5 ans après le premier et tellement sous-estimé Happy Feet, George Miller revient sur la banquise pour signer une nouvelle odyssée à l’ambition démesurée, tout en livrant un spectacle familial de très haute volée. La grande classe.
Ceci n’est pas un pingouin qui parle, qui chante et qui danse. Ceci n’est que le reflet de notre humanité. Il faut bien se rentrer ça dans le crâne avant de voir cette merveille qu’est Happy Feet 2. Définitivement pas un « film d’animation » comme les autres. Composition hybride entre le cinéma live, l’animation traditionnelle et la motion/performance capture (en interview George Miller parle d’animation manuelle des visages), Happy Feet 2 représente une sorte de sommet technologique tellement énorme qu’il est passé complètement inaperçu. C’est sans doute le sort réservé aux grandes évolutions, passer sous le radar car parfaitement intégrées à un projet artistique. Alors pour sur les aveugles n’y verront qu’une comédie musicale pour enfants, dommage pour eux car pendant ce temps le cinéma avance et comme par hasard l’évolution nous arrive encore une fois de l’autre côté du globe, comme il y a quelques années avec une petite trilogie signée d’un certain Peter Jackson. Faisant partie intégrante de la famille des visionnaires, à côté de Jackson donc, mais aussi James Cameron, Robert Zemeckis ou Steven Spielberg, George Miller enfonce le clou après un Happy Feet qui poussait déjà très loin le parcours héroïque d’un enfant à la recherche de sa place dans la société. Il livre avec Happy Feet 2 ni plus ni moins qu’un des trucs les plus ambitieux vus en cette année 2011 au cinéma. Et ça, la bande annonce un brin craignos ne nous y avait pas vraiment préparés.
Dès la séquence d’ouverture, l’ambition du discours nous cloue sur place. En montrant des planètes, des galaxie, sur une voix off très sérieuse, George Miller ancre Happy Feet 2 dans un mouvement de cinéma très 2011 finalement, à savoir une sorte de cinéma du cosmos qui questionne profondément sur la place des êtres dans l’univers, dans le sillage – même si la comparaison parait incongrue au premier abord – de The Tree of Life, Melancholia ou Another Earth. Mais cela tout en assurant un véritable spectacle derrière, et il est là le tour de force. C’est la marque des grands cinéastes, proposer une œuvre appréciable sur des dizaines de niveaux de lecture pour autant de catégories de spectateurs. On pourra très bien prendre Happy Feet 2 pour un « simple » film d’animation avec des gentils pingouins qui partent à l’aventure pour sauver leur tribu enfermée, le tout au rythme de chansons et numéros musicaux dingues. On pourra y voir une comédie burlesque, comme buddy movie à plusieurs échelles. Ou une aventure mythologique. Ou un drame écologiste. Et tant d’autres visions ou grilles de lectures qui peuvent s’appliquer à une partie du récit ou à tout son ensemble. Happy Feet 2 est le genre de film qui peut entamer un dialogue avec tous les publics. Le plus beau, c’est de l’aborder sous l’angle du conte philosophique, de l’aventure initiatique et de l’étude sociale. Dès la première véritable scène, George Miller exclue un personnage, comme dans le premier film, et c’est le fils de Mumble justement. De ce numéro musical flamboyant, gigantesque medley aux influences iconoclastes, on ne va retenir que ce petit pingouin entouré d’amour, par sa famille et ses amis, mais qui visiblement n’aime pas danser. En une séquence, George Miller impose la continuité avec le discours du premier opus pour mieux briser la filiation. Le problème d’Erik n’est pas le même que celui de Mumble, et lorsque ce dernier cherche à l’aider comme lui l’a été, ça ne fonctionne pas. de cette situation tragique va découler une première réflexion qui ira jusqu’au dernier plan et qui concerne les relations pères/fils, leur complexité et leur importance. le regard porté dessus est d’une intelligence rare et l’émotion qui en découle atteint son apogée lors d’une séquence d’opéra magistrale, une déclaration d’amour d’un fils à son père qui vous fend le cœur sur le champ.
C’est pour l’aspect intime du récit. Une de ses nombreuses facettes. Avec le récit parallèle des krills, sortes de crevettes interprétées par Brad Pitt et Matt Damon, George Miller apporte non seulement un ressort comique, mais surtout une réflexion globale sur la place de chaque créature dans l’univers. peut-on forcer l’évolution ? Doit-on rester à notre place ? peut-on évoluer en individuel au sein d’une communauté ? À travers les réflexions existentielles de Will et Bill, leur aventure dans un monde plus vaste que le leur (amorcée dans Le Monde de Nemo notamment), c’est une un discours et un constat bien plus globaux sur la situation de l’homme dans le monde d’aujourd’hui, avec cette tendance naturelle à suivre le troupeau plutôt que de préférer l’initiative personnelle. Et en même temps, en naviguant de ces êtres infiniment petits à l’infiniment grand (l’univers), George Miller met en place l’échiquier des espèces, figé mais qui peut être bousculé. Happy Feet 2 ressemble parfois à un immense message d’espoir, et ce même si le bilan qu’il dresse de notre monde, notamment par la fonte des glaces ou la faiblesse des hommes, n’est pas des plus optimistes. Prenant parfois la forme d’un film de guerre, avec une séquence de charge que n’aurait pas renié Peter Jackson justement (on pense tellement aux cavaliers du Rohan), dopé aux scènes d’anthologie, Happy Feet 2 nous montre des pingouins, c’est vrai, mais le moindre plan est une métaphore puissante et le film en dit plus sur l’humanité en 1h40 que certaines filmographies entières. On y trouve même une réflexion sur les idoles et le pouvoir de persuasion de l’esprit sur les êtres en proie au doute existentiel, et donc sur la religion dans un sens plus large.
Enfin, s’il y a bien un autre très beau discours que prône George Miller, c’est tout de même celui du rassemblement, une unité face à un ennemi commun, Dame Nature en colère à cause des hommes. Le regard porté sur la nature et les luttes qui la composent nous rappelle fortement un autre grand artiste, Hayao Miyazaki, qui prône des valeurs très proches dans chacun de ses films. Il n’y a qu’à voir le rôle final des minuscules krills, dans une scène absolument incroyable au son du « Under Pressure » de Queen, une scène sous forme de miroir dont la glace serait la limite et qui synthétise toute la réflexion sur la place et el rôle de chaque créature dans l’univers tout entier. Happy Feet 2 peut se voir sous la forme d’un opéra, d’où la présence de plusieurs morceaux de Queen, ainsi que par l’amplitude de la mise en scène de George Miller. À coups de grandes envolées, de mouvements de caméra libérés de toute contrainte, de plans séquences monumentaux, notamment avec les krills, et de chorégraphies de masses sublimes, le réalisateur impose une maitrise totale de l’espace et transforme cette banquise formidablement remodelée en terrain d’expérimentations folles. La puissance évocatrice de certains plans est juste à tomber, au même titre que l’intelligence du propos, et à plusieurs reprises Happy Feet 2 et son immersion totale en 3D provoque de véritables frissons tant l’émotion qu’il développe est à fleur de peau. Une autre composante de cette réussite totale vient du fait que George Miller est à la base un réalisateur de films live et qu’il sait diriger des acteurs. En appliquant le même procédé, notamment lors du doublage, que Gore Verbinski sur Rango, c’est à dire en organisant des sessions d’enregistrement avec les acteurs réunis jouant leur rôle, et non pas en individuel, il créé une véritable alchimie propre aux film live qui rend les interactions entre personnages criantes de réalisme. Si on ajoute à ça un traitement graphique et un design magnifiques, des idées géniales d’images monochromes ou d’humains live intégrés au décor animé, des chansons folles et un rythme qui ne faiblit pas, on obtient non seulement un divertissement d’une efficacité redoutable mais surtout un très très grand film à l’ambition dingue.