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Everything Everywhere All at Once – Critique

Succès surprise de l’année 2022, plus de 100 millions de dollars pour un budget de 25 millions, Everything Everywhere All at Once est une oeuvre qui aura su rencontrer son public bien au delà des habitués des productions A24. Au point d’avoir suscité les louanges de cinéastes comme Lilly Wachowski, Edgar Wright ou Guillermo del Toro. La raison étant à chercher dans son approche singulière d’un sujet à la mode, qui lui permet de tirer son épingle du jeu, et de livrer une oeuvre atypique à plus d’un titre. Explications. 

En 2010, Daniel Kwan et Daniel Scheinert aka les Daniels commencent à réfléchir à un concept de film sur le multivers, après avoir été marqués par le concept de réalisme modal à l’oeuvre dans le film Sherman’s March de Ross McElwee. Au départ le duo envisage Jackie Chan dans le rôle principal et écrivent le scénario spécifiquement pour lui. Cependant le comédien décline l’offre, le duo change alors son fusil d’épaule pour faire du personnage central une femme avec en tête l’actrice Michelle Yeoh. Cette dernière officialise sa participation au long métrage en août 2018, tandis que Stephanie Hsu remplace Awkwafina initialement prévue, tandis que Ke Huy Quan, James Hong, Jamie Lee Curtis, Taille Medel, Jenny Slate, Harry Shum Jr et Randy Newman complètent la distribution. Les Daniels, qui entre temps refusent la réalisation de la série Loki de Marvel Studios pour ce film qui leur tient à coeur, retrouvent leurs fidèles collaborateurs : Jonathan Wang à la production, Larkin Seiple à la photographie et Jason Kisvarday aux décors, tandis que les frères Russo viennent apporter leur soutien à la production. Les Daniels en profitent pour confier au duo Andy et Brian Le connu pour la chaine YouTube Martial Club qui s’occupent de la chorégraphie des combats. Tandis que les réalisateurs se chargent eux mêmes des effets visuels avec l’aide de quelques personnes, n’ayant jamais fait d’effets visuels et ayant fait leurs armes avec des tutoriels sur le net. Le tournage démarre en Janvier 2020 et se termine en Mars de la même année, avant l’arrivée de la pandémie de Covid-19 sur le territoire américain. Après une avant-première au festival South by Southwest le 11 mars 2022, une sortie limitée a lieu le 25 du même mois avant que le bouche à oreilles positif pousse le distributeur A24 à sortir le film sur un plus large parc de salles.

En se rendant au service des impôts, Evelyn Wang, une femme sino-américaine tenant une laverie et en proie à divers problèmes familiaux, se retrouve confronté à Alpha Waymond, une version alternative de son mari Waymond, qui lui explique qu’elle doit sauver le multivers des griffes de Jobu Tupaki la version alternative de sa fille Joy. Si le concept de Multivers au coeur d’Everything Everywhere All at Once est désormais omniprésent dans la pop culture, notamment du côté des productions Marvel, son traitement salvateur diffère radicalement des gimmicks à l’oeuvre dans les productions de Kevin Feige. Bien que ne disposant pas de personnages susceptibles d’attirer un large public comme peuvent l’être Spider-Man ou Doctor Strange, les Daniels sont parvenus à susciter un véritable engouement. La raison étant à chercher dans sa structure narrative. Cette dernière prend son spectateur par la main, prenant le temps de présenter une famille dysfonctionnelle issue de conditions socio-culturelles modestes, à l’opposé des milliardaires et autres monarques à l’oeuvre chez la concurrence. La famille Wang devant résoudre un problème au service des impôts voit sa réalité boulversée par l’arrivée d’un élément perturbateur dans un ascenseur, entrainant un crescendo d’événements aux dimensions insoupçonnées. Dans son traitement narratif et thématique, Everything Everywhere All at Once rappelle beaucoup l’oeuvre des soeurs Wachowski. Dans un premier temps la structure du récit, notamment le 1er acte, rappelle celle du 1er Matrix, qu’il s’agisse de l’héroïne choisie pour sauver un vaste univers, la résistance établie dans un véhicule, ou encore un antagoniste prenant les traits d’un représentant du gouvernent, ici une employée du service des impôts. Sans oublier le chargement de diverses personnalités issues du Multivers, qui joue sur un procédé similaire à celui des programmes d’entrainement à l’œuvre dans l’univers cyberpunk des Wachowski. Dans sa structure globale qui mène à une confrontation vers une forme de nihilisme métaphysique représenté par Jobu Tupaki et le trou noir en forme Donut, qui ne peut être contrecarré que par une forme d’ouverture et d’abandon vers autrui, Everything Everywhere All at Once s’apparente à une relecture tragi-comique des enjeux des trois premiers opus de la saga Matrix. Cependant loin de se limiter à cette seule oeuvre, les Daniels vont également faire leur la thématique du collectif à l’oeuvre dans la filmographie des soeurs. Bien qu’Evelyn soit l’héroïne du film, les autres membres de sa famille, son mari Waymond en instance de divorce et son père Gong Gong venu vivre chez elle, évoluent avec elle au coeur de l’action et ont droit à leurs propres morceaux de bravoure. L’interconnexion des diverses personnalités du Multivers étant l’occasion d’une relecture des morceaux de bravoure basés sur le montage à l’oeuvre dans Cloud Atlas et la série Sense8, notamment lors d’une superbe séquence d’action où Evelyn utilise ses facultés de personne faisant de la pub pour une pizzeria afin de contrecarrer les sbires de Jobu Tupaki. Une idée qui permet également aux Daniels de renouer avec l’inventivité de la Kung Fu Comedy Hong Kongaise, faisant d’Everything Everywhere All at Once un hommage déférent à l’égard  d’un certain pan de la pop culture asiatique, dont la profession de foi rappelle inévitablement le mythique Jack Burton dans les griffes du mandarin et ses héritiers, Scott Pilgrim en tête. Un hommage réussi grâce à l’application des préceptes ayant fait le succès des Sept petites fortunes (Jackie Chan, Sammo Hung et Yuen Biao) où chaque élément du décor est susceptible de servir à l’action. La première scène de combat qui voit Waymond utiliser sa ceinture banane comme Bruce Lee usait le Nunchaku joue merveilleusement sur le fantasme qu’ont pu avoir de nombreux fans en imitant leur idole avec tout ce qui trainait sous leur main.

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Si le résultat n’est certes pas aussi virtuose que leurs prestigieux modèles, la générosité des Daniels et de leurs talentueux chorégraphes emporte aisément l’adhésion. Notamment en mettant un point d’honneur à la lisibilité de l’action, en jouant sur un vrai timing burlesque et en renouant avec un humour potache voire scabreux que n’auraient pas renié Sammo Hung ou Stephen Chow. Du génie derrière King of Comedy et Crazy Kung-Fu, les Daniels reprennent le fait d’installer l’humour dans une difficile réalité sociale qui trouve un contre pied via la parodie d’univers fictionnels comme dans Bons Baisers de Pékin. Everything Everywhere All at Once en fait de même avec l’oeuvre de Wong Kar-Wai, que l’acteur Ke Huy Quan assista sur 2046 avant de prendre sa retraite jusqu’à ce que les Daniels ne l’en sortent pour les besoins de leur film. Jouant habilement sur une dimension méta, allant jusqu’à reprendre de vraies images de Michelle Yeoh durant divers festivals, afin d’appuyer le contraste entre la vie rêvée de Evelyn devenue une star du cinéma et ce qu’elle vit au quotidien en tant que responsable d’une laverie. Dans leur approche parodique d’In The Mood for Love et Ratatouille, les Daniels font preuve d’une vraie déférence old school proche du Mel Brooks de la belle époque, celui de Frankenstein Junior et du Grand Frisson, ainsi que des ZAZ. Pastichant les codes visuels des films cités, le Step Printing et la ruelle nocturne pour In The Mood for Love, l’animal guidant le cuisiner lors d’un concours pour Ratatouille, pour leur conférer une vraie portée dramatique, cohérente avec les oeuvres de Wong Kar-Wai et Brad Bird, à mesure qu’avance le récit. C’est d’ailleurs en mettant au même niveau deux oeuvres issues de cinématographies à priori opposées qu’Everything Everywhere All at Once parvient à trouver une forme de subversion salutaire, qui rejoint tout un pan d’un certain cinéma « alternatif » aujourd’hui muséifié. Si l’on serait tenté de rapprocher, non sans fondement, l’oeuvre des Daniels des productions du duo Lord-Miller et de Michel Gondry, l’approche des réalisateurs de Swiss Army Man va beaucoup plus loin que celle des cinéastes cités. La représentation du Multivers à travers un collage formel, mélangeant cinéma traditionnel, esthétique publicitaire, animation… sans hiérarchie entre art noble et populaire fait de l’ensemble un véritable rhizome visuel et sonore dupliqué par le rythme ultra speed qui ne faiblit pas durant les 2H20 que dure le métrage, au point de laisser certains spectateurs sur le carreau. Dans son approche baroque, expérimentale, virant progressivement au psychédélisme, avec la volonté de tout faire péter dans la joie et la bonne humeur, Everything Everywhere All at Once apparait comme le prolongement d’oeuvres comme Lisztomania, House ou encore Speed Racer. À tel point que les diverses strates de Multivers sont des rhizomes en soit, fonctionnant de la même manière que les tableaux qui composent la vie de Franz Liszt chez Ken Russell ou les manifestations surnaturelles à l’oeuvre chez Nobuhiko Ōbayashi. Si le film des Daniels ne bénéficie pas du même soin plastique que les cinéastes précités, il conserve en revanche la même énergie et surtout la même volonté émotionnelle dépassant le cadre du seul délire esthétique. À contrario de nombreux cinéastes contemporains, certes sincères dans leur amour d’un cinéma ésotérique d’autrefois mais limités par une approche vide de sens autre que fétichiste, les Daniels n’oublient pas que cette approche expérimentale ne peut s’avérer pertinente que si elle prend appui sur un fond émotionnel régi par des récits codés : biopic, film d’horreur… qui contrairement à ce que l’on aime dire ne sont pas des freins à la créativité mais au contraire aident ces expérimentations à dépasser le simple cadre esthétique, réservé à des initiés, auquel ces oeuvres seraient consignées. Lisztomania évoque l’arrivée du fascisme en Europe au 19ème siècle, House aborde le conflit entre une fille et sa belle mère, Speed Racer raconte la lutte d’artistes face à un conglomérat automobile, etc… . Il en est de même pour Everything Everywhere all At Once. Si l’influence des Wachowski est bien présente à travers le travail de connexion des diverses entités représenté par le montage, le film des Daniels peut être vu comme une version longue de la poursuite finale à l’oeuvre dans Fantômes contre Fantômes de Peter Jackson qui anticipait toute l’oeuvre post Matrix des Wachowski. En effet la poursuite de Frank Bannister face au couple de meurtriers dans les ruines de l’Hôpital était l’occasion pour le réalisateur néo zélandais d’entrechoquer divers niveaux de réalités mentales via les flashback sur les exactions de Johnny Bartlett et Patricia Bradley. Il en est de même dans Everything Everywhere All at Once qui prend l’aspect d’une course poursuite de deux heures dans les locaux d’une maison des impôts où les protagonistes sont confrontés à diverses réalités mentales trouvant leur origine dans le Multivers. Cependant à l’instar de l’entre deux dans lequel évoluent les fantômes, la diégèse qui rédige le Multivers pourra faire toquer les tenants de la cohérence la plus cartésienne, au point de faire ressortir le côté bordélique dans l’ensemble qui couplé à l’hystérie et à un humour grand guignolesque pourra en rebuter plus d’un, à l’instar de la comédie horrifique de Peter Jackson. Cependant cette notion bordélique fonctionne parfaitement avec le Multivers qui par essence ne peut exister qu’en tant que Chaos infini et non comme une suite logique hiérarchique fixe.

C’est justement le fait d’assumer cette dimension chaotique intrinsèquement lié à un champ des possibles vertigineux, comme pouvait le faire Dan Harmon dans Rick & Morty, qui permet aux Daniels de tirer leur épingle du jeu vis à vis des aberrations narratives à l’oeuvre dans le MCU, Spider-Man: No Way Home en tête. Ce qu’il perd quelque peu en logique, le film des Daniels le rattrape largement sur le plan humain. Le drame familial à l’oeuvre dans Everything Everywhere All at Once lui permet de rejoindre ses prestigieux modèles et de dépasser le cadre du pur trip esthétique. Une réussite qui doit d’abord à son superbe casting. Dernière représentante en activité, avec Tony Leung Chiu-Wai, de tout un pan du cinéma Hong Kongais aujourd’hui disparu, la légendaire Michelle Yeoh trouve en Evelyn Wang l’un de ses plus grands rôles. Faisant preuve d’un registre à fleur de peau rempli de nuances qui duplique l’empathie à son égard à l’instar de Ke Huy Quan. Connu pour avoir interprété Demi-Lune dans Indiana Jones et le temple maudit, ce dernier démontre un vrai talent pour le registre dramatique doublé d’une alchimie palpable avec sa partenaire. Il en est de même pour la jeune Stephanie Hsu qui apporte une vraie complémentarité à la névrose de Yeoh. Si le talent comique de la non moins légendaire Jamie Lee Curtis n’est plus à prouver, cette dernière s’éclate avec un vrai plaisir communicatif à l’écran dans son rôle de simili agent Smith. Tandis que la présence de James Hong, à l’instar de Keith David et Michael Wincott dans le récent Nope, prolonge le plaisir de revoir des seconds rôles marquants sur grand écran. L’interprète ayant droit à un rôle particulièrement touchant faisant honneur à l’incroyable héritage cinéphilique qu’il véhicule. À l’instar du récent Alerte Rouge de Domee Shi, Everything Everywhere all At Once évoque les relations conflictuelles entre une mère et sa fille au sein de la communauté sino américaine. Outre l’approche similaire qui voit l’adolescente subir une transformation synonyme de puissance destructrice qui ne trouvera une résolution qu’à travers un prisme psychique, le film des Daniels entretient le même rapport que leur confrère de Pixar quant à l’aspect personnel à l’origine du film. L’adolescence de Domee Shi, le TDAH (Trouble du Déficit de l’Attention avec ou sans Hyperactivité) dont souffre Daniel Kwan. Une approche qui permet à ses deux films d’être parfaitement complémentaires, tout en abordant le conflit entre tradition et modernité, Asie et occident chez ses personnages, qui rapproche Everything Everywhere All at Once, comme Alerte Rouge, des films que tourna Wayne Wang sur la communauté sino américaine durant les années 80. Cette dimension intimiste permet aux Daniels de gagner sur les deux tableaux, en abordant les conflits générationnels à l’oeuvre dans la communauté sino-américaine tout en touchant à des thématiques universelles, liées au poids familial et aux regrets d’une vie. Dans sa volonté de lier l’intime à l’universel à travers un prisme psychique représenté par le Multivers, Everything Everywhere All at Once rejoint à son tour l’héritage d’Avatar décrit par Nicolas Gilli. Le film des Daniels est un récit de science fiction thérapeutique dont la structure narrative possède une vocation cathartique qui s’apparente à une relecture de La vie est belle de Frank Capra. À l’instar de George Bailey dans le film de 1946, Evelyn Wang est amenée à voir les divers regrets de sa vie remonter à la surface via le Multivers, jusqu’à arriver à un nihilisme qui la pousse au suicide et par extension à la destruction du Multivers. Ce qui donne lieu à une réalité alternative où cette dernière est réduite à l’état de caillou évoluant dans une plaine désertique, jouant le même rôle symbolique que le Bedford Falls alternatif où George Bailey n’a jamais vu le jour. À ce moment précis tout le système de fusil de tchekovs mis en place par les cinéastes trouve sa conclusion cathartique, à travers une montagne russe émotionnelle qui invite Evelyn comme le spectateur à accepter son importance au sein de ce macrocosme que représente le Multivers via l’amour porté à ses proches et la nécessité de retrouver un optimisme vital à la pulsion de vie. Une donnée qui rejoint le propos humaniste, universel et salvateur du film de Frank Capra qui disait de son chef d’oeuvre « C’était mon type de film pour les gens que j’aime. Un film pour ceux qui se sentent las, abattus et découragés. Un film pour les alcooliques, les drogués et les prostituées, pour ceux qui sont derrière les murs d’une prison ou des rideaux de fer. Un film pour leur dire qu’aucun homme n’est un raté. » Un propos que retranscrivent à leur manière les Daniels à travers une succession d’actions et de gags potaches qui parviennent à émouvoir, touchant une vérité humaine qui résonne en chacun d’entre nous. Un parti parti casse gueule réussi avec brio qui appuie la réussite iconoclaste d’Everything Everywhere All at Once

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En résumé

Oeuvre foisonnante aussi drôle, qu’inventive et émouvante, Everything Everywhere All at Once, mérite amplement la réception positive à son égard. Ses petites imperfections n’empêchent pas le film des Daniels d’être une formidable anomalie dans le paysage cinématographique actuel. Un magnifique pied de nez à la concurrence à travers sa liberté de ton et son humanité qui réussit à toucher en plein coeur son auditoire, au point d’être une réussite majeure.
9
10

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