Trois ans avant son adaptation casse-gueule de Watchmen, Zack Snyder se penchait déjà sur le cas d’un comic book (ou « roman graphique » plus précisément). C’était le barbare et enragé 300 du très conservateur et sulfureux Frank Miller, qui revisitait la bataille des Thermopyles en la romançant très largement. Un récit court et ramassé, véhicule d’une idéologie très limite, mais un vrai choc graphique que Snyder tente de reproduire sans jamais vraiment y parvenir mais en créant une sorte de nouveau langage cinématographique qui aura fait bien des émules.
300 a ceci de particulier qu’il aurait pu, et aurait dû, être une grande fresque épique et barbare, mais que Zack Snyder, gentil faiseur plutôt doué aussi adoré que conspué, a choisi de transformer en simple film d’action à concept. En cela, 300 est une réussite, car le film se tient à son concept du début à la fin, dans un dispositif qui reprend, en l’améliorant très largement, celui de Robert Rodriguez sur Sin City. Il s’agit d’oublier toute notion de décor naturel pour propulser des acteurs sur des fonds verts et de gérer tout l’aspect technique du film, de la direction artistique à la photographie, en post-production. Le résultat est étonnant, très beau ou très laid selon le regard, mais tout de même assez audacieux. Il y a un parti-pris fort, et c’est tout à l’honneur de Zack Snyder de s’y être plié jusqu’au bout, quitte à tomber dans le très mauvais goût.

Le problème, car problème il y a, tient dans ce qu’est véritablement ce film. S’agit-il d’une fresque barbare ? D’une épopée épique ? Du film de guerre moderne ultime ? D’une brillante évocation de la mythologie ? Non, rien de tout ça. 300 n’a d’épique que sa bande-annonce rythmée par le son de NIN, il n’a de barbare que son univers. Car le film de Zack Snyder, exacerbant les libertés historiques de l’œuvre originale de Frank Miller autant que ces aspects les plus réactionnaires (le film est ouvertement raciste, homophobe et prône le totalitarisme), ce qui est une fois de plus tout à son honneur et nécessite un certain courage dans un blockbuster à plus de 60 millions de dollars pour le compte d’une major, n’est pas vraiment un film de barbare. Il se situe à l’extrême opposé d’une œuvre telle que Conan le barbare, la référence en la matière. Tout simplement car il oublie la crasse, l’héroïsme véritable, la testostérone et la violence extrême. Dans 300, tout est aussi artificiel que les décors. Le sang numérique, les corps imberbes semblant sortir d’une publicité pour du gel douche, l’utilisation massive de ralentis dans tous les sens et sans qu’ils aient vraiment du sens… le film de Zack Snyder pue le fake, et c’est sans le moindre doute son plus gros défaut.
Mais c’est également, et paradoxalement, son plus bel atout. En effet, son côté excessif, bourrin et totalement décérébré en fait un film qui tient clairement de l’actioner pur et dur, simplet comme tout, et qui ne se prend pas vraiment au sérieux. En tout cas, qui ne doit surtout pas être pris au sérieux. Il n’y a qu’à voir le look du bad guy, croisement entre Dhalsim de Street Fighter et un adepte du sado-masochisme antique, pour comprendre que tout ceci n’est pas très sérieux. Si ce n’était pas suffisant, l’overdose de poses iconiques façon shooting photo des dieux du stade, des scènes gentiment ridicules dans la demeure de Leonidas, ou l’outrance avec laquelle sont déclamés tous les cris de guerre et tous les discours du leader, sont là pour rappeler le spectateur à l’ordre : il s’agit d’un film bis et de rien d’autre.

Par ailleurs, un film refusant autant toute notion de sobriété ou de subtilité ne laisse pas vraiment de place au doute quant à son ambition. 300 est ainsi un film un peu con, qui adresse son propos « épique et barbare » à un public adolescent afin de ne pas trop le choquer avec des images vraiment barbares. Mais 300 est un film plutôt cool, et c’est bien là toute sa force. Sans se prendre au sérieux, sans effectuer la moindre réflexion sur le travail d’adaptation en lui préférant de la transposition transmédia bête et méchante, Zack Snyder s’éclate et son délire est plutôt communicatif. Pas emmerdé pour un sou par le découpage très spécifique de la bande dessinée et la dialectique de Miller, il reprend les vignettes et utilise tous les artifices possibles pour leur donner du mouvement. C’est assez grossier, notamment quand le ralenti vient avant tout étirer l’action pour la faire tenir sur un film de deux heures (avec un matériau de base de moins de 90 pages aux cases immenses, c’est presque un exploit) mais ça fonctionne. Ça fonctionne tellement que 300 et sa dialectique totalement artificielle aura influencé d’innombrables cinéastes ou réalisateurs de série TV qui ont été conquis par l’aspect graphique radical de son film. Photographie ocre, le moindre mouvement décomposé en ralentis, pose héroïque, inserts fantastiques bleutés, plans séquences et bastons en travellings, recours aux ralentis-accélérés… l’aventure de ces gravures de mode en jupette aura largement marqué l’imagerie du péplum et continue de le faire comme le prouve la sortie très prochaine de la « suite » signée Noam Murro.
Tout simplement car aussi grossier et balourd soit-il, le dispositif de Zack Snyder fonctionne. Il fonctionne car il possède une véritable identité graphique, 300 ne ressemblant à rien de ce qui avait été fait dans le genre avant lui, et car il tient la route sur la longueur, le rythme ne faiblissant que très rarement. En tant que film barbare, 300 est un échec, en tant qu’adaptation, il s’agit d’un film de branleur, mais en tant que série B cool et bas du front, avec un vrai parti-pris plastique, un vrai concept, un vrai sens de la pose, des choix de casting courageux (Gerard Butler, acteur gentiment médiocre, est ici parfait dans ce qui restera le rôle d’une vie, tandis que Michael Fassbender faisait ses débuts au cinéma dans un rôle purement physique) et des personnages basiques mais droits dans leurs bottes (ou dans leurs sandales, peu importe), 300 réussit son pari. Le film n’est jamais loin du nanar mais remplit son contrat en terme de bourinage stylé et d’humour souvent involontaire, et c’est largement suffisant. Quant à l’idéologie véhiculée, tout ceci n’est pas très sérieux…