Difficile de se faire une place dans la jungle du polar sud-coréen. Autant être armé soit d’un talent hors normes, soit d’une idée en béton armé, soit d’une approche franchement originale. A peu près tout ce qui fait défaut à Jeong Yeon-sik pour son premier film The Five, qui partait sur des bases relativement saines avant de tomber dans un schéma usé jusqu’à l’os et qui n’a plus aucun intérêt.
Pour un Hwayi : a Monster Boy ou un Hard Day, combien de polars sud-coréens qui se ressemblent tous chaque année ? Des tonnes, même si tous essayent de trouver le petit quelque chose qui les fera sortir du lot. Dans le cas de The Five, premier long métrage de Jeong Yeon-sik, il s’agit d’une petite idée censée articuler tout le récit. Une mère, dont la famille a été décimée par un tueur psychopathe, bloquée dans un fauteuil roulant suite à l’agression, promet ses organes à un groupe de cinq personnages en échange de leur aide pour débusquer le tueur et se venger. Une idée saugrenue mais relativement efficace sur le papier, suffisamment machiavélique pour proposer quelque chose de solide dans un genre mis à mort par l’extrême et terminal J’ai rencontré le Diable. Sauf que de cette idée, Jeong Yeon-sik ne va pas en faire grand chose et va s’empêtrer dans un récit faussement retors.

The Five souffre d’un mal assez classique, à savoir un scénario vainement compliqué quand il aurait gagné à s’épurer davantage. Car avec un peu plus de deux heures au compteur et une gestion de la rythmique pas loin d’être catastrophique, le film se traîne et ne propose que de trop rares séquences qui viennent hausser le rythme. Cette narration posée ne bénéficie par ailleurs d’aucune véritable ampleur qui la justifierait, ce qui finit par la rendre carrément asthmatique. Ainsi, si The Five démarre plutôt bien, et même s’il n’y a rien de véritablement transcendant, autant dans le sujet que son traitement, il plonge minute après minute dans l’ennui et finit par en oublier ses enjeux. Tout ce qu’il va faire, c’est exposer en quelque sorte son prologue et cette chute de dominos précise, filmant cette vengeance méthodique mais désastreuse comme une longue chute pour ses personnages. Entre les mains de Park Chan-wook, cela donne Lady Vengeance, exercice brillant et romantique, mais Jeong Yeon-sik n’est pas Park Chan-wook. Pour sa première réalisation, il est assez fébrile et n’ose pas aller bien loin, aussi bien dans le sordide que dans le lyrisme. Quelques belles idées sont pourtant disséminées ça et là, mais pas de quoi en faire un long métrage solide qui pourrait marquer les esprits au fer rouge.

Sans doute trop classique dans sa forme, sans véritable tour de force dans la mise en scène, incroyablement pataude pour espérer s’imposer dans un genre où les formalistes ont déjà tapé très fort par le passé, The Five ne contient aucune véritable surprise dans son déroulement ou son dénouement, avec une prise de conscience tardive et un retour à une bonne morale des familles qui rompt avec le ton plutôt sec de l’ensemble. Les belles idées se situent du côté du tueur et de sa nature profonde, même si le fait d’en faire un artiste n’a rien de fondamentalement original en comparaison des grands serial killers de l’histoire du cinéma, coréens ou américains. Mais son œuvre et son antre possèdent une certaine identité qui finit par rendre le personnage intéressant, tout comme son aspect presque androgyne à mettre en opposition à celui de l’héroïne, qui brouille également les genres.

Ceci étant dit, c’est assez anecdotique pour s’en contenter. D’autant plus que jamais la mise en scène ou la narration ne va exploiter ces éléments pour affirmer un quelconque style en accord avec le propos. Au lieu de cela, c’est un produit qui semble calibré et sans audace, avec quelques pointes de violence graphique mais toujours en retenue. Tout cela fait que The Five s’avère dénué d’émotions malgré la performance sur la brèche de Kim Sun-a dans le rôle principal. Par ailleurs, si le film possède quelque chose pour lui, c’est bien sa direction d’acteurs, assez remarquable tant ils semblent tous concernés par un récit qui patine sévère. Mais l’ensemble manque de suspense qui fonctionnerait, de séquences fortes, tombe dans la facilité du flashback explicatif qui vient alourdir la narration et de l’effet de manche sans aucun impact sur le spectateur. C’est d’autant plus dommage que l’idée de départ était originale et que Jeong Yeon-sik a su très bien s’entourer. A commencer par le directeur de la photographie Kim Hyung-koo qui livre malheureusement un travail surexposé bien plus proche de ce qu’il fait chez Hong Sang-soo que chez Bong Joon-ho, ou encore le compositeur Shim Hyun-jung dans une partition étonnamment en retenue. Beaucoup de premiers films dans le genre du polar sud-coréen ressemblent à des coups d’éclat, mais ce n’est clairement pas le cas de The Five qui n’a finalement rien de fort à proposer pour se démarquer de la rude concurrence.