Après l’entreprise colossale que représentait Seven Swords, et une petite récréation avec le cadavre exquis Triangle, Tsui Hark décidait de revenir à un film original sous forme de mélange des genres. Et si le résultat de ce film de fantômes est clairement décevant, il témoigne tout de même d’une volonté particulière de briser les conventions du genre et d’explorer de nouvelles voies. Même si elles s’avèrent finalement peu fréquentables.
Entreprise éreintante et douloureuse, avec la nécessité de couper son récit plus que de raison, Seven Swords aura laissé des traces chez Tsui Hark. A tel point que pour se remettre en selle, il fut un temps envisagé pour réaliser The Eye 3, troisième opus de la franchise horrifique au rabais des frères Pang. Travailler sur une franchise dont il ne serait pas l’instigateur l’aurait fait revenir aux productions très commerciales de ses débuts, comme Mad Mission 3. Un cinéma auquel il reviendra bien des années plus tard par ailleurs, et dans des conditions bien particulières. Mais la régression n’aura pas lieu et The Eye 3 deviendra Missing, avec toutefois le « vestige » de la franchise, Angelica Lee. Et ce thriller va finir par emprunter une voie inattendue, confirmant la volonté de Tsui Hark d’évoluer en marge et d’explorer de nouvelles possibilités, quitte à se planter royalement.

Missing démarre pourtant sur des bases solides, le réalisateur reprenant à son compte une grammaire horrifique très japonaise dans l’esprit, pour la faire plier à sa propre vision. Une horreur intimement liée au drame et au processus de deuil, la mort étant omniprésente dans ce récit. Pourtant, déjà, quelque chose ne fonctionne pas. Les minutes passent, le canevas se met en place via une structure parfois déstabilisante mais efficace, mais l’auteur semble absent. Pas un plan, pas un mouvement, pas un raccord qui ne laissent penser que derrière la caméra se tient un des plus grands metteurs en scène contemporains. Et si Tsui Hark a l’intelligence de ne pas céder à sa frénésie habituelle, tentant une approche posée, voir très classique, il finit par livrer un travail dramatiquement impersonnel. Du moins sur le plan purement visuel, Missing ne comportant qu’une quantité infime de séquences proposant un véritable impact visuel. Il préfère prendre du recul et se laisser porter par un récit, approche tout à fait noble si le récit en question n’était pas aussi faible. Avec Missing, il ose un basculement complet du thriller pur et dur, avec des fantômes dégueulasses et des scènes de flippe, vers la romance dégoulinante façon drama bas de gamme. Ainsi, un geste à priori audacieux vient briser tout un film.

Les problèmes sont multiples, et les quelques belles choses qui composent Missing n’y pourront rien. La narration déstructurée rend la logique interne du récit incompréhensible, alors qu’il est pourtant d’une simplicité extrême, des personnages disparaissent ainsi à loisir pour revenir au moment inopportun et sans véritable logique dramaturgique, les sous-intrigues rallongent la durée de la chose pour rien, mais surtout, le basculement de genre s’avère extrêmement problématique. Toute la partie « horrifique » s’avère tout à fait convenable. Pas vraiment digne de ce dont est capable Tsui Hark, manquant d’efficacité malgré une approche assez radicale du traitement des fantômes, elle rejoint les travaux les plus faibles du maître, mais pas les plus honteux. La partie romance en elle-même ne l’est pas non plus, car elle témoigne d’une volonté de renouer avec une forme de romantisme que Tsui Hark maîtrise, comme il l’a très largement prouvé par le passé. On y trouve même les plus belles séquences, avec notamment une magnifique étreinte entre Angelica Lee et l’esprit incandescent de son amour.

Mais l’ensemble ne fonctionne pas. La construction se montre trop hasardeuse, le virage est abordé sans la fluidité nécessaire, et l’ensemble finit par ressembler à un mauvais collage entre deux films très moyens dopés par la présence d’une poignée de belles scènes. Il y avait clairement chez Tsui Hark le besoin d’aborder à nouveau la perte de l’être aimé, de tenter une nouvelle exploration de la mécanique de genres en vogue et de la faire exploser, de jouer avec la notion de sentiment amoureux quitte à tomber dans du soap. Il y avait également la promesse de ces séquences sous-marines qui, avec la notion de perte rapprocheraient Missing d’Abyss, comme le disait au départ le réalisateur. Des séquences très belles, certes, mais qui n’apporteront rien de bien original à l’ensemble. Vraie déception que ce Missing dont le potentiel est pourtant visible à chaque image afin de créer une œuvre hybride fascinante, qui bénéficie d’un très beau casting et de la photographie de Yoshitaka Sakamoto (directeur de la photo de l’étonnant House), mais qui souffre de personnages mal écrits, d’une narration injustement chaotique, d’une bande-son sirupeuse et d’une mise en scène tristement pataude. Tsui Hark est capable de se planter, et quand il le fait, il ne le fait généralement pas à moitié.