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Escape from the 21st Century – Critique

Film remarqué dans divers festivals, Escape From the 21st Century de Li Yang sinscrit avec talent dans le sillage d’œuvres ayant façonné une approche du langage cinématographique au carrefour de la pop culture et des milieux artistiques alternatifs. Une réussite fragile, non exempte de défauts, mais qui mérite vraiment le détour.

La chose la plus évidente lors du visionnage d’Escape From the 21st Century est que Li Yang, son réalisateur, entre en forte résonance avec des œuvres contemporaines marquantes. Son approche hybride et décomplexée, mêlant dans une même scène prises de vues réelles, animation, jeux vidéo, comics et manga, s’inscrit dans la continuité directe de Speed Racer, Scott Pilgrim, ou Everything Everywhere All at Once. Une filiation d’autant plus évidente que les effets popularisés par les Wachowski, Edgar Wright ou encore les Daniels sont omniprésents, au point de créer chez le spectateur familier de ces œuvres une sensation de déjà-vu : changements fréquents de formats, utilisation de l’animation comme extension des personnages en live action, transparences visibles, transitions graphiques, jump cuts, humour visuel, couleurs saturées, etc. À première vue, il serait tentant de réduire le film de Li Yang à une copie opportuniste. Pourtant, le réalisateur chinois parvient à réorchestrer des éléments reconnaissables pour bâtir une œuvre personnelle. Le Coming of Age au cœur d’Escape From the 21st Century prend la forme d’une introspection à rebours, où le trio se projette dans un futur vrillant progressivement en désillusion sentimentale et professionnelle. Le cinéaste exploite cette idée en confrontant de manière ininterrompue la fin de l’innocence au monde adulte, propulsant la psyché des trois adolescents dans leurs futurs corps d’adultes. L’une des grandes réussites du film réside dans l’interprétation. Les interprètes adultes font preuve d’un véritable mimétisme physique et psychologique vis-à-vis de leurs jeunes homologues, renforçant l’immersion. Le résultat dépasse rapidement le postulat comique du « poisson hors de l’eau » pour tendre vers une dimension existentielle, héritée de Wong Kar Wai et du réalisme magique qu’il popularisa dans les années 90. À l’inverse d’Everything Everywhere All at Once, qui passait par la parodie déférente héritée de Mel Brooks et des ZAZ avant de basculer dans le mélodrame, Li Yang choisit d’emblée le registre du drame romantique, centré sur le personnage féminin que les protagonistes cherchent à protéger. Celle-ci évolue de love interest tragique à figure fraternelle lors du climax, débouchant sur un combat collectif dans la lignée d’œuvres récentes telles que Sense8, Monkey Man, City of Darkness ou RRR, avec pour pivot narratif le jeu vidéo Street Fighter II.

Le cœur névralgique de cette introspection à rebours se trouve toutefois dans la description d’un futur technocratique et dystopique auquel le trio ne peut échapper, et qui conditionne son existence. Cet aspect confère au film une dimension sombre, faisant écho à la dépression traversée par Li Yang au moment de la rédaction du script, il y a dix ans. De son propre aveu, Wang Zha, Wang Chengyong et Paopao représentent trois états de sa propre dépression, au point que l’écriture du scénario fut une thérapie. Cette dimension dépressive cohabite avec un humour cartoonesque hérité de Stephen Chow, qui fait d’Escape From the 21st Century une comédie inventive et énergique. Les figures de style du cinéaste de King of Comedy et Crazy Kung-fu répondent à l’appel, notamment dans d’hilarants gags sur la performance physique. Autre élément marquant : le traitement visuel de l’animation, dont l’énergie psychédélique rappelle fortement le travail de Masaaki Yuasa. Li Yang trouve dans son film un habile équilibre entre expérimentations visuelles et récit profondément humain, dont la finalité thématique rappelle le constat porté par le récent Life of Chuck de Mike Flanagan. Cet aspect atypique s’explique aussi par une conception chaotique. L’effondrement du financement de la post-production a contraint Li Yang à recourir à de petites compagnies de VFX, à user du système D et de son expérience d’animateur pour réinventer des scènes entières, jusqu’à ce que le succès d’Everything Everywhere All at Once attire de nouveaux investisseurs pour terminer le projet. Le résultat final tient du paradoxe réjouissant : certaines séquences d’un formalisme minutieux rappellent les Wachowski ou Edgar Wright, d’autres relèvent d’un bricolage artistique « Do It Yourself », dans la lignée des Daniels, mais aussi de binômes tels que Mike Cheslik/Ryland Cole Tews (Hundreds of Beavers) ou Cristóbal León/Joaquín Cociña (La Casa Lobo).

Dans cette dynamique, Escape From the 21st Century s’inscrit pleinement dans une nouvelle culture alternative, proche de créations sur TikTok, Instagram et YouTube, de communautés actives sur Letterboxd, Pinterest ou Bandcamp, et de mouvements musicaux comme la vaporwave ou l’hyperpop. Le film apparaît comme un retour aux sources de cette culture : d’une part l’Asie, via le manga, les jeux vidéo et son cinéma, de Bruce Lee à Nobuhiko Ōbayashi ; d’autre part les expérimentations artistiques et syncrétiques issues de la contre-culture des années 60. Le psychotrope psychédélique à l’origine du déplacement temporel dans le récit, pensé d’abord comme une ouverture vers de nouvelles perceptions, est détourné par un conglomérat dirigé par une antagoniste digne d’un James Bond, cherchant à enfermer l’humanité dans son passé. Un élément quasi mystique et transcendantal devient ainsi un simple objet mercantile, vidé de son essence, pour maintenir les individus prisonniers d’un passé mortifère. Si cette richesse thématique constitue la force du film, elle en révèle aussi les limites. À l’inverse de certains de ses modèles, Speed Racer en tête, le manque de limpidité narrative finit par nuire à la frénésie du récit. Le film de Li Yang fonctionne davantage par scènes marquantes que par sa narration d’ensemble, qui pourra paraître confuse pour au final raconter une histoire assez simple, au risque de laisser encore plus de public sur le carreau que certains films précités. Le dernier acte souffre également d’une tonalité schizophrène. Bien que la résolution de l’intrigue s’appuie sur un humour scabreux typique du cinéma hongkongais, elle débouche sur un discours moralisateur grossophobe rappelant une propagande gouvernementale, ce qui affaiblit l’impact mélancolique des ultimes instants du métrage. Un choix d’autant plus regrettable que le film maintenait jusque-là une approche plus franc-tireuse et subversive sur l’acceptation de soi. Malgré ces limites, Escape From the 21st Century illustre la vitalité du nouveau cinéma chinois, aux côtés de films comme Black Dog ou Creation of the Gods. Une œuvre imparfaite mais attachante, inventive et galvanisante, qui témoigne de la porosité et du syncrétisme vivifiant de certaines productions actuelles.

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En résumé

En dépit de ses imperfections, Escape From 21st Century démontre la faculté de son réalisateur Li Yang a réorchestrer des influences marquantes pour livrer une oeuvre personnelle. Une très belle réussite qui démontre la faculté et le renouveau d’un certain cinéma qui mériterait d’avantage d’attention et de considération.
7.5
10

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Auteur

Rédacteur pour Monsieur Bobine et Furyosa. Co-auteur de "L'oeuvre des Wachowski - La matrice d'un art social" chez Third Editions.

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