île du Dr. Moreau… .

Sans surprise le deuxième opus de Doctor Strange ne déroge absolument pas à la règle des précédentes oeuvres supervisées par Kevin Feige. Bien que ce dernier ait déclaré vouloir livrer une oeuvre horrifique au point que le titre est une référence avouée à L’antre de la folie de John Carpenter, l’indigence narrative est de nouveau de mise, au point de rendre un récit à priori limpide incompréhensible. Une trame scénaristique faisant fit de toute concision où seules comptent les connexions avec les oeuvres du MCU, en l’occurence WandaVision, What If…? et même le futur Quatre Fantastiques. En dépit d’une allusion introspective au détour d’une projection holographique, Strange et America Chavez sont réduits à l’état de coquilles vides se contentant d’explorer certaines zones du Multivers comme de simples spectateurs, au point que la nouvelle venue du MCU ne sert qu’à débloquer l’avancée du récit, à la manière d’un personnage cheaté dans un jeu vidéo. C’est d’autant plus dommage que l’idée d’un duo explorant le Multivers aurait pu donner un très beau récit ludique et existentiel où notre duo aurait été confronté aux possibilités de vies alternatives représentées par leurs divers doubles. Même constat du côté de Wanda Maximoff où son trauma lié à la perte de ses enfants est réduit à un simple gimmick horrifique dévitalisant le peu d’intelligence émotionnelle présent dans WandaVision, au point qu’on assiste à sa destinée tragique dans une totale indifférence. L’intrigue voit également ses personnages répéter toutes les 10 minutes l’enjeu du film. Faisant fi de toute considération pour la diégèse, Doctor Strange in the Multiverse of Madness multiplie les cameos et aberrations allant, à l’instar de Spider-Man: No Way Home, jusqu’à ramener sans explication un tant soit peu logique, un personnage pourtant mort. Ici le professeur Xavier des X-Men. Une négation absolue de la narration qui refuse toute implication du spectateur dans l’histoire, dont tente de s’accommoder tant bien que mal Sam Raimi. Trop souvent réduit par ses fans et une partie de la critique à un cinéaste jouant sur des mouvements de caméra agressifs au service d’effets horrifiques grand guignolesques, la grande force du cinéma de Sam Raimi se situe pourtant dans ses talents mésestimés de conteur où la narration visuelle hyperbolique sait s’adapter aux besoins de récits tournant autour de tragédie familiales comme celles de Mort ou vif, Un plan simple ou Spider-Man. L’humanisme brisé des personnages principaux hantant ses oeuvres y côtoie une dimension opératique propre à la tragédie grecque. N’hésitant pas à jouer sur divers degrés de lecture subtils via sa mise en scène, comme le rappelait récemment Judith Beauvallet dans son analyse de Jusqu’en Enfer. À l’instar de Peter Jackson et des soeurs Wachowski, l’une des principales forces du cinéma de Sam Raimi se situait du côté de sa candeur, dans sa manière de retranscrire par son approche de la mise en scène et sa direction actorale des émotions sensibles touchant à une vérité humaine. Une approche naïve diront les plus cyniques, mais qui faisait en grande partie l’interêt de ses oeuvres et celle de ces collègues précités, rapprochant à nouveau ces derniers de nombreux cinéastes à l’oeuvre en Asie. Cependant cette approche hyperbolique a besoin d’une relative marge de manoeuvre pour pouvoir s’exprimer pleinement, sinon ce dispositif fragile s’effondre automatiquement créant de facto un résultat indigeste à l’écran.

En cela le visionnage de Doctor Strange in the Multiverse of Madness s’apparente beaucoup à celui de Mission: Impossible 2. À l’instar du deuxième volet des aventures d’Ethan Hunt, les pérégrinations de Doctor Strange dans le Multivers sont l’occasion d’assister à une oeuvre totalement schizophrène, où les exigences d’un producteur au sommet de sa mégalomanie côtoient la volonté d’un cinéaste d’appliquer coûte que coûte son style au point de sombrer dans l’auto parodie. Cependant, si John Woo parvenait à livrer quelques morceaux de bravoure : le flamenco, la poursuite en moto… ce n’est malheureusement pas le cas de Sam Raimi. Ce dernier se contente de reproduire sans inventivité des éléments vus dans la trilogie Evil Dead, donnant l’impression de voir un fanboy reproduire ses moments favoris dans la franchise sans jamais comprendre la musicalité de la narration visuelle. L’ensemble étant réduit à des gimmicks visuels souvent embarrassants de par leur lourdeur, y compris le cameo de Bruce Campbell réduit à rejouer avec sa main possédée. Pire est la manière dont le traitement visuel de certains éléments horrifiques, notamment l’apparition de la sorcière rouge sortant d’un reflet, renvoient aux heures les plus sombres de la production horrifique américaine du début des années 2000. Lorsque Hollywood, notamment Sam Raimi via sa boite de production Ghost House Pictures, s’était mis en tête de remaker à tout va les classiques de la J-Horror. À cela vient s’ajouter de vraies carences en mise en scène, notamment un combat mano à mano entre Strange et Mordo illisible, où on a bien du mal à croire qu’il s’agit du même cinéaste ayant orchestré il y a 20 ans un affrontement entre Spider-Man et le bouffon vert dans le climax des premières aventures de l’homme araignée. De son travail l’ayant rendu célèbre auprès d’un large public, Sam Raimi profite du combat ouvrant le film pour reprendre, encore une fois sans idée autre que le copier-coller, certains plans issus de Spider-Man 2, avec le démon pieuvre à la place du Docteur Octopus, sans jamais tenter de renouer un tant soit peu avec l’approche kinétique décrite par Thomas Manceau dans son analyse de l’action dans la trilogie Spider-Man. À l’instar de nombreux cinéastes ayant tenté l’aventure du MCU : Shane Black, Chloé Zhao… les caractéristiques du cinéma de Sam Raimi sont réduites à l’état de simples gimmicks caricaturaux et superficiels, comme un nouveau filtre Instagram censé donner une plus-value à un produit au final identique.

Cependant malgré tous ses défauts, rendant le visionnage particulièrement douloureux, le film n’est pas totalement un « Marvel à la sauce Evil Dead », et dispose de quelques moments qui laissent entrevoir ce à quoi il aurait pu ressembler à une époque pas si lointaine, où les studios laissaient une certaine liberté d’action aux cinéastes pour leur laisser le temps de développer leurs concepts narratifs et scénographiques à l’écran. L’attaque de la sorcière rouge jouant sur les miroirs et les flaques d’eau en est un bon exemple, de même que la première exploration de sa psyché torturée joue sur les déformations d’objectifs allant de pair avec un malaise psychologique. Wanda, comme Doctor Strange, aurait pu être un vrai beau personnage Raimiesque. Une nouvelle variation autour des sorcières à l’oeuvre chez le cinéaste : Henrietta, Mrs. Ganush, Theodora… mais avec une dimension introspective et dramatique qui l’aurait rapprochée d’Annie Wilson dans Intuitions et bien sur de Marie Jane Watson. Du côté de Doctor Strange, sa fonction de maitre des illusions aurait pu donner lieu à un nouveau double fictionnel du réalisateur à l’instar du magicien d’Oz, du fait de la passion d’enfance du réalisateur pour les spectacles de magie, dont le cinéma est une extension. Il en va de même pour la version zombie du Doctor Strange, probablement la seule idée à laquelle le cinéaste tente d’apporter un vrai quelque chose, faisant d’un simili Evil Ash de L’armée des ténèbres une variation du concept popularisé par James Cameron sur Avatar, à savoir la manière dont un esprit peut piloter un corps à distance. Cependant ce sont surtout deux scènes qui retiennent particulièrement l’attention. La traversée des différentes dimensions par Strange et America tourne le dos à l’approche Nolanienne du film de Scott Derrickson, et s’amuse à entrechoquer violemment différentes esthétiques allant du cubisme à l’animation. Une scène qui n’est pas sans rappeler le final psychédélique du House d’Ôbayashi, tandis que l’affrontement entre Doctor Strange et son double négatif à coups de notes de musiques est l’occasion d’un hommage au combat musical de Crazy kung-fu. Une scène qui aurait été encore plus forte si la dimension psychédélique avait pu pleinement s’exprimer sur la longueur, rapprochant cette séquence du combat entre Franz Liszt et Richard Wagner dans Lisztomania de Ken Russell. Autant de petits moments témoignant de la volonté du cinéaste de se réapproprier harmonieusement des figures artistiques issues de divers horizons afin de susciter une véritable émotion, comme il avait pu le faire par le passé. Notamment à travers la naissance du Sandman dans Spider-Man 3, dont la poésie animiste n’aurait pas dépareillé chez Osamu Tezuka et Hayao Miyazaki, ou encore la réparation de la poupée dans Le monde fantastique d’Oz qui n’était pas sans rappeler l’imagerie de Jan Švankmajer. Autant d’éléments, qui abordés avec une plus grande liberté artistique, auraient pu faire de Doctor Strange in the Multiverse of Madness un authentique blockbuster horrifico psychédélique qui aurait renoué avec la dimension gnostique de son personnage principal, tout en l’ancrant dans une dimension humaine et populaire. À l’instar du récent Last Night in Soho, le film de Sam Raimi aurait pu damer le pion à de nombreuses productions certes sincères, mais coincées dans leur approche fétichiste d’une certaine culture ésotérique et fantastique d’autrefois désormais muséifiée. Malheureusement, ce qui ressort au final, c’est un cinéaste qui s’autoparodie auprès d’un producteur gâchant inlassablement le formidable potentiel des oeuvres à sa disposition.

Si tu aimes, partage !

En résumé

En dépit de quelques rares instants de grâce, Doctor Strange in the Multiverse of Madness s’avère être sans surprise l’oeuvre d’un artiste résigné devant faire face à un système omnipotent qui semble impossible à remettre en question. Reste à savoir si un jour, un ou une cinéaste aura suffisamment de talent et une certaine inconscience punk pour mettre à mal la machine de Kevin Feige à la manière d’un Tsui Hark sur Piège à Hong Kong. Malheureusement cela semble inenvisageable.
4
10

Partagez cet article

Auteur

A lire également

Dernières news