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Shin Kamen Rider – Critique

Après Shin Evangelion, Shin Godzilla et Shin Ultraman, qu’il n’a pas réalisé mais écrit, le génial Hideaki Anno livre au monde Shin Kamen Rider. Et cette fois, dans une démarche très proche du rebuild d’Evangelion, sa propre création, il signe un film extrêmement personnel. Mais plus qu’une simple relecture ou un ramassis de nostalgie sans intérêt, son Shin Kamen Rider s’inscrit dans une véritable démarche d’auteur qui pose un regard sur le mythe fondateur de ses propres obsessions. Tout en proposant un spectacle d’une générosité et d’une radicalité sans véritables équivalents.

Enfant des 60’s, entré dans l’histoire pour être le « papa d’Evangelion », son oeuvre-monstre, Hideaki Anno n’a jamais caché sa passion pour Kamen Rider. Une figure majeure de la pop culture japonaise créée en 1971 par Shotaro Ishinomori, à la fois en manga et en série TV, les deux adoptant des tonalités différentes et s’adressant à des publics complémentaires, et qui a vu ses déclinaisons se multiplier à la télévision japonaise depuis plus de 50 ans. Dans les années 70, sur sa TV en noir et blanc, le jeune Hideaki Anno fut frappé par la noirceur qui habitait ce personnage, bien plus que dans d’autres productions de tokusatsu, à tel point qu’il en intégra divers éléments dans ses propres créations futures, dont Evangelion évidemment, autant dans le personnage de Shinji que dans la société alternative NERV. Et un demi-siècle plus tard, le voici enfin prêt à s’attaquer à son monument fondateur. Quatrième « Shin » (nouveau) après Shin Evangelion qui modernisait sa propre création pour l’emmener vers une toute autre direction et la conclure de façon miraculeuse, Shin Godzilla, qui s’est imposé comme le meilleur film de toute la saga après le tout premier, Shin Ultraman, relecture très moderne qu’il a écrite et dont la réalisation a été confiée à Shinji Higuchi, Shin Kamen Rider est une oeuvre immédiatement essentielle dans toute l’oeuvre de Hideaki Anno. Par ce qu’elle représente donc, pour lui, mais surtout par ce qu’elle est. Et c’est bien le plus important. La genèse effective de Shin Kamen Rider remonte à une dizaine d’années, alors que l’auteur terminait Evangelion: 3.0 You Can (Not) Redo, avec une sortie prévue pour célébrer les 50 ans du Rider en 2021. Mais COVID-19 oblige, la sortie est repoussée de 2 ans. Il s’agit assez clairement de l’oeuvre d’un artiste enfin apaisé, bien qu’il continue de se poser des questions existentielles. C’est accessoirement le premier long métrage en live action que Hideaki Anno réalise tout seul depuis Ritual en 2000, et c’est un film qui réussit l’exploit de constituer une sorte de porte d’entrée à Kamen Rider, et plus globalement à toute la culture du tokusatsu, pour les profanes tout en comblant de bonheur les aficionados. Il se livre ici à un véritable exercice d’équilibriste, entre tradition et modernité, à travers des choix radicaux qui peuvent parfois laisser certains spectateurs sur le bord de la route. En effet, aussi réussi soit-il, Shin Kamen Rider nécessite d’abandonner son cynisme vis-à-vis d’un visuel « à la Power Rangers » afin de profiter au maximum d’une oeuvre qui ne fait pas dans le compromis. Et dans ce cas, c’est un bonheur de chaque instant.

Cette approche radicale s’impose dès les premières secondes. Un couple en moto poursuivi par deux camions, des décors qui sentent bon la naphtaline, quelques plans déjà bien barrés, un mélange d’effets à l’ancienne et de CGI qui ne se cachent pas, un découpage qu’on n’a plus vraiment l’habitude de voir au cinéma, et tout à coup un plan sur le visage masqué d’un bad guy avec un masque d’araignée qui tourne la tête vers le ciel, cut sur un personnage qui se tient au sommet d’un colline, zoom agressif, et c’est la première apparition du Rider. En 2 minutes chrono, et sans se perdre dans des circonvolutions inutiles pour créer une mythologie, elle naît d’elle-même par la grammaire cinématographique ultra référencée mais surtout diablement efficace qui est utilisée. Et pour définitivement faire le tri entre les spectateurs qui l’accepteront et ceux qui la rejèteront, Hideaki Anno enchaîne avec le premier combat de son film qui va mêler les plans iconiques de la série originelle (mais également de tout un genre), à savoir ces plans doubles sur le salto du Rider, et une approche plus moderne avec un montage hyper dynamique, des coups d’une violence surhumaine avec des gerbes de sang et des formats d’image hybrides de type GoPro/iPhone. En cela, Shin Kamen Rider fait le pont entre la grande tradition de cette forme de pop culture japonaise et une véritable modernité, sans tomber dans la béatitude nostalgique mais en conservant suffisamment de respect envers ce qui est une vraie légende. Mais ce qui frappe aussi rapidement, c’est à quel point l’auteur s’est approprié le matériau d’origine pour en faire le véhicule de ses propres obsessions. Pas simplement en les plaquant dessus mais en y puisant ce dont il est le plus proche et qu’il avait déjà utilisé dans certaines de ses oeuvres précédentes. D’une certaine manière, c’est un peu comme quand Guillermo del Toro fait son Pinocchio, dont les thèmes se retrouvaient déjà dans ses films précédents, ou si Neill Blomkamp avait pu faire son Alien. Ici, difficile de ne pas se remémorer les questionnement existentiels de Shinji dans la saga Evangelion lorsqu’on entend la voix off de Takeshi Hongo paniquer face à la violence dont il s’est montré capable après ce premier massacre. L’impression de plonger dans le vide de sa psyché étant renforcée par l’utilisation de plans en vue subjective. Par la suite, Shin Kamen Rider va adopter une narration épisodique qui pourrait être déstabilisante si elle n’était pas une relecture en mode cinéma du principe même de ces séries, à savoir un ennemi différent par épisode. Ici, Hideaki Anno s’est fortement inspiré des 7 premiers épisodes de la série originale pour construire son bestiaire d’antagonistes appelés des « Augs » pour « Augments », à savoir des humains modifiés génétiquement pour acquérir des pouvoirs liés à des animaux. Il n’en reprend toutefois ni le design ni les caractéristiques principales et s’offre quelques libertés en réunissant la mante religieuse et le caméléon en une sorte de Double-face au look étonnant et crée de toutes pièces le méchant principal baptisé Papillon-aug, ou Kamen Rider 0 pour reprendre des appellations familières d’Evangelion. Il y avait cependant des créatures papillons dans Kamen Rider mais elles sont apparues dans la série Kamen Rider Amazons. Et d’ailleurs, pour parfaitement saisir toute la complexité de ce personnage, il faudrait pourvoir lire le manga PART.1 Beginning of « A Wish » publié en prologue de Shin Kamen Rider. Autre différence de taille, le personnage de Ruriko Midorikawa, fille du professeur Hiroshi Midorikawa (scientifique de l’organisation SHOCKER qui a créé les êtres augmentés et qui apparait quelques minutes sous les traits de Shin’ya Tsukamoto), prend ici une importance considérable et n’est plus un simple personnage secondaire que croisait Kamen Rider. Elle occupe une place essentielle dans l’intrigue et dans le développement du personnage de Kamen Rider.

Qui dit antagonistes dans un univers de tokusatsu, dit bastons. Et sur ce point, Hideaki Anno se montre extrêmement généreux. Si les affrontements ne durent pas si longtemps, ils bénéficient d’un soin tout particulier, notamment dans l’exploitation par la mise en scène des diverses capacités des personnages. A ce titre, deux combats sont particulièrement mémorables, même s’ils sont tous réussis. Le premier met en scène la Guêpe-aug. Une affrontement au katana, avec un personnage dont le principal atout est une vitesse de déplacement hors du commun. Et tandis que la mise en scène de l’hypervitesse à Hollywood est devenue un effet de style ronronnant, avec grosso modo un environnement au ralenti tandis que le personnage se déplace à vitesse normale comme on a pu le voir avec Quicksilver dans X-Men Days of Future Past ou récemment dans l’infâme The Flash, Shin Kamen Rider propose une approche totalement différente. Pas d’effet à la Zack Snyder ici, mais une modification de la fréquence de défilement des images qui donne l’impression d’une scène tournée image par image, comme si la caméra ne parvenait pas à capter la vitesse indécente à laquelle bougent les personnages. C’est tout bête mais c’est brillant. Dans un tout autre genre, on trouve plus loin dans le film une séquence fondamentale dans laquelle Kamen Rider, rapidement rejoint par Kamen Rider 2, va faire face aux 11 « Phase Variation Batta Augments », réinvention par Hideaki Anno des Shocker Riders. Une longue séquence à moto dans une sorte de tunnel où se déploie un véritable ballet de violence et d’explosions. En plus d’une chorégraphie géniale mettant autant à profit les capacités physiques des personnages que les possibilités permises par leurs motos Cyclones, le réalisateur tire le meilleur possible de l’utilisation de l’obscurité comme vecteur de tension dans une scène d’action. Un véritable tour de force graphique, émerveillement rétinien, mais qui surtout n’est pas là pour simplement être une jolie scène. Non, dans Shin Kamen Rider, toutes les bastons, toutes les scènes d’action, participent à la narration et à l’évolution du personnage de Hongo. Quand il décide du destin de la guêpe, il change enfin le regard que portait sur lui Ruriko, qui voyait sa gentillesse comme une faiblesse. Quand il affronte les Schocker Riders avec le second Kamen Rider, il renforce le lien entre les deux et prépare une fusion à venir. De la même manière, l’affrontement dantesque entre les deux Riders, le numéro 2 laissant au 1 le temps de retrouver 100% de ses capacités pour ensuite partir dans un combat virevoltant sur les hauteurs d’une sorte d’usine, le tout filmé à travers des cadres extrêmement larges, bien plus audacieux que la grande majorité des manga-lives, raconte une histoire. Une histoire dont l’issue, à grand renfort de jambe broyée, apporte autant au film en lui-même qu’à ce qu’il raconte du mythe Kamen Rider ou même de l’histoire de Hideaki Anno.

Et c’est dans son dernier acte, assez long, que Shin Kamen Rider prend finalement tout son sens. Un peu comme si Hideaki Anno parvenait à condenser tout Neon Genesis Evangelion, et son Rebuild, en un film de deux heures, mais sans jamais dénaturer son appartenance à la légende Kamen Rider. Outre des motifs visuels récurrents dans Evangelion, voire dans toute l’oeuvre de l’auteur, et des références très appuyées, on y retrouve des thèmes forts. La recherche de la part d’humanité dans une création monstrueuse évidemment. La recherche du bonheur se faisant par l’acceptation des notions de tragédie et de désespoir. Et bien sur l’aboutissement ultime de « ne plus être seul ». Shin Kamen Rider renvoie autant au regard que portait Hideaki Anno enfant sur cette série qui l’a tant marqué qu’à son propre parcours et sa propre nature. Un véritable cheminement vers la lumière à travers la quête de Hongo qui passe d’être modifié et « monstrueux » refusant sa propre nature à son acceptation (même si ses discrets mouvements de tête vers le bas dénotent d’une tristesse face à ses actes qui ne disparaitra jamais), jusqu’à une forme de plénitude quand son visage s’illumine enfin d’un sourire et que son corps cesse de trembler lors d’une séquence bouleversante. Avant d’atteindre une forme ultime d’accomplissement qui sera dénommée « Batta-Aug-02+01 » à laquelle on pourrait bien rajouter « You are not (alone) » tant le pont avec son chef d’oeuvre d’animation est évident. Il y aurait tant de choses à louer dans ce Shin Kamen Rider, de ses choix audacieux dans la narration et la mise en scène à ses scènes d’action aussi folles que lisibles, ou encore ses choix de casting d’une pertinence remarquable, son dialogue permanent avec Evangelion à travers Hongo/Shinji et Ruriko/Rei, son approche aussi respectueuse que novatrice, son combat entre rage et mélancolie. On y trouve également une réflexion assez fascinante et on ne peut plus actuelle sur les dangers du pouvoir grandissant de l’intelligence artificielle. Une entité dénuée d’émotion par nature, bien que fascinée par cette notion à explorer, et qui déciderait du destin de l’humanité par une simple analyse pragmatique de la notion de « bonheur ». On est là face à une oeuvre véritablement galvanisante, celle d’un génie torturé bien conscient de ses démons intérieurs, tellement doué qu’il est capable de transformer sa forme de thérapie en un spectacle populaire total. Une oeuvre rare.

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En résumé

Aussi respectueux de la série Kamen Rider des années 70 que résolument tourné vers l'avenir, Shin Kamen Rider est un film merveilleux, d'une audace et d'une générosité incroyables, ainsi qu'une forme d'aboutissement des réflexions menées par Hideaki Anno à travers son chef d'oeuvre Evangelion.
9
10

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