Film de la dernière chance pour Neill Blomkamp, cinéaste surdoué et visionnaire abandonné par le public et la critique dès son second long métrage, Gran Turismo avait tout du film publicitaire sans âme mais exécuté avec talent. Mais l’oeuvre est d’autant plus étonnante que le réalisateur sud-africain parvient non sans mal à se la réapproprier pour en faire un des blockbusters les plus exaltants de l’été.
Triste carrière que celle de Neill Blomkamp. Repéré très tôt pour ses spots publicitaires démentiels aux effets numériques très avancés, il s’est immédiatement imposé grâce à son District 9 qui aura fait l’unanimité, et à raison. Mais la fête fut pour lui de courte durée. Quelques années plus tard, armé d’un budget bien plus conséquent et d’un casting de stars, il réalise Elysium, gros blockbuster d’auteur dans lequel il développe encore ses obsessions, puis Chappie, conte cyberpunk visionnaire toujours cohérent avec l’oeuvre qu’il bâtissait alors. Sauf que ces deux films marqueront le divorce entre le réalisateur et la critique, mais également avec le public, ce qui s’avèrera beaucoup plus problématique. S’en suivront des gros projets avortés sur les franchises RoboCop et Alien (au profit du désastreux Alien Covenant) qui finiront de dégoûter Neill Blomkamp parti s’amuser à travers la plateforme OATS Studios. Il y réalise de nombreux courts métrages expérimentaux, dont certains sont assez géniaux, puis le film d’horreur Demonic en 2021. Un retour au long métrage sous la forme d’un échec à peu près total tant on n’y retrouve rien de ce qui faisait la singularité de l’auteur. Dès lors, Neill Blomkamp n’avait plus vraiment le choix. Soit réaliser District 10, car il reste essentiellement le « réalisateur de District 9 » et que cela rassurerait le public, soit accepter de bosser sur un gros blockbuster pour rassurer des producteurs et montrer qu’il est capable de ramener de l’oseille. Et si le projet District 10 reste d’actualité quelque part, c’est sur la grosse machine Gran Turismo qu’on retrouve donc Blomkamp. Sur le papier, ça fait un peu peur, avec notamment Alex Tse et Zach Baylin (Creed III) au scénario, mais avec la présence bien plus rassurante de Jason Hall. Idem devant la caméra, où l’excellent jeune Archie Madekwe partage l’affiche avec les deux chats noirs que sont Orlando Bloom et David Harbour, plus capables du pire que du meilleur, et bien souvent indicateurs de la qualité toute relative des films dans lesquels ils apparaissent. Ajoutons à cela que le projet est assez clairement un véhicule promotionnel pour la simulation automobile de Polyphony Digital et Sony, derrière l’adaptation d’une incroyable histoire vraie. En gros, Gran Turismo avait tout du gros blockbuster bien calibré et généralement confié à un réalisateur-mercenaire qui ferait le job sans trop s’impliquer. Sauf qu’étonnamment, le projet a été confié à Neill Blomkamp, qui n’a rien d’un mercenaire, après que Joseph Kosinski ait également travaillé dessus il y a un peu moins d’une dizaine d’années. Soit deux réalisateurs qui, en plus d’être des faiseurs d’images surdoués, possèdent ce petit quelque chose qui les positionne bien au-dessus de toute la meute. Des metteurs en scène « auteurs » plutôt adeptes de repousser les limites de leur art. Et Gran Turismo, comme Top Gun Maverick, est un blockbuster pétri de défauts mais qui roule sur la concurrence autant par son supplément d’âme que par sa volonté de proposer un spectacle total, un peu old school, techniquement exigeant et une envie de cinéma qui semble avoir disparu de la grande majorité des grosses productions hollywoodiennes.

Ceci étant dit, il faut bien avouer que Gran Turismo démarre vraiment très mal. Passée une introduction toute à la gloire de la création de Kazunori Yamauchi qui n’est rien d’autre qu’un long spot publicitaire pour le jeu Gran Turismo et pour la GT Academy, il faut se farcir près de 45 minutes d’exposition d’une banalité et d’une lourdeur qui font peine à voir. A peu près tous les poncifs du drame sportif y passent. C’est un peu le problème des adaptations d’une histoire vraie lorsqu’elles sont faites sans passion. Tout a beau être incroyable, ce n’est pas passionnant à l’écran. Il y a bien ça et là quelques séquences dans lesquelles on retrouve cette énergie qui anime habituellement le cinéma de Blomkamp, comme cette vision éclatée d’un véhicule qui fait fusionner le réel et le virtuel, ou petite course poursuite nocturne. Mais globalement c’est très ennuyeux et terriblement désincarné. Un peu comme si le réalisateur était en pilotage automatique et peu impliqué par ce qu’il met en scène. Si on ajoute à ça un Orlando Bloom des mauvais jours, qui joue vraiment comme un cochon, Gran Turismo part vraiment sur de très mauvaises bases et on a un peu l’impression d’assister à l’enterrement du réalisateur qu’on avait tant aimé. Mais dès que le tri semble fait dans tous ces personnages un peu fadasses et que tout ce petit monde se retrouve à la fameuse GT Academy, et surtout dès que les premiers bolides déboulent réellement sur l’écran, le film opère une véritable mutation. Dans l’histoire du cinéma, il y a finalement assez peu de bons films de course automobile. Et même parmi ceux-là, ceux qui ont réussi à reproduire l’ivresse de la course et de la vitesse, cette sensation unique de faire corps avec une machine, sont extrêmement rares. Et c’est très précisément ce que réussit Neill Blomkamp, même s’il reste très loin de l’expérience sensorielle d’un Speed Racer. Dès que ses personnages, intéressants sur le papier mais chiants à mourir à l’écran, se retrouvent au volant d’un véhicule, il parvient à trouver du sens à ce projet et se sent pousser des ailes. Et finalement, le film s’avère être une excellente adaptation de l’expérience que représente le jeu Gran Turismo dont il va reprendre des éléments qui vont immédiatement parler aux joueurs. Mais sans que ce soient des gimmicks sous forme de clins d’oeil inutiles. Tout fait sens ici. La progression du pilote qui doit obtenir une licence, les inserts à l’écran pendant les courses pour apporter de la lisibilité à l’action, l’évolution du parcours qui le fait passer de petites courses à ce véritable chemin de croix qu’est la course d’endurance… des détails savamment agencés, un son ou une musique qui rappelleront quelques souvenirs de jeu, mais dans un ensemble qui parlera sans aucun problème aux profanes tant la volonté est ici de raconter une histoire à travers des sensations et des émotions. Deux éléments qui ont toujours constitué le socle du cinéma de Neill Blomkamp et dont il a parfois pu abuser, et qui ici trouvent un merveilleux terrain d’expression.

Une fois que les premiers tours de roue apparaissent à l’écran, et les sensations qui vont avec, les personnages prennent enfin de la consistance. Plus encore, ils semblent enfin prendre vie. Et Neill Blomkamp avec. On retrouve toute l’énergie qui anime son cinéma. Cette approche très « réaliste » dans laquelle s’invite le virtuel, et cette générosité dans le spectacle et l’émotion. Gran Turismo en déborde, quitte à trop en faire une fois de plus. Mais ça fonctionne. Même quand il ose utiliser un titre de Moby pour le climax émotionnel du film, il emporte tout sur son passage. Au plus la quête de son héros avance, et elle suit littéralement le monomythe, au plus il fait corps avec sa machine, et au plus les images deviennent immersives. Des premiers essais avec la Nissan GTR jusqu’au long final sur le circuit du Mans, la mise en scène de Neill Blomkamp évolue considérablement. L’utilisation du drone pour filmer les scènes de course, loin d’être aussi explosive que dans le Ambulance de Michael Bay, se fait de plus en plus précise, et les plans de l’intérieur du cockpit finissent par faire basculer le film dans quelque chose de purement sensitif. A quelques rares moments, Blomkamp réussit à toucher du doigt la même sensation ressentie manette ou volant en main pendant une course de Gran Turismo. Et c’est un petit exploit car le spectateur, par définition, ne peut ressentir la même immersion qu’un joueur. C’est toute la différence quand un véritable metteur en scène s’implique comme ici dans le filmage d’une scène de course automobile. Contrairement à un Fast & Furious par exemple, où des plans d’insert sur les éléments mécaniques du moteur ne sont là que pour la frime, ils contribuent ici à l’immersion et à faire ressentir au spectateur la multitude d’explosions qui génèrent cette puissance. Ce dispositif permet également à Neill Blomkamp de générer une véritable tension au fur et à mesure que les courses gagnent en enjeu, mais également à produire une des scènes d’accident les plus dingues, créant une sensation d’apesanteur et presque de douleur de notre côté de l’écran. Et tout ce film dont l’intrigue est cousue de fil blanc, et dont les dialogues paraissent en mode automatique, réussit ainsi à générer une véritable émotion. Car c’est en s’installant au volant et en « fusionnant » avec la machine que ces personnages existent. Dès lors, la relation entre Jann et son père, interprété par Djimon Hounsou, réussit enfin par émouvoir, mais pas autant que celle, finalement très touchante, avec son mentor Jack Salter qui doit énormément à une belle prestation de David Harbour. Espérons que le succès soit au rendez-vous pour Neill Blomkamp, car il en a encore visiblement sous le pied. Il a en tout cas parfaitement réussi à se réapproprier un film de commande pour en faire une oeuvre qui s’intègre naturellement à ses obsessions, bien qu’elle soit très imparfaite.