2013 est l’année du retour de la science-fiction au cinéma, qu’il s’agisse de pointures attendues ou de réalisateurs prometteurs qui doivent confirmer. Le premier à ouvrir le bal est l’architecte Joseph Kosinski qui avait frappé fort avec sa variation tonitruante de TRON. Avec Tom Cruise en tête d’affiche et des premiers visuels plus que prometteurs, Oblivion est une immense déception. Souvent magnifique, le talent de Joseph Kosinski metteur en scène n’étant plus à prouver, le film se plante sur un scénario qui préfère jouer la surenchère de citations plutôt que de créer un récit solide.
Le cinéma de science-fiction est passionnant, tout simplement car il ouvre une porte des possibles, construit autour d’un univers tout à fait plausible mais intimement lié à des découvertes technologiques à venir. La SF, pour fonctionner, doit donc répondre aux lois de la physique et doit surtout faire preuve d’une rigueur fondamentale à l’immersion. Concrètement, si le spectateur commence à ne plus croire que ce qui se déroule à l’écran est du domaine du possible, c’est mort. Joseph Kosinski aime la science-fiction, des petits aux grands maîtres, et le bonhomme étant architecte, les lois de la physique ça le connait, même s’il les bouleversait volontiers dans son très beau TRON : l’héritage. Avec Oblivion, projet qu’il porte sur ses épaules depuis des années, adaptation de sa propre bande-dessinée, et dont il a co-signé le script d’origine avec William Monahan tout de même, on pouvait légitimement s’attendre à le voir prendre son envol et s’imposer comme la nouvelle valeur essentielle du cinéma de SF. Vendu comme un croisement entre Je suis une légende et Wall-E, Oblivion est en fait un immense patchwork de tout ce que la SF a pu produire de plus efficace ou génial depuis 60 ans. Sans aucune idée neuve, le film et son scénario à trous se noient irrémédiablement dans un océan de références trop grandes pour lui.

Évidemment, Joseph Kosinski est tellement doué avec sa caméra, bien aidé par la photographie une nouvelle fois sublime de Claudio Miranda (TRON : l’héritage, L’odyssée de Pi, L’étrange histoire de Benjamin Button…) et la précision du montage de Richard Francis-Bruce, qu’il fera illusion. Oblivion est un film qui en met plein la vue, avec ses effets visuels hyper réalistes – à tel point que quand certains sont ratés comme le premier sabotage de drône, ils paraissent tout simplement dégueulasses – et sa mise en scène souvent virtuose. Joseph Kosinski maîtrise l’espace et les volumes, et cela se sent, même s’il semble légèrement perdu dès qu’il place son personnage en zone désertique. Quoi qu’il en soit, en terme de mise en scène pure, de découpage, et de compréhension de l’espace visuel, Oblivion est une petite merveille qui vient stimuler la rétine à chaque seconde ou presque. Manque de bol, si cela peut suffire à faire une publicité, un clip ou à la rigueur un court, ça ne pèse pas lourd quand il s’agit de pondre un film dépassant les deux heures. Oblivion c’est un peu comme une voiture italienne, l’apparence est irréprochable et follement sexy, mais sous le capot se niche un nid à problèmes. Le premier est un souci de cohérence et de logique, le second d’écriture et de rythmique, condamnant Oblivion à l’enfer des films de SF dont le résultat ne rejoint jamais l’ambition de la note d’intention. L’écriture n’est pas le point fort de Joseph Kosinski et visiblement il n’en est pas encore conscient, et s’il est doué, il ne l’est pas encore suffisamment pour transcender un scénario médiocre par sa mise en scène. Oblivion c’est donc tout d’abord un monde imaginaire certes très beau, car bénéficiant d’une direction artistique irréprochable, mais c’est un monde qui ne tient pas la route. Pour prendre un exemple précis, des immeubles transformés en parois de canyons c’est très chouette comme idée, sauf que malgré toutes les explications données sur ce qui a frappé la Terre, ça ne rime à rien. Et la liste d’incohérences géographiques et physiques est longue, et quand ce n’est pas plausible, il est difficile de s’impliquer émotionnellement.

Autre problème, le scénario, qui se veut d’une ambition démesurée pour finalement se contenter d’ellipses gigantesques pour entrer dans le format, tout en passant de longues minutes à tout répéter et souligner, comme si le spectateur était un imbécile. Car Joseph Kosinski se plait à tout bien appuyer encore et encore, répétant les flashbacks jusqu’à l’overdose, utilisant les dialogues sursignificatifs comme s’il ne croyait pas en la puissance de ses images, et finit par créer d’énormes fautes de rythme dans son film qui semble durer le double de temps. D’autant plus que certains choix dans sa narration posent de sérieux problèmes, à l’image de toute la séquence avec Morgan Freeman qui commence franchement bien avant de s’évaporer sans qu’on sache trop pourquoi. A l’image de son apparence impeccable cachant la misère, chaque séquence autonome d’Oblivion commence merveilleusement pour se finir en avortement, de la même façon que le film dans sa totalité. Non seulement le script est bourré d’incohérences, mais il s’avère même relativement bête. Toutefois, on pourra s’amuser à un jeu passionnant qui est celui des références utilisées par Joseph Kosinski. Car c’est là un autre vrai souci, rien, pas une idée, ne semble provenir uniquement de son cerveau. Oblivion est un tel condensé d’éléments de petits et grands classiques qu’on ne sait plus vraiment s’il s’agit d’hommage ou de plagiat pur et simple. Star Wars, Moon, 2001 l’odyssée de l’espace, La Planète des singes, Matrix, ou les bonnes grosses bouses Independance Day et Armageddon… là aussi la liste est bien trop longue pour être dressée. On ne va pas reprocher à Joseph Kosinski ses références. Mais quand son film, à priori ambitieux, ne va jamais au delà de ces emprunts, voudrait briller avec un récit aussi peu surprenant, dont chaque « révélation » a tellement été vue ailleurs qu’elle ne provoque aucune réaction, cousu de fil blanc et handicapé par une narration asthmatique, il y a un problème. Oblivion condense tout ce que le cinéma de fanboy ne doit pas être, car derrière les clins d’œils il lui manque l’essentiel, une forme de liant qui les transcenderait pour faire du film leur digne héritier et non une copie sans âme, jusque dans la bande son de M83, aussi tonitruante et évocatrice que déjà bien trop entendue (Daft Punk et donc Hans Zimmer). Reste que les images sont globalement sublimes, que Tom Cruise reste Tom Cruise et irradie l’écran de son charisme, mais la vision d’Oblivion laisse un goût amer, celui d’un projet formidable qui s’est effondré, brisant toute forme d’émotion et toute possibilité de réflexion sur la condition de l’être humain. De la SF de bas étage.