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Metteur en scène hors du commun, producteur surpuissant, bourreau de travail… Johnnie To est avant toute chose un homme de défis. Car si en France ne sont sortis quasiment que ses polars, virtuoses, le parrain du cinéma HK peut être fier d’une carrière qui aura abordé nombre de genres très différents. Sorti il y a déjà 2 ans en Chine, Office représente un défi de taille : traiter de la crise financière sous la forme d’une comédie musicale. Et c’est une proposition de cinéma qui n’a pas vraiment d’équivalent.

Qui dit Johnnie To dit Election, Exilé, The Mission, Fulltime Killer… et une flopée de polars généralement formidables. Mais Johnnie To c’est également une œuvre impressionnante dans la comédie romantique, sans la moindre exposition en France. Et c’est aussi de nombreux films à concepts qui tentent de briser les codes. On retiendra l’étonnant Running on Karma par exemple, ou plus récemment Blind Detective qui avait désarçonné le public cannois. Office est de ces films-là. Un pari. Et un pari qu’il s’est lancé avec l’auteure-réalisatrice-actrice-chanteuse Sylvia Chang. En effet, Office est la version finale d’une création de Sylvia Chang pensée à la fin des années 2000 comme un film, devenue une pièce de théâtre ayant muté en musical. Pour atteindre des années plus tard la forme selon laquelle elle fut pensée dès le départ : un film de cinéma. Sylvia Chang, auteure engagée et féministe, s’était fixé comme objectif d’aborder de façon originale le monde de l’entreprise ainsi que le sujet de la crise économique. C’est pour cela que l’action d’Office se situe très précisément avant la chute de Lehman Brothers, dans une très grande entreprise qui s’apprête à entrer en bourse. A priori, Johnnie To n’était pas le réalisateur désigné pour mettre tout cela en images, d’autant plus sous la forme d’une comédie musicale. Pourtant, le réalisateur s’est déjà penché sur ces sujets précis ces dernières années, que ce soit dans le faux polar Une Vie sans principe ou dans la comédie romantique Don’t Go Breaking My Heart. Et c’est finalement un prolongement assez logique pour celui qui aura su sublimer le monde des triades HK puis celui de la mafia chinoise de façon plus générale. Les truands contemporains ne portent plus nécessairement un flingue mais sont bien propres sur eux, dans leur bureau, avec leur belle bagnole et leur costume hors de prix. Sauf qu’ils n’ont plus le moindre code moral et sont experts dans l’art de la trahison qui les propulse vers les sommets.

Il est donc plutôt intéressant de voir Johnnie To plonger dans cet univers glacé. Il l’aborde avec un certain romantisme et une ironie non mesurée. Une ironie qui passe par les nombreux numéros chantés, avec des paroles  vantant la soumission des employés au système de l’entreprise. En écartant un peu le champ d’action du film, on pourrait presque y voir une façon détournée de se moquer des clips propagandistes de tout le système chinois. S’il s’agit bien d’une comédie musicale, avec chansons et chorégraphies, il faut bien intégrer qu’Office est profondément chinois dans son ADN, bien qu’il prenne parfois des airs de comédie musicale hollywoodienne. Ainsi, les numéros pourront paraitre moins harmonieux pour l’oreille occidentale. Ce qui ne gâche en rien leur charme et la portée de leur propos. Comme souvent chez Johnnie To, l’intrigue s’articule autour de nombreux personnages. Avec le faste de la production, ainsi que le recours à la 3D, pour illustrer une intrigue qui traite tout de même en détails d’opérations financières, l’indigestion était à prévoir. Sauf que le scénario construit d’une main de maître par Sylvia Chang, qui hérite également d’un rôle formidable, légèrement en retrait en apparence et pourtant central, est d’une limpidité totale. Les différents destins qui se croisent, doublés d’une intrigue financière qui flirte avec la géopolitique, s’offrent des tracés toujours lisibles et complexes. Office est construit autour de personnages solides qui s’annoncent comme des archétypes (le roi et la reine, le jeune crédule, la jeune fille pleine de secrets, le prince qui se rêve en roi…) avant de se briser et de se réinventer complètement. Toutes ces différentes trajectoires liées intimement à la crise financière sont assez fascinantes et parviennent à exister à l’écran. Ce qui n’était pas chose gagnée tant Johnnie To a décidé d’en mettre plein la vue.

Johnnie To n’est pas ce qu’on pourrait appeler un « réalisateur du mouvement ». Sa mise en scène a beau être virtuose, elle s’appuie plus sur la construction de ses plans et un tempo très particulier apporté au découpage. Une particularité qui lui permet d’être un des rares réalisateurs capables d’arrêter le temps sans provoquer d’ennui et en créant une tension. Sauf qu’ici, avec Office il n’a pas d’autre choix que d’apporter de la vie et du mouvement pour donner de l’ampleur à un récit figé, un décor quasi unique et surtout des numéros chantés et dansés. Il se réinvente donc complètement et apporte une ampleur à sa réalisation qu’il n’avait que peu montrée jusque là. Office est un film en mouvement perpétuel. Tout est en mouvement, des personnages au décor. Décor au singulier car comme pour une pièce de théâtre, il n’est qu’un, se mutant d’une séquence à l’autre pour créer l’illusion d’un lieu différent. Il se pare parfois de fonds verts et de projections pour simuler l’extérieur. Mais ce décor est finalement le personnage central de tout le film, avec cette immense horloge qui rythme toutes ces petites existences, comme pour leur rappeler qu’ils s’apprêtent à rentrer dans un mur. Ce décor, qui rappelle parfois le procédé de Dogville, est l’œuvre de William Chang, fidèle collaborateur de Wong Kar Wai depuis les débuts de ce dernier. La 3D apporte une dimension supplémentaire à ces lieux irréels tout en semblant terriblement naturels. Il se dégage quelque chose d’étonnant de cet Office. Une énergie débordante et une identité claire. Pourtant, malgré une certaine virtuosité, Johnnie To peine légèrement à dépasser le cadre de l’exercice de style. Il ne raconte rien de bien nouveau mais le fait correctement, se permettant même une certaine insolence qui tranche avec son aspect très bling-bling. Au rayon des regrets, la rencontre attendue entre Johnnie To et Chow Yun-fat, la légende tenant un rôle qui tient plus du caméo de luxe que d’autre chose même si son charisme en impose toujours autant à l’écran. Un des aspects les plus réussis tient dans l’aspect « romance » du film, avec des couples qui se cherchent, se font et se défont dans une sorte de tourbillon de lumière et de métal. Office est un film attachant, mais tout de même loin des sommets de son auteur.

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Auteur

Gigantesque blaireau qui écrit des papiers de 50000 signes absolument illisibles de beaufitude et d'illettrisme, d'après Vincent Malausa.

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