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Quand Bong Joon Ho a annoncé qu’il retournait faire un « petit film » en Corée du Sud, il fallait bien entendre « petit » en termes de moyens mis en oeuvre. Car avec Parasite, il signe non pas un « grand » film », mais un film immense. Du genre de films qui n’apparaissent qu’une fois toutes les x années. Un idéal de cinéma à tous les niveaux et logiquement une des plus belles palmes d’or du Festival de Cannes.

L’année prochaine, cela fera 20 ans pile poil que Bong Joon Ho fait du cinéma. Et même si le réalisateur coréen ne souhaite plus entendre parler de son premier long métrage, l’amusant Barking Dog, Parasite nous rappelle à quel point son oeuvre brille par sa cohérence et ce depuis ce premier essai. En effet, depuis Barking Dog donc, en passant par Okja, Snowpiercer, Mother, The Host et Memories of Murder, et même par certains de ses courts métrages, il apparait de nombreux motifs se répétant à loisir. Mais paradoxalement, Bong Joon Ho ne s’est jamais répété. Pour un même sujet, il est capable de multiplier les approches et les traitements, ou même les points de vue. De sorte qu’aucun de ses films ne ressemble au précédent, tout en portant très clairement une signature indélébile et reconnaissable entre mille. Bien entendu, qu’un auteur soit cohérent ne garantit en rien une quelconque qualité. Mais dans le cas de Bong Joon Ho, le sujet de la cohérence de l’auteur est porté dans une autre dimension. Car il appartient à une toute petite famille de cinéastes. Ceux capables d’aligner les chefs d’oeuvres avec une facilité déconcertante, de maintenir le cap coûte que coûte dans les obsessions qui animent leur oeuvre, et de s’aventurer dans des genres radicalement différents à chaque fois. La comédie noire, le film de monstre, le film de serial killer, la fable antispéciste, le film d’aventure SF… difficile de trouver de plus grands écarts d’un film à l’autre tout en conservant une unité de propos et de réflexion. D’autant plus qu’il s’échappe en permanence des genre qu’il aborde. En Corée du Sud, son oeuvre se situe donc logiquement plusieurs coudées au dessus de celle des autres maîtres apparus depuis la fin des années 90 (Park Chan-wook, Lee Chang-dong, Kim Jee-woon et Na Hong-jin). Mais cette position dépasse clairement les frontières de son pays, ce que vient confirmer de façon époustouflante cet inattendu Parasite.

Comme toujours avec Bong Joon Ho, son dernier film n’entre dans aucune case. Et à l’époque d’un cinéma toujours plus aseptisé et uniformisé, il est d’autant plus salutaire. Concrètement, Parasite démarre comme une sorte de chronique familiale douce-amère, s’oriente vers la comédie noire, fait un détour par le home invasion, s’accorde un aparté du côté du thriller horrifique, vire presque vers le film catastrophe, pour encore se réinventer ensuite. Même pour les habitués du travail de Bong Joon Ho, c’est du jamais vu ici. Sous ses airs de tout petit film, Parasite semble bien être le plus complexe et le plus abouti en terme d’écriture. Pendant un peu plus de deux heures qui semblent s’écouler en un clin d’oeil, on assiste comme médusé à un véritable travail d’orfèvrerie. La fluidité de la narration et l’intelligence du découpage permettent de mettre en valeur de façon remarquable la précision chirurgicale de de ce scénario démoniaque. Démoniaque envers ses personnages, clairement, mais également envers le spectateur qui est secoué dans tous les sens. Bong Joon Ho possède toujours un coup d’avance, de sorte à toujours proposer un rebondissement inattendu. Mais il est également impressionnant dans sa façon de provoquer des torrents d’émotions parfois contradictoires et là encore, inattendues. Tandis que le cinéma « rollercoaster » ne s’appuie en général que sur l’impact d’images spectaculaires, celui de Parasite joue sur un autre tableau bien plus ludique, bien plus abouti, et finalement bien plus impressionnant. Car c’est à la toute fin qu’on se retrouve complètement abasourdi par autant de maîtrise. Parasite est un film implacable. Et sa grande force est de l’être tout en proposant un film qui n’a rien d’un film de niche mais qui s’adresse à absolument tous les publics du monde.

On sait bien que Bong Joon Ho a toujours ausculté la société sud-coréenne, attaquant ses institutions avec force et intelligence. Mais depuis Snowpiercer, son cinéma et son regard se sont évidemment élargis. Ainsi, s’il poursuit son travail d’observateur d’une société mutante et dégénérée de par le fossé se creusant toujours plus entre les riches et les pauvres, c’est le monde entier qu’il regarde ici dans les yeux. La Corée du Sud comme l’Occident et l’ensemble des sociétés capitalistes. A travers Parasite, il utilise une symbolique assez simple. Les plus riches vivent dans des villas d’architectes, modernes, isolées du reste du monde, en hauteur, paisibles, et avec d’immenses baies vitrées pour contempler leur petit royaume. Tandis que les plus pauvres vivent dans des appartements minuscules, les uns sur les autres, en dessous du niveau du sol, dans des ruelles grouillantes de bruit et de passants qui n’hésitent pas à venir pisser sur la seule petite fenêtre ouverte sur l’extérieur. Par cette caractérisation, Bong Joon Ho oriente déjà le regard et l’empathie du spectateur. Pourtant il ne se pose pas en juge, ne célèbre pas les plus faibles pour rentrer dans le lard des plus forts. Cela serait trop simple. Non, il va jouer de cette opposition. Il va jouer sur des valeurs morales, de sorte que, la narration avançant implacablement, le spectateur verra ses émotions envers chacun de ces deux mondes évoluer constamment. Il fera cela à travers différents détails. Par exemple l’oisiveté vue comme un symbole de réussite sociale chez les Park (les riches), et une honte pour les Kim (les Park). Il n’hésitera jamais à tourner chacune des deux familles en ridicule, créant ainsi un pont entre elles et de l’autre côté de l’écran une certaine tendresse et donc un attachement véritable. Car évidemment, Bong Joon Ho n’a rien perdu de son humour, souvent noir, toujours en décalage, et ainsi salvateur.

Mais qui est donc le parasite du titre ? Les plus pauvres sont-ils les parasites des plus riches auxquels ils s’accrochent pour profiter d’un certain train de vie ? Ou les plus riches sont-ils les parasites d’une société toute entière ? A cette question le film de Bong Joon Ho ne répondra pas. L’auteur-réalisateur est bien trop intelligent pour apporter une réponse toute faite et se poser en donneur de leçon. Il préfère, en bon anthropologue, faire se rencontrer ces deux mondes, observer comment ils peuvent cohabiter, et jouir du chaos logique qui finira par se mettre en place. Car finalement, le véritable parasite dans tout ça reste l’être humain. Dans un sens, Parasite est d’une noirceur qui fait froid dans le dos. Il est brillant dans la façon dont il dépeint les pires travers de la race humaine. A quel point le formidable outil que constitue son cerveau est sans cesse mis à profit pour faire le mal, trouve des ruses pour l’arnaque et la manipulation. Dans Parasite, ce constat est d’une amertume terrible, et le seul être humain pas encore contaminé est un enfant dont le comportement est jugé « bizarre » par l’ensemble des personnages et donc par le spectateur également. Du moins dans l’immédiat. Pour se convaincre de ce discours, il suffit d’observer cette longue et éprouvante séquence de déluge. La nature ne faisant pas de détail, elle balaye volontiers la vermine qui pompe son énergie, et les seuls pouvant s’en protéger sont les puissants, ceux qui ont réussi à se bâtir une forteresse. Mais à quel prix ?

Bong Joon Ho déroule son propos avec une fluidité qui force le respect. Mais sans jamais céder à la facilité ou une linéarité qui serait mal venue. Son talent d’écriture lui permet de passer de surprise en surprise, faisant en permanence avancer son récit sans que le plus avisé des spectateurs ne puisse l’anticiper. L’inclusion à priori impossible de nouveaux personnages se fait de la façon la plus naturelle. Les ruptures de ton, qui constituent à chaque fois une prise de risque énorme, passent toutes comme une lettre à la poste. C’est bien simple, en terme de narration pure, Parasite est une merveille de son premier à son dernier plan. Il n’y a rien à jeter. On atteint là des sommets de découpage mais pas pour le plaisir de la performance. Cette perfection sur le plan narratif permet toujours d’alimenter la réflexion, car elle oriente le regard et le cerveau du spectateur. Elle va évidemment de pair avec le dispositif de mise en scène. Là encore, c’est aussi complexe que discret, et tout simplement virtuose. Bong Joon Ho fait passer 1000 idées d’un simple petit mouvement d’appareil. Une légère contre-plongée alors qu’on accompagne un personnage filmé de face ? On a saisi que son cerveau s’était mis en ébullition. Un léger travelling avant vers un escalier sombre ? Voilà comment on fait complètement basculer la tonalité de tout un film. C’est brillantissime en terme de fabrication. Tout en restant d’une discrétion totale.

Et il faut d’ailleurs revoir sur ce point cette séquence de déluge, pivot essentiel du film. Sa première partie rejoue brillamment ce que serait un idéal de film d’infiltration avec une tension palpable à chaque seconde, une forme de respiration absurde, et une seconde partie qui semble provenir d’un survival ou d’un film catastrophe. La grammaire cinématographique déployée dans cette seule séquence contient plus de cinéma que sans doute la totalité de la production hollywoodienne cette année. Cette virtuosité se retrouve à tous les niveaux de la production. Elle est le ciment de ce film truffé de chausse-trapes qui ne prend jamais son public pour une bande de demeurés, et l’emmène vers la sauvagerie inattendue et pourtant tellement logique de son final. Le travail extrêmement complexe effectué sur la photographie par Hong Kyeong-pyo joue également un rôle majeur dans l’établissement de cet univers entre le réel et le symbole. Parasite doit également énormément à l’ensemble de son casting. Tous livrent des partitions de très haut vol, à commencer par Song Kang-ho qui parvient toujours à surprendre tout en se glissant dans la peau de personnages souvent proches. Lee Sun-kyun également tout en finesse pour apporter de la nuance à cet archétype de la réussite sociale qu’est Monsieur Park. Réellement tous sont impressionnants, mais au-dessus du lot trônent les deux enfants de la famille Kim incarnés par Park So-dam et Choi Wooshik. Ils parviennent à développer une complexité rare et leurs destins s’avèrent d’autant plus bouleversants.

Parasite est un film qui se nourrit d’une énorme somme de talents réunis sur un même projet. Et il porte fièrement la marque de son chef d’orchestre, Bong Joon Ho, qui s’impose définitivement comme un metteur en scène dans la droite lignée des frères Coen, autres génies capables de voguer entre les genres et parmi les plus fins observateurs des mouvements de notre monde. Le torrent d’émotions que parvient à créer Parasite, des rires aux larmes, en passant par une tension extrême, sans jamais perdre de vue son objectif, est extrêmement précieux. Et si on ne dévoilera pas les détails de son intrigue afin de ne surtout pas déflorer les incroyables surprises qu’elle contient, il faut savoir que Parasite est une expérience de cinéma comme on n’en vit que très peu. Surtout de nos jours, avec 80% de la production cinématographique qui nous ressert le même bidon de lessive en changeant simplement l’étiquette. En cela, et pour mille autres raisons, Parasite est une bénédiction et un film immense.

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En résumé

Quand Bong Joon Ho a annoncé qu'il retournait faire un "petit film" en Corée du Sud, il fallait bien entendre "petit" en termes de moyens mis en oeuvre. Car avec Parasite, il signe non pas un "grand" film", mais un film immense. Du genre de films qui n'apparaissent qu'une fois toutes les x années. Un idéal de cinéma à tous les niveaux et logiquement une des plus belles palmes d'or du Festival de Cannes.L'année prochaine, cela fera 20 ans pile poil que Bong Joon Ho fait du cinéma. Et même si le réalisateur coréen ne souhaite plus entendre parler de son premier long métrage, l'amusant Barking Dog, Parasite nous rappelle à quel point son oeuvre brille par sa cohérence et ce depuis ce premie
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