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Babe, un petit conte tout mignon et drôle autour des aventures d’un jeune cochon dans une ferme ? Ce serait dénigrer l’œuvre de l’auteur George Miller, comme cela est trop souvent le cas, que de limiter cet impressionnant conte philosophique à une vision aussi simpliste. Babe a beau mettre en scène une basse-cour, le film n’en est pas moins une œuvre foisonnante explorant avec finesse et lucidité les méandres de la psychologie humaine et de l’accomplissement personnel, invoquant bien volontiers les théories lacaniennes et les études de Joseph Campbell.

S’il est bien signé Chris Noonan, réalisateur australien rare ayant essentiellement œuvré pour la télévision, et qui n’a depuis réalisé que Miss Potter avec Renée Zellweger, Babe est un film qui porte bien haut la marque de fabrique de son co-scénariste : George Miller. Le père de Mad Max, le réalisateur de Lorenzo, un des drames les plus poignants de toute l’histoire du cinéma, qui se consacrerait à un « film pour enfants » ? Le doute est permis. Cependant, à la manière des grandes productions Pixar ou des films de Hayao Miyazaki, Babe, le cochon devenu berger joue la carte de la manipulation. Soit l’illusion de s’adresser en priorité aux enfants pour mieux toucher les adultes. Mais ceci sans dénigrer une seul frange du public. Les plus jeunes sont évidemment aux anges devant les aventures rocambolesques, divinement rythmées et souvent très drôles de ce petit cochon en quête d’élévation, mais c’est une fois de plus chez Miller à travers l’ampleur de son message que le film prend une toute autre dimension, très spirituelle, absolument fascinante.

Évidemment, en faisant le choix de ce cadre, en donnant l’illusion d’un film entrant parfaitement dans sa « boîte », et en surestimant sans doute une partie de leur public adulte, Miller et Noonan (le premier ayant réitéré avec la suite de Babe puis avec Happy Feet, avec la même réception complètement faussée faisant passer les films pour des objets tout mignons et inoffensifs) ne pouvaient pas s’attendre à une réception digne de l’ampleur de leur travail, et ce même si le film fut un succès. Mais qu’importe, les messages forts, lorsqu’ils sont émis par des conteurs experts en la matière, finissent par toucher l’inconscient. Il en va ainsi de Babe, ce petit conte qui constitue pourtant une véritable révolution. Le roman The Sheep-Pig de Dick King-Smith a immédiatement séduit George Miller qui a senti tout le potentiel de ce livre pour enfants. Il lui aura pourtant fallu 10 ans pour en tirer un scénario pour le cinéma, attendant patiemment, comme son confrère James Cameron, que les technologies nécessaires à sa mise en scène entrent dans le domaine du possible. 10 ans d’écriture, soit une preuve supplémentaire, si cela était vraiment nécessaire, que Babe n’est pas vraiment un film pour enfants comme les autres. 10 ans pour élaborer une structure en chapitres d’une efficacité redoutable, pour infuser au récit des notions de philosophie et de psychanalyse extrêmement élaborées. 10 ans pour permettre, dans un film en live action, d’obtenir à l’écran des animaux qui parlent de façon tout à fait naturelle.

Dans les grandes lignes, Babe, le cochon devenu berger jongle avec des thèmes finalement assez classiques dans toute bonne illustration d’un parcours héroïque. Un être « élu », diverses rencontres avec des guides et des ennemis, une remise en question, une illumination, une prise de conscience brutale et l’acceptation d’un nouveau statut. La comparaison peut paraître farfelue mais Babe suit un schéma similaire à celui de Matrix. Ou de Mad Max le défi. On retrouve cette même volonté de mettre en scène un parcours initiatique symbolique permettant à un être à priori très commun de se transformer en détonateur pour une société, voire un univers, dans son ensemble. Cela passe par une quête identitaire, ici celle d’un cochon qui, en étant séparé trop tôt de ses pairs, ne connait ni ne comprend sa véritable nature. Leçon de vie extrêmement stimulante, Babe, le cochon devenu berger s’appuie sur un univers essentiellement constitué d’animaux pour mieux développer son message : se plier aux conventions, qu’elles soient imposées par la nature ou par la société, ou s’en extirper pour atteindre une élévation spirituelle, n’est qu’une question de choix.

En cela, le film s’avère passionnant. Il l’est d’autant plus que les auteurs ne font pas le choix de l’anthropomorphisme. Au delà de donner la parole aux animaux, dans un simple but de compréhension, ils restent des animaux au comportement lié à leur espèce, et ne sont pas transformés en humains comme cela est généralement le cas. Ce respect pour la nature, évidemment militant, est tout naturel de la part de George Miller, végétarien reconnu. Il s’agit ici d’intégrer le plus fidèlement possible les caractéristiques comportementales de chaque animal pour créer des personnages complexes, même si répondant à ce que la nature et l’homme, défini comme « maître » leur ordonne. Mais l’ensemble de ces personnages se verra dynamiter par l’arrivée de ce petit cochon pas comme les autres, et qui cherche sa place. Il forme avec un certain Ferdinand, un canard, sorte d’être supérieur ayant déjà atteint une forme d’élévation spirituelle (en n’acceptant pas sa nature de futur repas, et en cherchant à adopter le comportement d’autres animaux pour les remplacer et se rendre indispensable, mais en ayant une tendance à la paranoïa, il devient le « fou »), un drôle de duo qui finira par remettre en cause les lois de la nature (édictées par l’homme-éleveur). C’est bien le parcours d’un élu qui va complètement dynamiter l’aliénation d’un micro-univers. Les chiens de bergers finiront par discuter paisiblement avec les moutons, le cochon prendra la place du chat au coin du feu et celle du chien dans un concours, soit une révolution considérable. L’objet étant d’illustrer la capacité de l’être (humain ou non) à transcender les règles édictées par une société afin de trouver sa propre voie. Ne pas se contenter des conventions et des boîtes, abattre les murs, créer sa propre histoire, tout en prenant conscience de sa nature afin de la transcender. Tout le propos de ce conte initiatique tient là. C’est à la fois presque rien et quelque chose d’immense, et c’est d’autant plus fort que le film s’adresse en première lecture à des enfants. La stimulation est totale, fondamentale.

Ces 10 ans d’écriture se traduisent par une architecture du récit extrêmement précise, une structure en étapes comme autant d’étapes dans le parcours et la construction héroïque. Le parcours de Babe, entre évolution spirituelle et recherche de sa nature, passe par l’adoption immédiate d’une mère de substitution et la longue recherche du père, lui qui est immédiatement séparé de ses pairs. La quête passe par une dépersonnalisation (le cochon ne sait pas s’il est un chien, un canard, un mouton ou autre), une phase de fantasmes (l’identité qui s’alimente des rêves), une terrible prise de conscience (la conversation avec le chat, personnage montré comme méchant et sournois, mais qui ouvrira les yeux du héros à travers des questions existentielles du type « Sais-tu à quoi servent les cochons ? Pourquoi es-tu là ? »), et un passage à l’acte, à savoir le choix d’une existence. Lorsque Babe prend conscience que son destin n’est que mort, qu’il n’est, selon les règles édictées par l’homme, que de la viande, il passe par une phase de renoncement avant d’accéder à son nirvana. Il refuse sa nature de cochon et devient un chien de berger.

Si le message passe si naturellement, malgré sa profondeur et sa noirceur (il est énormément question de mort), c’est grâce à la pertinence du choix de cette forme de narration qu’est le conte. Les éléments féériques, l’humour burlesque (le running gag des souris qui permet de faire passer des propos parfois très cruels), le surréalisme de certaines séquences (la mise en scène adopte parfois une grammaire de film d’horreur, parfois de comédie britannique, parfois de film d’aventure…), brouillent les pistes et donnent au film des airs de grand divertissement familial. Une forme de travestissement qui permet de diffuser la vaste réflexion sur l’existence, ainsi que cet amour véritable pour la nature sous toutes ses formes, invitant éventuellement à repenser un mode de vie destructeur (James Cromwell, formidable dans le rôle de l’agriculteur, est également passé au végétarisme suite au tournage).

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En résumé

Militant, enjoué, romanesque, touchant et très drôle, Babe, le cochon devenu berger vient s’ajouter à la liste des créations importantes de George Miller, même si la mise en scène aurait été plus inspirée s’il l’avait lui-même réalisé, à l’image de son incroyable suite, un autre film majeur et totalement incompris.
7.5
10

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Auteur

Gigantesque blaireau qui écrit des papiers de 50000 signes absolument illisibles de beaufitude et d'illettrisme, d'après Vincent Malausa.

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