Avec Ip Man, Wilson Yip rendait un bel hommage au grand maître du wing chun, mais signait surtout le premier volet d’une saga devenue essentielle dans le monde du cinéma d’action. Il offrait également au grand Donnie Yen un rôle à sa démesure et pour lequel il s’est impliqué comme jamais.
Le kung-fu se faisait rare à la fin des années 2000. Depuis Le Maître d’Armes en 2006, on n’avait plus grand chose pour se consoler. Mais heureusement Wilson Yip (à qui on doit entre autres l’excellent SPL) qui continue alors sa collaboration plus qu’intéressante avec Donnie Yen vient remettre un peu d’ordre dans tout ça en livrant un pur moment de bonheur sur pellicule pour tous les amoureux d’arts martiaux au cinéma. Avec ce Ip Man, il confirme tout le bien qu’on pouvait penser de lui depuis son conceptuel Bullets over Summer. En un peu moins de deux heures, il montre qu’un film de kung-fu peut être un grand film tout court et qu’un biopic n’est pas nécessairement ennuyeux et cousu de fil blanc. Car en effet, Ip Man est un biopic, ou une sorte de biopic, car il s’articule sur une période relativement courte de la vie de l’expert en wing chun nommé Ip Man. Et qui deviendra plus tard un maître de la discipline, et formera notamment la plus grande star de l’histoire du film d’action, Bruce Lee. Et si le film est bien entendu centré sur le personnage du maître, Wilson Yip n’en oublie pas son environnement. Car en toile de fond, et même plus au fur et à mesure que le récit progresse, Ip Man traite d’un des plus grands traumatismes de l’histoire chinoise récente : l’invasion japonaise de 1937. Sujet sensible donc, traité un peu à la manière dont le cinéma américain abuse vis à vis des nazis par exemple, c’est à dire qu’un envahisseur japonais est le diable personnifié et qu’il est mieux mort que vivant. On a l’habitude avec le cinéma chinois peu enclin à la finesse ou au recul quand il s’agit de l’image des nippons. Mais peu importe finalement car on tient là un film de très haut niveau, porté par un acteur en très grande forme et une mise en scène parfaitement maitrisée sur tous les points.
Pour revenir sur ce nationalisme exacerbé et cette forme de révisionnisme, il faut garder en tête que depuis de nombreuses années le gouvernement chinois est en train de s’accaparer complètement le 7ème art, glissant ses idées dans nombre de productions majeures (jusqu’à l’outrance avec, au hasard, Founding of a Republic). Cela marque donc un net recul par rapport à l’évolution qu’on avait pu constater entre la Fureur de Vaincre (ouvertement raciste) en 1972 et Fist of Legend en 1994 par exemple, ce dernier apportant tout de même un certaine nuance dans le propos. Ip Man, qui se veut entre autres un film historique, souffre donc de cette manipulation, mais il a tellement d’autres qualités qu’on lui pardonne volontiers. Et ce même s’il reste assez loin du niveau du film de Ronny Yu cité plus haut. En fait Wilson Yip, peut-être trop rapidement mis sur le piédestal du renouveau du cinéma d’action HK, redresse plutôt bien la barre après un Flash Point pas inintéressant mais assez bancal. Tout simplement en arrêtant d’en faire des tonnes, en posant les choses et en traitant son sujet avec sérieux. Car si on peut être légèrement déçu vis à vis de l’aspect historique (très romancé) du film, ou de la construction du récit qui souffre d’une grosse ellipse en charnière centrale, côté action pure c’est un vrai bonheur.
La première moitié du film se concentre sur la vie d’Ip Man avant l’arrivée des japonais et nous montre un maître tout en légèreté, richissime, qui semble très heureux mais dont l’abandon total aux arts martiaux sème le malaise dans sa famille. On y voit quelques tranches de vie, on y voit sa femme qui souffre devant le peu d’intérêt qu’il porte à son rôle de père, on y voit surtout un personnage aussi puissant que nonchalant, solide et n’ayant pas le moindre doute sur son niveau. Ce qui le rend immédiatement très attachant car montrant un recul déstabilisant envers toute situation dramatique. Le rythme est plutôt bien géré entre le récit linéaire et les combats, nombreux et toujours impressionnants, montrant à la perfection cette force tranquille qui n’a même pas besoin d’attaquer pour mettre ses adversaires au tapis. On trouve également pas mal d’humour qui confirme la légèreté de cette partie.
Mais les choses changent du tout au tout après l’invasion japonaise. Le film se fait plus noir, on commence à voir des morts, la photographie se ternit et l’humour disparait. Dès lors les combats se font bien plus âpres et violents, Ip Man oubliant le principe de base des arts martiaux qui ne doivent pas faire le mal par vengeance. Mais alors qu’on avait à peine eu le temps d’apercevoir les capacités du Wing Chun qui ne se montrait que sous son jour « défensif » déjà efficace dans la première partie (à part quelques rares mouvements offensifs), ça devient une démonstration assez hallucinante. C’est bien simple, sur l’ensemble du film les combats, et sur ce point cette fois Wilson Yip n’est pas radin, sont exceptionnels. Les chorégraphies au poil de Sammo Hung (qui en tant qu’action director les a également mis en scène) sont magnifiées par un Donnie Yen enfin débarrassé de ses tics d’acting légèrement prétentieux. L’acteur se donne à fond dans ce rôle, déroule des mouvements superbes et surtout impressionne par sa rapidité d’exécution. Il faut le voir enchainer les coups pour bien comprendre la chose mais cela va à une vitesse déraisonnable. De plus Ip Man s’inscrit dans cette veine « réaliste » réapparue depuis quelques temps et qui laisse de côté l’utilisation des câbles afin de rendre l’ensemble plus proche du réel.
Le seul point négatif de ces nombreux combats est qu’Ip Man est tellement au dessus du lot qu’il ne semble jamais mis en danger. Qu’il soit en 1 contre 1 ou en 1 contre 10, il étale tout le monde avec la même aisance, y compris dans le combat final. C’est dommage mais ça reste un plaisir de voir une telle démonstration d’arts martiaux en tous genres, si bien mis en scène. Car Ip Man est extrêmement bien réalisé, et monté avec grâce, ce qui permet de profiter en détails du moindre mouvement exécuté par des acteurs qui montrent de vraies capacité martiales. Donnie Yen est impeccable de justesse et étonne même par ses qualités de jeu dramatique, et il éclipse facilement tous les seconds rôles, pourtant tous intéressants. Car que ce soit Simon Yam qui représente la Chine moderne qui s’ouvre à l’industrie et au business avec le reste du monde, Gordon Lam qui symbolise ces chinois tombés dans la collaboration (auto-critique surprenante dans un film à la limite de la propagande) ou le groupe de bandits illustrant une certaine forme de chaos en dehors des villes, tous ont quelque chose à dire et à montrer mais restent en retrait derrière l’image du maître.