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Pour son second film dans l’écurie de Johnnie To, le prodige Soi Cheang poursuit sa mutation vers un cinéma atmosphérique à des années-lumière de la folie douce ou de la rage qui animait ses précédents films. Plus posé, acceptant assez clairement une certaine forme de contrôle de son génie de producteur, Soi Cheang livre avec Motorway un film qui ne fait rien d’autre que déjouer toutes les prédictions et jouer avec la frustration du spectateur. Handicapé par des éléments en surcharge mais fascinant exercice de style.

Soi Cheang, l’enragé qui avait accouché de l’incroyable Dog Bite Dog, capable du plus fou des romantismes dans Love Battlefield, qui s’attaque à un pur film de bagnoles comme le cinéma n’en produit plus depuis des années (exception faite du film-miracle Drive ou de la série des Fast & Furious dans un tout autre style) sous l’égide du puissant Johnnie To, c’était le projet le plus excitant du cinéma hong-kongais de l’année, avec le cas compliqué de The Grandmasters. Une telle attente engendrant généralement son lot de déceptions, il faut bien avouer que Motorway n’est pas le film ultime tel qu’il était fantasmé et souffre d’éléments pas à leur place ou copieusement foirés qui handicapent sérieusement l’expérience. Seulement, passée la déception reste la sensation d’un film-concept passionnant qui établit un jeu permanent avec le spectateur, en ne lui livrant ce qu’il attendait d’un tel film que par intermittences. On sort de Motorway frustré mais avec la conviction d’avoir vécu un moment un peu unique, comme si un mélange des genres totalement improbable venait de se passer sous nos yeux. Comme si tout d’un coup le « film de bagnoles » n’était qu’une enveloppe pour un film de kung-fu ultra chorégraphié, à un étrange ballet mécanique, à la transposition d’une obsession fétichiste pour le métal qui n’est pas sans rappeler certains éléments de Crash, un exercice de style pur s’il ne se trouvait pas flanqué d’une pauvre intrigue policière dont tout le monde semble se foutre royalement tant elle est traitée par dessus la jambe. Et cela simplement car il y a la peur du film-concept face auquel le spectateur a une chance sur deux de rester hermétique s’il n’a pas de récit balisé auquel se raccrocher. Pourtant, il y a 6 ans, l’exercice de style pur ne faisait par peur à Johnnie To avec Exilé

Une frilosité à laquelle ne nous avait pas non plus habitué Soi Cheang, lui qui osait tout, quitte à dépasser les bornes (remember le « you are my sunshine » du final de Dog Bite Dog). Pourtant cette faiblesse est bien présente dans Motorway à travers ce semblant d’enquête totalement prétexte et qui aurait pu passer au dégraissage afin de pousser encore plus loin l’épure de ce film. Car au delà de cette enquête policière un peu bête on assiste à une construction fascinante qui revisite les codes du film de kung fu pour les appliquer à un film de poursuites. Et autant oublier les Fast & Furious, ou pour Hong Kong les pas vraiment indispensables Initial D ou The Legend of Speed. On se trouve là bien plus du côté du film atmosphérique, quelque part entre Drive et le cinéma en apesanteur de Johnnie To. Et si Motorway part sur les bases d’un buddy movie à la sauce HK sous tranxène, avec un postulat qui lorgne du coin de l’œil sur celui de L’arme fatale, avec le jeune loup qui fait preuve d’un vrai problème avec l’autorité et le vieux flic aux portes de la retraite, le film évolue rapidement vers d’autres cieux, perdant au passage toute la frange du public s’attendant à une œuvre sous speed. Au lieu d’un film de courses poursuites, qui ne manquent pas mais héritent d’un traitement inattendu, c’est un film sur la transmission d’un art d’un maître vers son élève, l’entraînement de ce dernier, et cela en vue de l’affrontement final avec le Némésis de son maître. Soit le canevas précis d’un film de kung-fu qui opère ici une fusion avec le polar atmosphérique, le film de bagnoles donc, et plus étonnamment, le western. En résulte une œuvre hybride dont on ressent la lutte intestine entre un réalisateur frondeur et une société de production aux standards établis (le montage a duré plus d’une année), et qui fascine autant qu’elle agace, avec son intrigue prétexte et ses personnages inconsistants, son propos socio-politique embryonnaire (les bad guys viennent de Chine continentale) et ses motifs sans surprise.

L’intérêt vient d’ailleurs, il vient de cette relation ludique avec le spectateur. Il vient de ce traitement fétichiste de la mécanique automobile, Soi Cheang parcourant les formes des autos comme il filmerait les courbes d’une femme. Ainsi Motorway est un film extrêmement masculin, dans le sens où il joue avec deux fantasmes typiquement associés au mâle, celui de la bagnole comme objet de désir, et celui du film de bagnole comme exutoire. Un genre de cinéma qui, comme ce fut le cas dans les 70’s, permet de braver les interdits par procuration et de se livrer au démon de la vitesse sans risque. Tout le challenge est de traiter cette attente sous un angle inédit, chose que réussit parfaitement Soi Cheang en proposant un contrepied total à la vitesse, par la lenteur. Dès lors l’intérêt n’est plus le shoot d’adrénaline mais le traitement des courses poursuites qui se transforment en ballets mécaniques exploitant une imagerie bien connue pour lui apporter une forme de sensualité. Soi Cheang traite ainsi les plans typiques en grand angle comme rappel inconscient aux amateurs de voitures (essais, photos, etc…) mais à la manière de Michael Mann, laissant naître à l’écran des créatures mécaniques engagées dans une danse mortelle qui répond à une précision chirurgicale du découpage, complexe de par la multiplication des angles de caméra. Le vertige ne se situe plus dans la vitesse mais dans le mouvement chorégraphié, ainsi que dans la suspension du temps. L’exercice de style est permis par cette trame simpliste qui aurait gagné à être encore épurée, qui possède son lot d’images bourrées d’idées et qui dans son dernier acte génial réinvente un duel de western à bord d’automobiles dans un parking souterrain. Là encore merveilleusement chorégraphiée, cette séquence de jeu du chat et de la souris, aboutissement de l’entraînement du héros et de sa quête vengeresse, peut manquer de rythme en apparence mais s’avère payante essentiellement par son traitement qui ne répond pas aux attentes. Frustration extrême et archétypes fondamentaux sont au programme de Motorway, drôle de film qui traite la vitesse par la lenteur et la spiritualité, et bénéficie pour beaucoup de l’association Anthony Wong/Shawn Yue dans son schéma de relation classique maître/élève.

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En résumé

Un film de bagnoles par Soi Cheang ? Pas vraiment, Motorway est un étonnant film de kung fu dont il revisite tous les motifs mais avec des flics, des voyous et... des bagnoles. Un exercice de style fascinant qui souffre de la présence de son intrigue prétexte et handicapante.
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10

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Auteur

Gigantesque blaireau qui écrit des papiers de 50000 signes absolument illisibles de beaufitude et d'illettrisme, d'après Vincent Malausa.

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