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6 ans depuis ses épisodes de Marseille, 9 ans depuis sa comédie Pension complète mais surtout, 12 ans depuis le miraculeux Cloclo. Florent-Emilio Siri avait manqué au cinéma français, et il revient de la plus belle des manières. Avec Elyas, il signe un thriller d’action, genre dans lequel on l’attendait assez naturellement, mais via une approche très surprenante. Une beau petit film qui nous rappelle à quel point il est un auteur et réalisateur précieux.

Rares sont les réalisateurs français ayant réussi à imposer une approche du cinéma d’action qui leur est propre. Sans singer les américains ou autres. Et Florent-Emilio Siri en fait partie. Mais c’est également un réalisateur/auteur qui n’aime pas tourner en rond et qui a besoin de défis, d’explorer des genres et univers. Donc malgré sa maîtrise du genre, il n’était pas gagné de le retrouver un jour aux commandes d’un film d’action. Sans doute qu’une conjoncture particulière (beaucoup de films d’action français produits pour les plateformes sont des succès, témoins de leur statut de nouveaux vidéoclubs) et qu’une bonne idée, ainsi que le besoin presque vital de retrouver un plateau de cinéma, auront eu raison de ce principe pour le ramener dans ce genre où il excelle tant. Et Elyas, ce n’est pas tout à fait un film d’action comme les autres. Ecrit avec Nicolas Laquerriere, scénariste sur la série Validé, le film se présente d’abord comme une sorte de variation autour de Man on Fire pour très rapidement s’en éloigner et bâtir sa propre mythologie. En gros, un type qui semble avoir des capacités assez extraordinaires, mais qui parait également complètement paumé, se retrouve engagé comme agent de sécurité auprès d’une riche famille. Et il va se lier avec la jeune fille. Oui, c’est proche, sauf que ça se situe vraiment au début du film qui va ensuite prendre une toute autre direction. La jeune fille et ses parents ne sont pas vraiment qui ils semblaient être, chaque image verra sa véracité discutée et la nature même d’Elyas devient rapidement sujet à une remise en question. Derrière sa carrure de thriller d’action à l’ancienne, qui dénote sur à peu près tous les points avec ce que nous propose aujourd’hui le cinéma d’action, Elyas va flirter généreusement avec tout un pan du cinéma de la paranoïa et de la manipulation du regard tel que l’affectionne tant Florent-Emilio Siri. Si on lui a souvent collé, parfois à raison mais parfois moins, l’étiquette de nouveau Henri Verneuil, il faut bien avouer qu’avec Elyas ce grand spécialiste et admirateur de Hitchcock et Renoir n’avait peut-être jamais été aussi proche du cinéaste de I… comme Icare.

Bien évidemment, Florent-Emilio Siri possède son propre regard, son propre univers, sa propre mise en scène. Mais il en est l’héritier le plus noble dans le sens où il est aujourd’hui un des seuls capables de proposer un cinéma français « de genre(s) » à la fois aussi populaire et exigeant sur le plan de la fabrication. Elyas est, de la première à la dernière seconde, un modèle d’écriture, de découpage et de mise en scène. C’est un film qui prend son temps pour développer ses personnages et son intrigues. Et un film qui va jouer avec le spectateur. A l’image de cette toute première scène, qu’on imagine être un flashback de par l’utilisation du ralenti et sa lumière aveuglante, et dont les enjeux pourtant essentiels ne seront révélés que bien plus tard dans le récit. Cette interaction avec le spectateur est probablement la plus grande force d’Elyas, et également ce qui déconcertera le plus tant le cinéma contemporain nous en prive, au profit de produits jetables qui n’invitent ni à penser ni à s’impliquer mais à consommer bêtement. Fidèle à lui-même, Florent-Emilio Siri prend le pari d’aller à contre-courant pour son retour aux affaires. Ici, pas de grosse scène d’action en ouverture pour flex comme tous ces virtuoses de pacotille qui inondent le marché du cinéma d’action. Elyas est un film qui recherche ce plaisir perdu de la montée en puissance, qui offre au spectateur des petits moments d’adrénaline de plus en plus présents pour le satisfaire pleinement et généreusement lors d’un final qui fait sauter toutes les brides. Et c’est peut-être bête de le dire mais c’est aujourd’hui un pari, et une forme rare de confiance dans le spectateur que d’oser faire ce qui était une façon assez naturelle de raconter une histoire à tendance « action » au cinéma il y a quelques années. Aujourd’hui, le cinéma d’action se consomme sur plateforme avec la possibilité de regarder en accéléré pour aller d’une scène d’action à l’autre, comme un consommateur de porno, pour aller ensuite poster sur les réseaux sociaux le dernier plan séquence aussi tape à l’oeil que vide de sens. Elyas joue une autre carte donc, celle du crescendo et de la logique narrative. Pour que son héros dévoile l’étendue de ses capacités hors du commun, qu’on devine et dont on entend un peu parler, il lui faut une raison, il faut que tout cela porte du sens, qu’il y ait une émotion à le voir défourailler du bad guy avec une précision chirurgicale. Quand Tequila butait des dizaines de types dans la maternité d’A toute épreuve, ce n’était pas gratuit et ce n’était pas pour en mettre plein les yeux. Pour être vraiment efficace et marquer les esprits, le cinéma d’action doit avoir du sens, et Florent-Emilio Siri en est tout à fait conscient. Il va même très loin dans sa compréhension du genre, car dans Elyas les scènes d’action, dans leur chorégraphie, leur découpage et leur mise en scène, ne viennent pas ponctuer le récit mais participent à le développer. On parlera sans doute beaucoup de la séquence du camping-car, morceau de bravoure qui arrive à un moment très précis du développement du héros, mais également la première fusillade dans le salon de la grande propriété, où tout à coup le temps semble s’arrêter et les balles fusent autour du personnage, comme si on voyait son cerveau et son instinct en sommeil reprendre vie tout doucement. Dans le même ordre d’idée et si cela ne concerne pas l’action, le film prend un pari étonnant au niveau de son antagoniste principal qu’on ne verra jamais, mais qui est défini par le dialogue d’une part, et la décoration de son penthouse d’autre part. Un choix osé et payant, car cette forme presque abstraite, avec des conséquences pourtant très concrètes, est finalement plus effrayante et diabolique qu’un simple bad guy qu’on verrait faire du mal autour de lui.

Florent-Emilio Siri est tout à fait conscient que le cinéma est la science de l’image et uniquement une question de regard. Ainsi, c’est ce regard qu’il va manipuler, assez brillamment il faut le dire, pour raconter son histoire. Assez tôt dans le récit, il va déstabiliser notre regard. Lors de la première séquence du film, on va suivre Elyas sortir de son appartement, rencontrer des gens, en regarder d’autres de façon suspicieuse, fabriquer une lame avec un filtre de cigarette et rentrer chez lui où quelqu’un a visiblement ouvert sa porte en son absence. Une tonne d’informations en une poignée de minutes, de nombreuses certitudes quant à la nature des personnages, des lieux, etc… sauf que tout est immédiatement remis en cause. L’appartement est en réalité un centre, et Elyas souffre d’un trouble mental et devrait être sous traitement. Et jusqu’à une scène-pivot du film, qui va se conclure par un plan absolument diabolique suivant un personnage qui monte dans un bus, tout le film va ainsi s’amuser à manipuler le regard du spectateur et remettre en permanence en question ses certitudes. L’expérience est grisante car le film embrasse le cinéma de la paranoïa dans ce qu’il a de plus réjouissant. En collant au regard du personnage d’Elyas, le film sème le trouble sur la véracité des évènements apparaissant à l’image, et invite ainsi le spectateur à questionner la nature des images. En même temps que le héros. Rien de nouveau là-dedans bien entendu, car Siri convoque clairement la méthode Hitchcock, mais quel plaisir de revoir un film ainsi conçu. Le spectateur n’est ainsi plus un « simple » spectateur mais participe activement à la narration, ou tout du moins en a l’impression. Soit l’antithèse absolue des films de plateformes qui se regardent d’un oeil distrait entre un tweet et la dernière vidéo pourrie de Bardella sur TikTok. Est-ce qu’Elyas marquera l’histoire du cinéma ? Peut-être pas, et ce n’est pas très grave, mais le plaisir de voir un film d’action aussi surprenant dans sa construction et aussi exigeant dans sa mise en oeuvre est immense. Il est la preuve qu’il est encore possible, en 2024 et en France, de distraire tout en faisant du cinéma. Mais vraiment du cinéma. Sans cynisme, sans s’excuser via du second degré, sans renoncer au cinéma en adoptant une mise en scène télévisuelle, et en appelant à des figures mythologiques assez claires (le « guerrier » plutôt que le soldat démontre une différence de taille en terme de valeurs véhiculées). Cela tout en offrant au spectateur ce qu’il était en droit d’attendre, à savoir de l’action qui déboîte bien comme il faut. Dans le très long climax aux Emirats, Florent-Emilio Siri se lâche complètement tout en gardant sa maîtrise impeccable de l’espace, ce qui rend tous les gunfights aussi impressionnants que lisibles. Et pour encore développer la mythologie de son héros, il met à profit la neurodivergence de ce dernier sous la forme de capacités exceptionnelles au combat, et rejoint en quelque sorte M. Night Shyamalan sur le sujet. Si on ajoute à ça un casting vraiment bien dirigé, et survolé par un Roschdy Zem très impressionnant en guerrier mutique aux nuances complexes, ou des choix musicaux radicaux qui osent parfois des tonalités de conte (assez logiques compte tenu de la relation entre la jeune fille et son héros/père de substitution), on tient un film d’action qui n’est vraiment pas comme les autres et qui mériterait un petit succès pour que d’autres s’en inspirent.

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En résumé

Avec Elyas, Florent-Emilio Siri ne signe pas simplement son retour au cinéma d'action, il signe une sorte de note d'intention presque anachronique sur comment doit être traité le genre. Un thriller d'action d'une maîtrise totale, qui se dévoile autour d'une intrigue remarquablement écrite et qui sait se montrer généreux mais jamais gratuitement.
8
10

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Auteur

Gigantesque blaireau qui écrit des papiers de 50000 signes absolument illisibles de beaufitude et d'illettrisme, d'après Vincent Malausa.

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