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Parti tenter l’aventure d’énormes productions hollywoodiennes, au cinéma et à la TV, pendant quelques années, le grand J.A. Bayona est de retour avec Le Cercle des neiges à un cinéma qui lui correspond beaucoup plus. Un grand drame qui mêle une imagerie spectaculaire à une exploration de l’intime de ses personnages. Une odyssée intérieure en même temps qu’une aventure humaine hors norme, tirée d’une tragédie bien réelle. Ou d’un miracle selon le point de vue.

Récemment, pendant la promotion de Killers of the Flower Moon, Martin Scorsese pointait justement que la mission d’un réalisateur était d’apporter du cinéma, de l’art et donc une esthétique à une histoire vraie. Et d’autant plus lorsque l’histoire est importante, au niveau purement factuel, afin d’explorer la nature humaine plutôt que de simplement relater des faits. Plus qu’une simple déclaration, il s’agit là d’une philosophie de cinéma portée par les plus grands, de David Lean à James Cameron, en passant par Akira Kurosawa et Steven Spielberg. Et par J.A. Bayona. Il en avait fait une exceptionnelle démonstration avec The Impossible, et il réitère l’exploit avec Le Cercle des neiges. Il s’agit du premier film en langue espagnole pour le réalisateur depuis L’orphelinat en 2007, et un film dont la genèse remonte à plus d’une dizaine d’années. En effet, si le crash du vol Fuerza Aérea Uruguaya 571 en 1972 avait touché la planète entière, l’histoire extraordinaire de ses survivants est particulièrement ancrée dans la culture des pays hispaniques, même si Les Survivants de Frank Marshall avait quelque peu remis les projecteurs internationaux sur cet évènement. Mais la publication du livre La sociedad de la nieve du journaliste uruguayen Pablo Vierci en 2009, avec un regard singulier sur le drame, a profondément marqué J.A. Bayona qui préparait alors son premier film catastrophe The Impossible, et qui en a acquis les droit dès la fin de la production de ce dernier afin d’embrayer sur ce projet. Mais le chemin de croix du financement cinématographique étant ce qu’il est, il aura fallu toutes ces années pour qu’il puisse enfin s’y atteler. Et c’est quelque part une bonne chose, tant le réalisateur a pu engranger de l’expérience, dans ses réussites comme ses échecs, afin d’être parfaitement armé pour enfin mettre en scène ce projet qui lui tenait tant à coeur. Et cela se ressent à travers chaque plan du Cercle des neiges. Bayona faisait preuve d’une maîtrise insolente dès son premier film, mais son talent s’est encore affirmé au fil des années pour en arriver là. Le film est le fruit d’un travail titanesque, le réalisateur ayant amassé des tonnes de documents sur le drame, mais surtout des dizaines d’heures d’interviews avec les survivants. Des scènes ont été tournées exactement sur les lieux du crash, dans la Cordillère des Andes, tandis que le gros du tournage s’est déroulé dans la station de ski de Sierra Nevada en Espagne, avec 3 répliques identiques de la carcasse de l’avion construites par Alain Bainée. Un chef décorateur dont on avait déjà pu admirer le talent dans Fragile ou Blancanieves. L’idée est assez simple : coller au plus près aux faits relatés par les survivants, à travers un degré de réalisme extrême, pour mieux développer ses personnages et tenter d’appréhender l’aventure humaine qui s’est déroulée dans ces montagnes.

Et à la vision du résultat, ce qui frappe en premier lieu est la différence avec le film de Frank Marshall. Là où le réalisateur de Congo se vautrait dans une accumulation de stéréotypes et déroulait les éléments factuels rapportés dans le bouquin de Piers Paul Read, sans la moindre nuance ni la moindre attention à sa mise en scène, comme en témoigne l’horrible scène de crash qui alterne des plans de l’avion en CGI dégueulasses et des plans de l’intérieur de l’avion où il se contente de faire trembler sa caméra, J.A. Bayona apporte un vrai regard de metteur en scène. Mais également d’auteur. Ainsi, si sa scène de crash sera très commentée, et à raison, elle est déjà le fruit d’un travail de narration antérieur. Ce qui la rend encore plus impressionnante. Elle le serait déjà si elle arrivait après 5 minutes de film, sans le moindre effort d’écriture. Car techniquement, c’est tout simplement un modèle du genre, et peut-être la plus folle jamais filmée. Avec une caméra mobile, et un montage extrêmement agressif (signé Andrés Gil et Jaume Martí), J.A. Bayona apporte énormément d’énergie à cette longue séquence et parvient à la rendre véritablement douloureuse. Physiquement. Mais pas seulement, car il avait pris soin de préparer le terrain en amont dans sa façon de nous présenter les différents personnages, et notamment celui de Numa dont la voix off en fera un narrateur pas tout à fait comme les autres. Ainsi, quand arrive le crash on se sent déjà proches de ces jeunes qui transpirent la joie de vivre et l’insouciance, et qui pour certains semblaient voués à un grand avenir. Ce n’est pas seulement le métal qui se déchire ou des corps qui sont broyés lors de cette séquence, mais des vies qui se brisent littéralement sur l’écran. Et pas simplement pour ceux qui la perdent. Et il faut bien avouer que c’est un petit exploit cinématographique que de parvenir à provoquer une réaction si intense face à cette séquence. Il y a des dizaines de scènes de crash très réussies, très impressionnantes, mais celle-là va beaucoup plus loin au niveau du ressenti et de l’implication émotionnelle. La plus réussie depuis celle de Flight de Zemeckis. En plus de venir assommer le spectateur par sa violence, elle sonne comme une note d’intention d’un film qui va jouer sur deux tableaux essentiellement : celui d’un cinéma profondément sensitif et celui, plus « théorique », d’une grande étude de la nature humaine à travers des personnages complexes face à une situation extraordinaire. On trouve dans Le Cercle des neiges une approche très « humaine » du drame, qui se traduit de différentes manières mais notamment en nommant, pendant le film et avec du texte à l’écran, toutes les personnes décédées, avec une mention de leur âge. Et s’il s’agit évidemment d’un film de survie, ce sont les morts qui occupent tout l’espace, qui racontent cette histoire. Car les survivants d’une telle tragédie le sont-ils vraiment ? Cela fait du film une sorte de film de fantômes, avec des personnages qui vont peu à peu devoir renoncer à leur humanité et devenir des carcasses vides purement guidées par leur instinct de survie. J.A. Bayona va traduire l’évolution de ces personnages, et notamment la perte progressive d’espoir, à travers une mise en scène très élaborée. Dans la première partie, il use de contre-plongées avec des personnages regardant vers le ciel, ou plutôt vers la lumière, pour ensuite resserrer ses cadres et modifier ses axes de caméra pour les enfoncer dans les ténèbres. Le directeur de la photographie Pedro Luque fait par ailleurs un travail remarquable sur une image qui se ternit au gré du désespoir grandissant des protagonistes. Ce jeu entre l’ombre et la lumière rythme par ailleurs la progression narrative, les personnages s’enfonçant toujours plus dans l’obscurité tout en cherchant la moindre source de lumière, comme en témoignent les deux scènes d’avalanches, extrêmement éprouvantes, ou les diverses tentatives de retrouver la queue de l’avion ou lors de l’échappée vers le Chili.

Pour appuyer encore l’empathie ressentie envers les protagonistes, J.A. Bayona va redoubler d’efforts sur les différents jeux d’échelle. Notamment en appuyant sur le contraste entre l’immensité de cette chaîne de montagnes et l’espace de survie toujours plus réduit au sein de la carlingue de l’avion. Et s’il joue énormément sur cette opposition de contrastes (lumière/obscurité, immensité/exiguïté, mort/survie…), c’est tout en finesse et loin des archétypes qu’il va raconter son histoire et traiter ses personnages. Face à une situation extraordinaire, J.A. Bayona va explorer en profondeur, avec justesse et subtilité, le comportement de l’être humain à qui on enlève tout. A savoir de quoi nourrir son corps, mais surtout son esprit. Ainsi, au delà de la transformation physique des personnages, impressionnante, on assiste à une lente plongée dans les ténèbres où ils devront repenser en profondeur leurs valeurs morales et spirituelles. Et si on peut y voir des symboles christiques, notamment dans la notion centrale de sacrifice, le propos dépasse finalement tout principe religieux pour s’élever vers une approche purement spirituelle. Un des personnages le dit très clairement. Il ne croit plus au même Dieu que celui auquel tous croyaient avant de monter dans cet avion, mais le fait de croire en quelque chose d’autre qui lui permet de rester en vie lui permet également de ne pas sombrer totalement. L’approche très sensitive de la mise en scène de Bayona traduit merveilleusement ce regard très spirituel, parfois dans des élans poétiques que ne renieraient ni Terrence Malick ni le Alejandro G. Iñárritu de The Revenant, et pas simplement pour l’utilisation du grand angle. Comme dit plus haut, la notion de sacrifice est essentielle dans l’approche de ce drame. Poussés dans leurs derniers retranchements, tous les personnages finiront par quelque part sacrifier leur humanité, notamment pour se nourrir. En effet, on le sait, cette histoire est celle de ces « naufragés » qui ont été obligés de se nourrir de la chair des victimes pour espérer rester en vie. Cela donne lieu à une passionnante réflexion morale (qu’est-on prêt à sacrifier pour survivre ?), sur le bien, le mal, ou sur ce qui est sacré. Mais cela donne également des scènes incroyables comme celle où les survivants donnent l’un après l’autre leur consentement pour servir de nourriture à ceux qui restent s’ils venaient à mourir. Et plus généralement, cela caractérise le personnage de Numa, avec le choix très audacieux d’en faire le narrateur étant donné le destin qui sera le sien. Il est la boussole morale du groupe de survivants, celui qui à l’origine n’aurait pas dû prendre ce vol mais qui l’a fait pour être avec ses amis une dernière fois avant de plonger dans ses études, mais il est également la boussole morale du spectateur. Du moins pendant un temps, car J.A. Bayona n’est pas du genre à imposer au public ce qu’il doit penser de ce qui se déroule à l’écran. Concernant le sujet du cannibalisme, le réalisateur ne tombe pas dans l’obscène et garde la distance juste, et traite très intelligemment les frères Strauch, dont le sacrifice personnel est de découper les corps pour nourrir le reste des survivants, loin des yeux du groupe afin d’anonymiser la viande qu’ils vont ingérer. Et au moment d’aborder la notion de culpabilité, notamment face à l’image de ces ossements aux abords de la carlingue lors du sauvetage, il traite également la chose avec beaucoup de dignité. Il n’y avait qu’un cinéaste aussi empreint d’humanité pour aborder cette aventure au coeur de la nature humaine avec autant de justesse, sans jugement. Et s’il se laisse aller à un certain lyrisme sur la fin, quand enfin la lumière revient embrasser ces corps meurtris, appuyé par la belle composition de Michael Giacchino, ce n’est pas pour souligner ce qui pourrait être traité comme de l’héroïsme dans un film hollywoodien. C’est pour accompagner ses personnages, et les spectateurs tant ils sont littéralement immergés auprès des personnages pendant tout le film, vers la libération et la lumière. Et c’est très beau. Quant à savoir si cette histoire est un drame ou un miracle, J.A. Bayona a l’intelligence de ne pas apporter de réponse toute faite.

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En résumé

D'un drame bien réel et aujourd'hui connu de tout le monde, J.A. Bayona construit une épopée sensorielle et spirituelle. Avec Le Cercle des neiges, il impose autant sa maîtrise insolente du langage cinématographique que la profonde humanité qui caractérise tout son cinéma. Nul doute qu'il restera parmi les très grands films proposés par Netflix.
9
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