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Tête de turc des « cinéphiles », moqué à la moindre occasion, montré du doigt pour son cinéma défini aussi bien comme crétin que soit-disant illisible, Michael Bay et son style inimitable sont pourtant les représentants du cinéma à grand spectacle contemporain. Que cela plaise ou non, le californien est un cinéaste majeur depuis 20 ans. Dans le sens où même s’il restera toujours dans l’ombre des plus grands, son cinéma de l’excès dont chaque plan est habité par une forme de fureur, a fait des émules et continue d’en faire. Et à l’image du « plat signature » d’un grand chef, Bad Boys II est le « film signature » de Michael Bay, celui qui représente au mieux tout ce qui caractérise son œuvre.

Vers le milieu des années 90, un certain Michael Bay officie dans la publicité le clip musical pour des artistes divers tels que Richard Marx (Angelia), Tina Turner (Love Thing) ou Lionel Richie (Do it to me). Et le bonhomme a du style, à tel point qu’il tape dans l’œil du duo Simpson/Bruckheimer, ces faiseurs de hits et découvreurs de talents qui voient probablement en Bay un nouveau Tony Scott. Ils lui offrent les rênes de Bad Boys, un buddy cop movie qui apporterait un peu de sang neuf au genre (le troisième épisode de L’arme fatale vient alors de sortir). Du sang neuf devant la caméra, en prenant deux stars de la TV cherchant le succès populaire au cinéma (Will Smith et Martin Lawrence, respectivement stars des shows Le Prince de Bel Air et Martin), mais également derrière, avec un réalisateur capable de dynamiter la rythmique d’un genre qui a tendance à ronronner lorsqu’il n’est pas dans les mains de metteurs en scène tels que Walter Hill ou Richard Donner. Le succès est colossal, même si le film ne révolutionne finalement pas grand chose, si ce n’est l’énergie dont il déborde. Will Smith devient instantanément une superstar et se voit offrir des rôles dans les plus gros blockbusters des années 90, tandis que Michael Bay devient la nouvelle poule aux œufs d’or de Jerry Bruckheimer.

Il faudra pourtant attendre près de 10 ans pour que le réalisateur y revienne. Attendues, ses retrouvailles avec le duo de flics de Miami pas comme les autres vont prendre une tournure un peu spéciale. Le film naît d’un besoin vital pour Bay de ne se mettre aucune limite, notamment en terme de violence et de mauvais goût. Résultat, il conçoit son film dans l’optique d’une classification « R », sachant pertinemment que le succès public ne sera ainsi pas au rendez-vous (notion tout à fait relative, Bad Boys II ayant plutôt bien marché au box office tout en restant très loin des chiffres des trois films précédents de Michael Bay : Rock, Armageddon et Pearl Harbor). Le duo Smith/Lawrence rempile, le premier régnant toujours en maître à Hollywood, Ron Shelton (Les Blancs ne savent pas sauter, Tin Cup) et Jerry Stahl (scénariste pour des séries TV populaires et ancien toxicomane) se chargent du script et l’iranien Amir Mokriest appelé à la rescousse pour réaliser les idées visuelles les plus folles du réalisateur et trouver la lumière parfaite. Cette fois encore, ce n’est pas tant par son script, finalement assez classique dans le genre du buddy cop movie, que le film va briller. Et ce même s’il remplit parfaitement les quelques 2h40 de la chose, durée colossale facilement explicable, comme d’autres aspects de son cinéma, par un évident complexe d’infériorité de Michael Bay. Destiné à rester dans l’ombre des plus grands (son nom reste dans l’ombre face à celui de Spielberg, seulement producteur de Transformers par exemple), et ce malgré un succès considérable, il n’a d’autre choix que d’en mettre plein la vue, de remplir ses films à ras la gueule, et Bad Boys II est sans doute le plus bel exemple de cette approche excessive, nécessaire pour exister et donc foncièrement touchante.

Évidemment, en cherchant toujours à aller plus loin que les autres, à vouloir taper plus fort, à chercher la vanne du plus mauvais goût, cela ne peut pas plaire à tout le monde. Il y a deux buddy cop movies qui caractérisent les années 2000, Bad Boys II et Miami Vice, deux approches radicalement différentes et qui se complètent parfaitement, comme en leur temps les deux wu xia pian les plus radicaux qui soient et qui fonctionnaient sur la même opposition : The Blade et Les Cendres du temps. Soit d’un côté l’énergie, la fureur et le chaos, et de l’autre l’élégance et le romantisme. Plutôt que d’y voir la dégénérescence du blockbuster comme cela fut évoqué à l’époque de sa sortie, il faut y voir au contraire une assimilation idéale de ce qu’est devenu le cinéma d’action. Michael Bay, avec sa réputation de crétin, dresse le portrait d’un genre, le pulvérise, et lui fait dépasser ses propres limites. Mais tout en gardant le second degré nécessaire pour faire avaler la pilule.

Car comment est-il possible d’aborder sérieusement le final, qui fait du camp de Guantánamo un refuge pour la liberté ? Comment même se poser la question d’un éventuel premier degré quand, dans tout ce qui a précédé, des corps emballés ont été disséminés dans la ville pendant une course poursuite ? Quand de longues lignes de dialogue dissertent sur une balle ayant atteint le cul de Marcus ? Quand un plan s’attarde longuement sur des rats qui copulent dans la position du missionnaire ? Impossible. Bad Boys II est un film qui, comme tout buddy cop movie qui se respecte, est ponctué d’un humour qui correspond tout à fait à l’esprit général, à savoir ici une surenchère totale et permanente. Michael Bay ne se met aucune limite et en fait des tonnes, à tous les niveaux, élevant le « Bayhem » au rang d’art pictural. En quelque sorte. Avec sa grammaire cinématographique faisant l’éloge du too much, il vient se frotter à des légendes et surenchérit. Comme un sale gosse qui veut à tout prix prouver que c’est lui le meilleur, tout en sachant pertinemment que ce n’est pas le cas. Esprit chevaleresque exacerbé, poses iconiques toutes les deux minutes, travellings circulaires dans tous les sens, gunfights over the top… Michael Bay vient chasser sur les terres de John Woo qui aurait abusé des acides tout en voulant se frotter à David Fincher. Résultat, cette séquence absolument folle, interminable, de la fusillade avec le gang d’haïtiens, dans un mouvement qui tient autant de la virtuosité que de la frime pure et dure. Mais est-ce véritablement de la frime ? Ou plus plausiblement un besoin de se mesurer à des modèles indéboulonnables ?

Même constat lors de la poursuite finale, quand Michael Bay décide de reproduire une des séquences les plus impressionnantes du cinéma hong-kongais : la course poursuite en descendant une colline faite d’habitations type favelas de Police Story. Pour prouver encore une fois que c’est lui qui a la plus grosse, Bay y rajoute un Hummer, des caméras dans des lieux improbables et tout plein d’explosions (toutefois justifiées par le fait que le Hummer traverse des laboratoires où se fabrique de la drogue). Surenchère, vitesse, chaos. Et ça fonctionne. Non pas par miracle, mais car Michael Bay sait très précisément ce qu’il fait. Sa mise en scène de la pose, sa suresthétisation globale et son mauvais goût certain s’accorde dans une harmonie géniale avec le propos de son film. Une bromance contrariée par une romance secrète, une enquête foireuse et des personnages tous plus excessifs les uns que les autres, des membres du KKK au clone de Tony Montana incarné par le génial Jordi Mollà.

Ça fonctionne car Michael Bay a su capter l’esprit d’une époque. Non pas une dégénérescence mais une évolution, voire une mutation. On peut trouver cela crétin, mais Bad Boys II est un buddy movie extrêmement solide, au script à la fois simple et ample, qui bénéficie d’une rythmique absolument parfaite et de cette mise en scène très démonstrative de cet architecte du chaos qu’est Michael Bay. Ce n’est pas un hasard si la même année sortait un film d’autres auteurs en prise directe sur le monde qui les entoure, les Wachowski, avec Matrix Reloaded. A priori, rien en commun entre ces deux films, si ce n’est la présence de courses poursuites absolument dantesques sur des « freeways ». Soit deux séquences parmi ce que le cinéma d’action a produit de plus impressionnant dans les années 2000. Mais Bad Boys II, c’est également l’affirmation d’un style unique, des cadres chargés à ras la gueule et des plans qui intègrent en permanence un mouvement, de sorte à créer une dynamique qui ne faiblit pas et une esthétique épique qui n’a pas d’équivalent. La moindre scène, la plus anecdotique qui soit, prend une dimension colossale grâce au dispositif de Bay. C’est sa force, et peut-être également sa limite, car il manque ainsi à Bad Boys II une chose. Une seule, mais majeure, une évolution dramatique qui se traduirait dans la narration par des plages émotionnelles distinctes. Mais ce manque reste bien faible face à la générosité absolu et la démonstration technique de ce chef d’œuvre. Michael Bay n’est certes pas Michael Mann, ni John McTiernan, mais il est Michael Bay, un « auteur » avec une patte. Qu’elle plaise ou non, elle existe, et c’est une denrée rare dans cet Hollywood de plus en plus impersonnel et fade.

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Auteur

Gigantesque blaireau qui écrit des papiers de 50000 signes absolument illisibles de beaufitude et d'illettrisme, d'après Vincent Malausa.

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