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Trois ans après le très réussi slasher Rabies, les israéliens Aharon Keshales et Navot Papushado passaient à la vitesse supérieure avec Big Bad Wolves. Une petite merveille d’écriture et d’humour noir qui, derrière la fable tragique, développe un propos extrêmement percutant sur la nature humaine et la notion de justice. Un film d’une originalité folle et qui se permet des ruptures de ton on ne peut plus osées, quitte à paraitre presque décousu.

C’est donc en provenance d’Israël qu’on retrouve parmi les plus habiles héritiers des frères Coen. Des cinéastes ayant assimilé leur regard fait d’un habile mélange entre tendresse, foi en le genre humain et délicate misanthropie. C’est en tout cas ce que laisse supposer cet étonnant Big Bad Wolves signé Aharon Keshales et Navot Papushado. Un film qu’auraient très bien pu écrire les frangins de Minneapolis dans leur période la plus folle en terme de créativité. On y retrouve d’ailleurs une certaine rigueur dans la mise en scène qui rappelle volontiers l’obsession toute kubrickienne des Coen pour la géométrie des cadres et qui explosait littéralement dans Barton Fink. Mais Aharon Keshales et Navot Papushado ne sont pas là pour reproduire bêtement des oeuvres matricielles. Ils s’alimentent très clairement de ce cinéma, comme d’une certaine frange du film noir coréen, à la fois très brutal et bourré d’humour très noir. Une patrie de cinéma qui porte également l’héritage des Coen en modèle suprême.

Les éléments nécessaires à la stimulation d’un spectateur de cinéma sont finalement très simples : une intrigue à la fois complexe et claire, si possible ancrée dans un contexte contemporain, des personnages riches dont l’évolution comporte son lot de surprises et une mise en scène permettant de sublimer l’ensemble, de le transcender par un langage purement visuel. La réussite de Big Bad Wolves tient dans la parfaite assimilation de ces principes qui en fait une œuvre surprenante de bout en bout. Ce qui frappe d’entrée de jeu, et qui pourrait presque rapprocher le film de l’œuvre de Bong Joon Ho, tient dans sa totale liberté de ton. Ainsi, dans une séquence inaugurale brillante, les éléments les plus glauques viennent côtoyer une irruption brutale de la comédie loufoque dans le récit, afin de le redynamiser complètement et de redéfinir les codes de ce thriller. Tout tient dans la gestion impeccable du tempo, obtenue autant par la narration en elle-même que par les astuces du montage. Cette structure étonnante jouant en permanence avec les codes établis du genre vient s’imposer sur chaque séquence majeure. Et notamment les nombreuses scènes d’interrogatoire qui oscillent ainsi entre la sensation d’étouffement due aux différentes formes de torture mises en oeuvre, et celle de libération dès lors qu’un élément comique inattendu fait irruption dans le cadre.

A travers une grammaire cinématographique extrêmement précise, les deux réalisateurs, également auteurs du script, font preuve d’une impressionnante maîtrise afin de construire des plages de tension extrême dans leur récit. La rigueur des cadres, l’utilisation judicieuse des décors et de la lumière (nombreux couloirs, environnement très sombre) mais également le recours logique au ralenti et à l’ellipse, sont les fondations d’une ambiance essentiellement pesante. Mais cette chape de plomb est donc intelligemment torpillé de saillies comiques inattendues, jouant essentiellement sur la notion de famille juive. Mais y compris sur ces points, Big Bad Wolves parvient à surprendre. Les ruptures de ton sont brutales et arrivent toujours au moment où le spectateur s’y attend le moins, ce qui a le mérite de les rendre très efficaces, mais également de créer une sensation d’inconfort que ne quittera jamais le film, jusqu’à son terrible plan final qui crée un véritable malaise. Tout simplement car il vient sonder la part d’humanité du spectateur en le confrontant à l’horreur et au paradoxe de son empathie envers certains personnages.

Big Bad Wolves vogue dans les eaux instables du cinéma refusant tout manichéisme, dans la mesure où il ne fait que sonder, du début à la fin, la frontière impalpable entre le bien et le mal, entre l’instinct et la morale, entre la raison et la folie. Ainsi, Aharon Keshales et Navot Papushado brouillent considérablement les pistes avec leur trio de personnages insaisissables. D’un côté un flic aux méthodes douteuses mais qui cherche à faire son boulot avec toute la sincérité possible, de l’autre le père d’une petite fille violée et décapitée mais qui va employer des méthodes inhumaines pour apaiser sa souffrance, et au milieu un professeur, présumé coupable par les deux autres mais filmé de façon tellement ambiguë qu’aucune certitude sur sa véritable nature n’est possible. Big Bad Wolves est un terrible jeu sur la manipulation du spectateur dont le regard est au moins aussi troublé que celui des trois personnages ne sachant plus vraiment comment démêler le vrai du faux. L’expérience est tellement virtuose qu’elle devient exquise, bénéficiant d’un lâcher-prise total. Qui est le loup ? Peut-être est-ce celui que tout accable, mais peut-être est-ce celui dépeint comme la victime. Entre l’introduction, à la fois sublime et terrible, et ces enfants jouant au ralenti, et ce final qui vient redistribuer toutes les cartes, l’intrigue évolue considérablement et permet aux deux réalisateurs de faire étal d’une belle maîtrise de leur mise en scène, passant de cet univers oppressant fait d’intérieurs plutôt effrayants à des séquences d’extérieur qui dynamitent complètement leur grammaire, déployant une énergie assez surprenante.

Et derrière un nouveau torture porn transcendé par l’humour noir, derrière l’habile mélange des genres pour revisiter le mythe du grand méchant loup et l’étendre, même derrière l’observation méticuleuse des notions de bien et de mal rapportées à une humanité faite de nuances, Big Bad Wolves est avant tout d’une finesse remarquable pour rendre compte d’un certain état des lieux du monde contemporain. Le mal absolu peut se cacher dans l’incarnation du bien et c’est l’absurdité des rapports humains qui règne en maître. Une absurdité qui s’illustre à travers le virage brutal du dernier acte, mais également par quelques dialogues savoureux. En effet, dans ce film où le texte est au moins aussi important que l’image, les dialogues, nombreux, sont fondamentaux pour étayer un propos. La violence et la haine sont partout, la police n’est qu’un épouvantail sans aucun code moral et l’affrontement entre juifs et musulmans n’existe plus vraiment au moment où les vrais gens se rencontrent et échangent, au-delà des idées reçues. Il n’y a rien de novateur ou de génial dans un tel propos, mais c’est plus ici la méthodologie pour y parvenir qui s’avère brillante, dans un film tout bonnement virtuose d’un bout à l’autre et qui ne cherche jamais à caresser le spectateur dans le sens du poil.

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Auteur

Gigantesque blaireau qui écrit des papiers de 50000 signes absolument illisibles de beaufitude et d'illettrisme, d'après Vincent Malausa.

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