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Black Coal – Critique

Depuis quelques années, le cinéma chinois vit une impressionnante mutation, fulgurante même, et dont Black Coal est un élément essentiel. Ce cinéma explore l’explosion interne d’un pays bouleversé de façon presque grotesque, par le prisme d’un cinéma de genre pur et dur. Yinan Diao, pour son troisième long métrage, utilise les fondations d’un genre très codé pour mieux ausculter le grand bouleversement qui agite son pays, et signe un film d’une beauté souvent stupéfiante.

Les générations de cinéastes chinois se suivent et ne se ressemblent pas. Plus étonnant, eux-mêmes sont en pleine mutation. Ainsi, si l’émergence d’un nouveau cinéma de genre en Chine semblait être la conséquence de l’arrivée des cinéastes issus de Hong Kong (le renouveau du film en costumes par Tsui Hark ou du polar par Johnnie To), certains sont en train de remettre les choses à plat. Jia Zhang-Ke, cinéaste de la sixième génération, l’a montré de façon éblouissante avec le monstrueux A Touch of Sin, Yinan Diao lui emboîte le pas. Il existe aujourd’hui un nouveau cinéma de genre en Chine, qui se construit peu à peu, et qui marque comme ce fut le cas dans l’histoire de toutes les grandes puissances capitalistes un ancrage fort dans une réalité sociale. Ainsi, ce « cinéma social », si épuré il y a quelques temps, se pare aujourd’hui d’attributs bien plus intéressants d’un point de vue cinématographique. Black Coal est une des fondations de cette petite révolution (culturelle).

Black Coal porte les stigmates de cette mutation. Il est à la rencontre des courants. Il possède cette étrange énergie née d’une approche presque documentaire, le pédigrée d’un cinéma social brut et épuré, comme s’il ne fallait pas travestir le réel pour en rendre compte. Cela se traduit à l’image par un style qui ne cherche pas toujours à embellir les choses, par des lumières parfois très brutes, qui donnent parfois lieu à des scènes sous-exposées, mais également par un rythme peu enlevé. Il est la conséquence d’un choix de montage qui tend à privilégier la durée des plans, quitte à parfois couper trop tard. Souvent pourtant, ce choix s’avère payant et donne lieu à quelques plans séquences magnifiques et remplis de sens. A l’image de celui, en vue subjective, participant à créer cette remarquable ellipse, franchement audacieuse, qui vient imprimer le rythme du récit, ou un autre, plus loin, qui vient capter une étrange poursuite/filature. Cette dernière séquence est d’ailleurs le gros tour de force du film car elle conjugue justement les deux courants esthétiques qui se rencontrent dans Black Coal, débutant de façon très épurée pour opter ensuite pour un visuel presque surchargé. Car qui dit film de genre dit codes, notamment visuels. Yinan Diao embrasse par ailleurs un genre ayant plus ou moins disparu au profit de son rejeton le neo-noir : le film noir. Il en assimile tous les motifs et participe ainsi à faire voyager ce genre dont la paternité est si souvent attribué au cinéma américain, alors qu’il est né en Europe, Pépé le Moko étant peut-être le père fondateur du genre.

C’est un choix tout naturel pour Yinan Diao qui prouve ainsi, une bonne fois pour toutes, que le film noir n’a d’autre patrie que celle du cinéma, et que celle-ci n’a ni frontière, ni langue. Toujours est-il qu’il signe avec Black Coal un pur film noir dans la grande tradition du genre, avec son anti-héros, sa femme fatale, ses meurtres dégueulasses, mais également avec ses parti-pris esthétiques laissant une large part à l’obscurité dans le cadre, avec son décor urbain, ses seconds rôles troubles et la sensation de manipulation de la vérité qui en émane. De la même manière, la romance impossible, presque destructrice, tenant même plus de la passion dévorante et animale que de la romance classique, est un des attributs typiques du film noir dont Black Coal récupère tous les motifs essentiels, tout en lui apportant une certaine modernité, et notamment dans certains éléments ouvertement grotesques introduits par le réalisateur pour traduire un certain malaise.

Et s’il cite ouvertement quelques grands classiques du genre, il crée ainsi sa propre identité. Le temps d’une séquence de feux d’artifices en plein jour, ou de cette filature en patins à glace, franchement surprenante mais surtout très belle, Yinan Diao apporte par petites touches sa pierre à l’édifice et fait s’éloigner son film des figures tutélaires pour bâtir sa propre mythologie. En résulte un film clairement hybride, à la fois épuré et stylisé, conte moderne et film noir classique, qui sous couvert de découverte d’une vérité va explorer et obscurcir un certain mystère sur ce pays en pleine révolution. Un pays que Yinan Diao n’épargne pas quand il l’assimile à ces corps démembrés dont chaque partie se retrouve aux quatre coins du pays, embarquées dans des wagons remplis de charbon. Elle est là toute l’absurdité qu’il cherche à capter, dans cette identité mise en pièces, dans cet héritage sacrifié, dans ce capitalisme qui s’est installé trop vite, trop brutalement, et a complètement redessiné toute une culture. Les minutes avancent et Black Coal se fait plus dense, plus riche, jusqu’à devenir un objet de cinéma vraiment singulier, fragile. Mais c’est avant tout un beau et authentique film noir, porté par deux personnages magnifiques auxquels Liao Fan et Guey Lun-mei apportent toutes les nuances nécessaires, un film pervers, langoureux et sensuel, nourri d’éclairs de violence stupéfiants, à l’image de cette scène de fusillade dans le premier acte.

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Auteur

Gigantesque blaireau qui écrit des papiers de 50000 signes absolument illisibles de beaufitude et d'illettrisme, d'après Vincent Malausa.

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