Fier d’une histoire de plus de soixante ans et apparu dans une trentaine de films, Godzilla est très rapidement devenue une icône populaire titanesque. Remis sous le feu des projecteurs ces dernières années par le MonsterVerse de Legendary Pictures et Warner Bros., Shin Godzilla ou encore la trilogie animée sur Netflix, revenir aux origines du mythe du Roi des monstres est essentiel pour en comprendre toute son essence et son importance. Retour sur un film culte !
On peut aujourd’hui considérer les années 50 comme étant l’âge d’or du cinéma de monstres géants. Une période qui a vu naître une pléthore de films mettant en scène, soit des créatures préhistoriques réveillées par des essais nucléaires (Le Monstre des Temps Perdus d’Eugène Lourié) ou encore des animaux devenus immenses suites à des expériences de scientifiques fous (Them ! : Des monstres attaquent la ville de Gordon Douglas, Tarantula de Jack Arnold…). Parmi ces films, un seul aura suffi pour donner l’élan à toute cette vague de créatures géantes venues terroriser les populations et les cinéphiles à travers le monde : Le Monstre des Temps Perdus d’Eugène Lourié, avec des effets spéciaux visuels signé par le maître Ray Harryhausen. C’est après avoir découvert ce film que le producteur Tomoyuki Tanaka souhaite faire de même et importe cette idée au Japon. Comme nous le savons tous aujourd’hui, c’est grâce à cette volonté que le genre du kaiju eiga ou cinéma de monstres géants est né. Un genre qui va se populariser autour de sa principale icône et véritable emblème du septième art : Godzilla, prononciation occidentale du nom japonais Gojira, formé de la combinaison nippone du gorille et de la baleine.
Encore traumatisée par les bombardements atomiques d’Hiroshima et Nagasaki en août 1945, la population japonaise va ainsi projeter en Godzilla, la personnification idéale de leurs douloureuses épreuves et une source d’espoir pour de meilleurs lendemains. La contamination radioactive du thonier japonais Daigo Fukuryū Maru, causé par les essais nucléaires de la bombe H américaine castle Bravo (dans l’atoll Bikini) est également mise en lumière par le chef-d’oeuvre d’Ishirô Honda. Un tragique événement qui permet à Ishirô Honda d’introduire son film de la meilleure des manières et qui lui donne l’occasion idéal de réveiller le Roi des monstres. Un fait historique habillement réutilisé, que les Américains décident de minimiser en amputant le film de 17 minutes dans sa version internationale. Il nous aura fallu attendre 1997 pour pouvoir découvrir le montage original japonais en France, grâce à la sortie en VHS chez HK Vidéo. Un montage également disponible aujourd’hui, dans un élégant Blu-Ray à la restauration exemplaire (Metropolitan / HK). En effet, au-delà du pur film de divertissement (ou de nanar) qu’inspirent en général les films de kaiju eiga pour le grand public, ce premier Godzilla est avant tout une oeuvre politique. Dès les premières minutes et l’apparition du célèbre logo de la Toho accompagné de son travail sonore martial, jusqu’à la dernière séquence, Ishirô Honda dresse un plaidoyer volontairement antinucléaire et pacifiste. Godzilla y incarne à tour de rôle l’arme nucléaire personnifiée et une certaine forme de la nature vengeresse. Les séquences de destructions en situation où le Roi des monstres déchaîne sa fureur sur la ville de Tokyo en l’écrasant comme un vulgaire château de cartes où « les mers de flamme » provoqués par son souffle atomique, en sont les meilleurs exemples. Ishirô Honda filme les conséquences de ce retour du bâton avec une approche documentariste et une puissance évocatrice en montrant les nombreux réfugiés et victimes du désastre se faire soigner dans les hôpitaux. La scène où un enfant fait l’objet d’un contrôle radioactif avec un compteur Geiger, en est une des images les plus représentatives. Certaines répliques et situations viennent d’ailleurs amplifier cette puissance dramatique et fataliste. On pense entre autres à cette scène où une mère de famille serre ses enfants dans ses bras, face à la mort qui les attend en disant : « Nous allons rejoindre papa ! ». Dernier exemple marquant, celle où des journalistes voient Godzilla foncer sur eux et ont pour derniers mots : « Il se rapproche, c’est la fin ! ».
Au-delà de la forme spectaculaire du récit, Ishirô Honda met ses personnages face à leurs propres contradictions et/ou dilemmes moraux, en les opposants à différentes opinions. C’est notamment le cas sur la course effrénée à l’armement via le personnage du Professeur Serizawa (Akihiko Hirata) qui devient au fur et à mesure du récit une antithèse de Robert Oppenheimer, au travers de son invention qu’est l’oxygen destroyer. C’est également le cas du Docteur Yamane (Takashi Shimura) dont son interrogation sur Godzilla est un questionnement perpétuel sur le bien-fondé du nucléaire et sur la possibilité de s’en préserver. Une des dernières répliques du film, qui est attribuée à ce personnage, est d’ailleurs toujours autant d’actualités quand on repense au drame de Fukushima : « si les essais nucléaires doivent se poursuivre un autre Godzilla surgira peut-être quelque part dans le monde », et qui donne encore plus d’écho avec le récent Shin Godzilla. Ce qu’on peut retenir 60 ans après sa sortie, c’est que Godzilla est et resteront un chef-d’oeuvre et un pamphlet antinucléaire qui marquera à jamais l’histoire du septième art. On peut retenir également que dans cette noirceur et ce pessimisme ambiant, Ishirô Honda laisse furtivement une lueur d’espoir, notamment au travers de l’innocence d’enfants qui entonnent une prière pour la paix, un symbole qui témoigne d’un potentiel salut qui est à la portée de notre postérité.