S’il y a bien une constante dans le cinéma de Florent-Emilio Siri d’Une minute de silence il y a déjà 14 ans à Cloclo, son cinquième film, c’est une foi inébranlable en le cinéma. C’est ce qui lui a permis de se frotter brillamment à John Carpenter au moment de réaliser Nid de guêpes, de livrer un des meilleurs films de guerre du cinéma français avec L’ennemi intime, ou de se sortir avec les honneurs de l’exercice de la commande américaine à la gloire de Bruce Willis avec Otage. Après 5 ans d’absence des écrans, quelle surprise de le voir revenir avec Cloclo, film casse-gueule par excellence : biopic, sujet qui transpire le cliché, icône populaire estampillée kitsch et acteur mimétique. Oui mais voilà, Florent-Emilio Siri n’est ni Anne Fontaine (le tout mou et télévisuel Coco avant Chanel) ni Olivier Dahan (le sublime mais figé et très démonstratif La Môme). Et quand un biopic atterrit devant la caméra d’un véritable metteur en scène capable de capter un personnage de cinéma pour éviter le portrait sans relief et la simple biographie mise en images, cela donne Ali de Michael Mann, Aviator de Martin Scorsese ou Ed Wood de Tim Burton, pour prendre quelques grands films en exemple. À cette liste pas si longue en version exhaustive, il va falloir ajouter Cloclo de Florent-Emilio Siri qui confirme qu’il est bien un des meilleurs réalisateurs français. D’assez loin.

Cloclo fonctionne en deux temps. La toute première partie du film, s’intéressant notamment à l’enfance de Claude François en Égypte, l’éducation rigide de son père et la mise en place d’un semblant de plan de carrière, parait très classique. C’est pour mieux tordre le cou aux attentes du spectateur qui n’en finira pas d’être bousculé. Cloclo emprunte une voie assez rare pour un biopic, car une fois posées les bases du personnages, non pas pour lui trouver des excuses mais pour le construire à l’écran, le film évite à peu près tous les pièges du genre. Tout simplement car il ne l’aborde pas vraiment comme un biopic. Ainsi, Florent-Emilio Siri réussit une sorte d’exploit en évitant l’hagiographie qui aurait pu être crainte (si quelqu’un d’autre s’était chargé du projet) tout en ne désacralisant jamais l’icône populaire. La réussite de Cloclo tient dans un fait très simple, Florent-Emilio Siri parvient à tirer le meilleur du scénario de Julien Rappeneau pour expliquer l’inexplicable : le pouvoir d’attraction et de fascination de Claude François. Quelque chose à priori impossible à comprendre pour quiconque n’a pas vécu en live les années Claude François. Et pourtant, en le traitant au niveau de l’intime pour mieux l’exposer dans la lumière de la légende, l’attraction animale traverse l’écran. Deux images résument parfaitement la nature du personnage, et remontent à l’enfance. La première est celle de ce père qui entre dans la chambre de ses enfants et jette leurs jouets par la fenêtre sans rien dire, après avoir soigné sa présentation impeccable. La seconde est celle du jeune Claude sur un ponton, face à un immense paquebot symbolisant ses rêves de grandeur. L’intelligence de Cloclo est de traiter le personnage à la manière d’une grande fresque, d’un film de gangsters. Claude François par Florent-Emilio Siri c’est un peu Henry Hill ou Tony Montana, le portrait d’une ordure programmée à un destin aussi éclatant qu’éphémère, un personnage aux névroses palpables, fascinant de complexité. Avec Cloclo, Florent-Emilio Siri emboîte le pas de Paul Thomas Anderson pour la succession de Martin Scorsese et signe son Boogie Nights à lui, avec une maîtrise de l’outil cinématographique qui n’en finit plus d’impressionner. Point d’esbroufe ou d’artifices, mais simplement une démonstration de pure mise en scène, ou comment raconter une histoire essentiellement par l’image et ses compositions. En cela Cloclo se situe à des années lumières de ce à quoi nous habitue le cinéma français, par sa grammaire mais également l’ampleur de son ambition narrative et visuelle.

Quelque part, Florent-Emilio Siri se projette complètement dans le personnage de Claude François qui construit sa carrière avec toujours l’international et les USA en modèle/ligne de mire. Et il construit un portrait fascinant car quasiment schizophrène. D’un côté on assiste à l’ascension fulgurante d’une étoile, d’un type prêt à tout pour obtenir le succès, un visionnaire capable de capter précisément ce qui va révolutionner la mode et la musique, qui multiplie les supports d’expression pour accéder au statut de nabab, une sorte de génie qu’on ne soupçonnait pas et doté d’une aura magique dès qu’il se trouve face au public. Mais il nous parle également d’un autre Claude François, un pauvre type qui reproduit en pire le schéma de son père, un être abject incapable de construire une famille alors qu’il ne cesse d’essayer, une ordure qui détruit tous ceux qui l’entourent. Florent-Emilio Siri s’avère extrêmement cruel avec son personnage dont il filme chaque part d’ombre de façon crue. Ainsi on y découvre un homme au charme magnétique avec les femmes mais qui s’avère incapable de les aimer, entre passion incontrôlable et volonté de les transformer en choses à son service, qui ne peut supporter qu’une autre étoile brille à ses côtés, comme un soleil dont la proximité n’entraine que la destruction pure et simple. Un portrait peu reluisant en somme, et qui fait ainsi tout le sel du film. Cloclo n’est pas un biopic comme les autres, car il capte un personnage exceptionnel dans tous les sens du terme. Il fallait oser montrer un Claude François capable d’humilier son propre fils en le cachant pour ne pas ternir son image de séducteur, ou profiter de la crédulité de ses fans pour assouvir sa soif de sexe et de pouvoir absolu. En parallèle, le talent visionnaire du type tout à fait conscient de ses limites artistiques, perfectionniste jusqu’à la névrose, maniaque de façon maladive (« Dieu est dans les détails ») est tellement passionnant et bien mené qu’on s’éprend du personnage jusqu’à être bouleversé par ce qui se passe à l’écran. Car c’est bien à l’embrasement inévitable d’une étoile qu’on assiste.

Tout fonctionne à merveille dans Cloclo, de la reconstitution qui ne sent jamais le carton-pâte mais qui dégouline d’authenticité à une narration parfaitement ciselée pour une montée en pression imparable. Sans le dévoiler, Florent-Emilio Siri se sort du plus gros piège lors du dernier acte du film avec une pudeur et une délicatesse qui font plaisir à voir. Mais surtout, Cloclo est un modèle de grammaire cinématographique. La photographie est magnifique, notamment dans son évolution à travers les époques, la mise en scène est un modèle du genre dopé aux tours de force jamais gratuits. Ainsi, quand le réalisateur impose ses plans séquences magistraux (au moins trois, dans des compositions franchement complexes) ils ont un sens, ils apportent quelque chose au récit. Quand il fait un travelling se termine en un gigantesque mouvement de grue vertical pour dévoiler le public de l’Olympia, ça a du sens. On ne va pas faire une liste des morceaux de bravoure mais il y a dans Cloclo tellement de scènes complètement folles dans leur construction visuelle qu’on a parfois du mal à croire qu’on se trouve face à un biopic produit en France. L’utilisation des films en super 8, des images d’archive, ou encore cette séquence surréaliste quand Claude François écoute My Way chanté par Sinatra, c’est du grand cinéma, tout simplement. Une alliance quasiment parfaite entre tous les intervenants sur le film, de la mise en scène bourrée d’idées toujours justes pour raconter une histoire et faire avancer le parcours émotionnel du spectateur en parallèle avec la narration, jusqu’au montage souvent bluffant. On pourrait en dire du mal aussi, avec la composition pas très juste d’un Benoit Magimel à l’accent pied noir et au maquillage too much, ou encore la composition d’Alexandre Desplat qu’on a connu plus inspiré. Mais ce n’est pas nécessaire, tant l’interprétation de Jérémie Renier est immense et habitée, et tant les frissons ressentis devant cette fresque d’une ampleur rare n’ont que trop peu d’équivalent. Messieurs les cinéastes, si vous voulez réaliser un biopic, c’est comme ça qu’il faut faire, et ça demande autant de travail que de talent.