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Pinocchio – Critique

La légende Robert Zemeckis rejoint l’empire Disney le temps d’une adaptation en live action d’un des plus grands classiques, Pinocchio. Un projet sur lequel il fut parachuté il y a quelques années mais dont l’essence du matériau original semblait lui correspondre plus qu’à aucun autre. Hélas, son Pinocchio rejoint la longue liste de ces remakes n’apportant rien de neuf, mais pire, il s’impose comme son plus mauvais film et de très loin.

Sorti en 1940, Pinocchio de Ben Sharpsteen et Hamilton Luske n’a pas pris une ride. Comme Dumbo ou Blanche Neige et les sept nains, il représente la perfection d’antan au niveau de l’animation ou de la réappropriation de récits anciens. En l’édulcorant grandement, voire en le trahissant, ce Pinocchio rendait accessible au plus grand nombre le roman de Carlo Collodi. Le « si tu te conduits mal, tu seras puni » devenait « si tu te conduits bien, tu accèderas à tes désirs et au bonheur », petite pirouette morale pour ne pas choquer les petits nenfants américains dans une société tiraillée entre le rayonnement d’une sortie de crise et l’optique plus sombre d’un nouveau départ pour la guerre. Un vrai et grand classique Disney donc, pétri d’une bonne morale mais contenant tout de même des éléments bien plus sombres voire effrayants. Et si l’on excepte une version live tournée en Italie par Gianetto Guardone en 1947, le Pinocchio de Disney est resté l’incarnation ultime du mythe pendant de longues décennies. Il y aura bien eu quelques essais plus ou moins anecdotiques par ci par là, mais il faudra attendre la version de 1996 signée Steve Barron, avec une marionnette animée par le Jim Henson’s Creature Shop, fruit de 10 ans de travail entre le refus catégorique de Disney et une nouvelle adaptation bien plus fidèle au roman original. Non dénué d’intérêt, le film fut un échec. Quelques années plus tard, c’est Roberto Benigni qui réalise une nouvelle adaptation très littérale, se donnant le rôle de Pinocchio dans un drôle de film, souvent très beau mais manquant paradoxalement de folie. C’était en 2002 et il faudra attendre 2015 pour que Disney, auréolé du succès du Alice au pays des merveilles de Tim Burton, mette en chantier un remake live faisant partie d’un vaste plan de refaire tous les classiques. Avant cela, en 2008, Guillermo del Toro annonçait également travailler sur sa propre adaptation, en stop motion et avec la présence de Jim Henson à nouveau. Le développement fut compliqué mais sortira également cette année. Mais c’est une autre histoire. Concernant la nouvelle version de Disney, divers auteurs se sont succédés mais c’est finalement Chris Weitz qui signe la nouvelle adaptation, tandis que les réalisateurs Sam Mendes et Paul King ont finalement été remplacés par Robert Zemeckis en 2019, et qui a visiblement remanié le script avec Weitz. On parle bien de Zemeckis, un des plus grands réalisateurs américains depuis 40 ans, pionnier des effets spéciaux qui a toujours abordé le cinéma avec un pied dans le présent et l’autre dans le futur (ce qui lui a coûté cher à plusieurs reprises) et qui n’a plus besoin de prouver qu’il est un conteur exceptionnel. Pas un yes man talentueux à la Jon Favreau ou un tocard voulant tâter du blockbuster à la Guy Ritchie. Et si, connaissant le cadenas artistique imposé par Disney, on ne pouvait pas vraiment s’attendre à du grand Zemeckis, on pouvait espérer qu’il trouve là l’occasion d’explorer quelque chose, de faire redécouvrir cette histoire aujourd’hui devenue mythe universel à sa manière. Hélas, mille fois hélas…

Bizarrement, les premières minutes balayent tous les doutes qu’on pouvait légitimement avoir. Une introduction toute en sobriété, qui brise le troisième mur avec le personnage de Jiminy Cricket, et lui offre sans doute la plus belle scène de tout le film en terme de dynamisme lorsqu’il explore l’atelier de Geppetto. Là aussi, c’est une des belles réussites du film que ce décor, et globalement toute la direction artistique. On n’en attendait pas moins de Doug Chiang, chef décorateur sur la trilogie en performance capture de Zemeckis, et Stefan Dechant, notamment directeur artistique sur Avatar. Toute cette façon d’amener le personnage de Geppetto avant de révéler son visage, de capter la mélancolie qui l’habite afin de créer sa marionnette… on retrouve ici Zemeckis et son talent de conteur, sa capacité à créer de l’émotion par un petit mouvement de caméra. Il réussit également la séquence de la fée bleue et la « naissance » de Pinocchio, aussi bien visuellement que dans l’utilisation de l’implacable « When You Wish Upon A Star » qui n’a rien perdu de son pouvoir enchanteur plus de 80 ans plus tard. Et puis… Pinocchio s’anime et le film entame sa dégringolade. On pouvait se poser la question lors de l’introduction, quand les différentes horloges multiplient les clins d’oeils aux classiques Disney et à Roger Rabbit, mais on va retrouver cette façon un peu rigolarde de s’adresser au spectateur tout au long du film. Comme si le récit ne suffisait pas à capter son attention, ce qui est malheureusement le cas. Alors ça va faire une vanne sur Chris Pine (Zemeckis le visionnaire qui anticipe la hype de merde à la dernière Mostra), ça va embrayer sur une vanne pour se moquer de Geppetto qui n’arrive pas à s’envoyer en l’air (le pauvre fait le deuil de son fils mais allez, on se fait plaisir faut bien faire rire les simplets), ça enchaîne les références à la pop culture et à notre société moderne (l’obsession dangereuse de la célébrité, l’éducation, les influenceurs…). Pinocchio est une fable morale et cruelle, mais ce Pinocchio là fait dans la morale de comptoir sans trop savoir où se positionner. Ainsi, il reprend des éléments du dessin animé comme s’il s’agissait de passages obligés mais en les vidant de leur sens, ce qui s’avère assez déroutant. Pour rappel, le Pinocchio de 1940 confrontait le héros à la tentation. Il y cédait et était puni pour ça, retenait la leçon et devenait ainsi une meilleure personne afin d’espérer accéder à son rêve de devenir un être humain. Ainsi, il était dévié du chemin de l’école par la tentation de devenir célèbre, et par naïveté. Il s’adonnait aux plaisirs adultes lors de son passage à Pleasure Island. Ou il mentait éhontément à la Fée bleue, ce qui faisait s’allonger son nez. Ici, c’est différent. S’il cède à la tentation de devenir célèbre, sa conscience (Jiminy Cricket) le remet tout de même sur le chemin de l’école… où il sera rejeté car hors norme (ce n’est pas un petit garçon mais un pantin). Ainsi, s’il rejoint le spectacle de marionnettes de Stromboli, ce n’est pas à cause de la tentation mais en réaction à une société qui ne veut pas de lui. Il n’est pas puni pour ses mensonges lorsqu’il est enfermé dans la cage. Certes son nez va s’allonger et il va comprendre que s’il ment son nez s’allonge, mais il va ensuite faire semblant de mentir pour utiliser son nez et s’échapper. Et lors du passage à Pleasure Island, où il sera soumis à toutes sortes de tentations (mais pas celle de fumer car faut pas déconner on est en 2022) mais ne participera pas au chaos. Il ne cassera rien, ne touchera pas à la bière qu’on lui met dans la main… mais il mangera des bonbons. Et il sera quand même transformé en âne. C’est absurde, car le cheminement de Pinocchio tient justement dans cet apprentissage du bien et du mal. Or, dans cette version, c’est un très gentil garçon bien loin du petit chenapan du roman de Collodi, évidemment, mais même comparé à la version Disney de 1940. Son parcours ici n’a tout simplement aucun sens. Au mieux, il va apprendre à utiliser ses capacités de pantin mécanique pour se sortir de diverses situations (autre nouveauté, ses jambes peuvent bouger tellement vite qu’il peut propulser un bateau à toute vitesse… comme le fiston Dash dans les Indestructibles). Cette incapacité à se positionner se poursuit d’ailleurs jusqu’au tout dernier plan du film dans lequel le texte et l’image se contredisent ouvertement : Jiminy Cricket raconte au spectateur que d’autres ont raconté l’histoire de Pinocchio en disant qu’il réussissait à devenir un véritable petit garçon mais pas ici. Or, à l’image, on le voit clairement se transformer en humain et perdre sa forme de pantin. Comme si jusqu’au bout, ces génies qui passent plus de temps à réfléchir à ce qui va « choquer » ou simplement provoquer un semblant de réflexion chez le public le plus jeune mais également chez les parents, qu’à raconter une histoire qui se tient du début à la fin, étaient incapable de faire un choix. Ce Pinocchio est symptomatique de ce qui prime aujourd’hui chez Disney : contenter tout le monde, répondre à des études de marché et ne bousculer personne. Ainsi, le film ne sème jamais le doute sur la nature de Pinocchio, ni sur la nature humaine (les méchants, ou ceux qui commettent des erreurs sont tous des personnages secondaires, et il y aura toujours quelqu’un de bienveillant pour l’aider). Et ce à un point qui touche au ridicule.

Même la capacité de Robert Zemeckis à raconter une histoire semble avoir été balayée purement et simplement. La narration manque cruellement de fluidité, enchaînant les séquences et décors sans la moindre grâce, comme s’il fallait juste composer avec des vignettes issues de l’original et mises bout à bout. Cela crée une rythmique très déstabilisante et annihile toute progression dramatique. Visuellement, le film alterne le très bon et le beaucoup moins bon. Ainsi, on l’a dit, l’ouverture et les 15-20 premières minutes sont très réussies, de même que certains passages clés qui gardent une véritable force d’évocation (la séquence chez Stromboli, Pleasure Island même si la séquence est plombée par des éléments modernes qui tombent comme des cheveux sur la soupe, ou le ventre de Monstro). La plus grande réussite tient dans le personnage d’Honest John, visuellement assez bluffant et bénéficiant en plus d’une interprétation vocale de haut vol par Keegan-Michael Key. Mais pour le reste, c’est quand même très décevant. Ce Pinocchio a bénéficié de toutes les dernières innovations technologiques : les systèmes Medusa et Anyma, propres à Disney, pour la performance capture, le mur LED de MBS equipment, et évidemment d’avancées considérables au niveau du cinéma virtuel. Disney et un budget qu’on imagine conséquent aidant, le film se devait d’être au minimum techniquement impeccable. Mais c’est loin d’être le cas. Globalement, si l’animation des différents personnages est vraiment réussie, l’intégration dans les décors ou les interractions avec des acteurs en live ne sont pas toujours heureuses. Le pire étant les scènes en mer, pas loin d’être dégueulasses. D’ailleurs, on peut regretter le choix d’avoir zappé les scènes du dessin animé se déroulant au fond de la mer, qui auraient pu donner lieu à quelque chose d’intéressant avec la technologie à disposition. Mais on se souvient que dans le dessin animé, la plongée de Pinocchio s’apparente visuellement à un suicide, sans aucun doute impensable aujourd’hui pour les cols blancs de Disney, et que les scènes sous-marines sont réservées pour la future adaptation live de La Petite sirène… Quoi qu’il en soit, le minimum qu’on pouvait attendre d’un Pinocchio par Robert Zemeckis avec un budget conséquent était un film techniquement irréprochable, voire pourquoi pas novateur. Mais on a finalement droit à un produit inconséquent et sans âme, et pire sans la magie nécessaire à ce conte. Une situation parfaitement illustrée par la prestation très oubliable d’un Tom Hanks qu’on n’avait plus l’habitude de voir aussi fade.

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En résumé

Les adaptations live des classiques Disney se suivent et se ressemblent, perdant la magie de leurs aînés sans apporter quoi que ce soit qui justifierait leur existence. Mais ce Pinocchio est peut-être pire, car il perd en plus le sens du conte et car il est signé Robert Zemeckis qui n'avait jamais réalisé un film aussi impersonnel et aussi raté. Un vrai crève-coeur.
2
10

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