7 ans après son 1er essai cinématographique, Revenge, Coraline Fargeat revient avec The Substance, présenté en compétition au festival de Cannes. Une présentation triomphale sur la Croisette, qui s’avère être un magnifique paradoxe au regard du film en lui-même. Une oeuvre qui de par ses partis pris relève plus d’un sacré plaisir déviant, lorgnant vers toute une frange « autre » de l’horreur, de la comédie et plus généralement du 7ème art.
À l’instar du Rape and Revenge à l’oeuvre dans son précédent film, Coralie Fargeat va investir le Body horror dans The Substance pour livrer une oeuvre personnelle, témoignant d’une vraie vision d’auteur au sens classique du terme. À travers cette histoire d’ancienne gloire d’Hollywood, utilisant une mystérieuse substance pour générer une version rajeunie et améliorée d’elle même, Fargeat réemploie les thématiques à l’oeuvre dans Revenge. Le détournement de l’imagerie de la Lolita pour en faire une figure vengeresse, un regard satirique porté sur l’industrie du spectacle et les hommes de pouvoir, ou encore une réelle compréhension symbolique et cinéphilique du décorum dans lequel prennent place ses films. À cela vient s’ajouter un plaisir communicatif de mise en scène, et surtout une vraie dévotion candide à l’égard du cinéma d’exploitation et de ses archétypes, qui tranche radicalement avec l’approche complexée de certain.e.s de ces confrères hexagonaux. The Substance poursuit cette démarche, en multipliant également à l’écran les maladresses, incohérences, et surtout les parti pris nonsensiques, absurdes, de Revenge, au point de rendre le visionnage particulièrement atypique. Il est plus que probable que la frustration et les galères qu’à eu la réalisatrice pour monter son nouveau projet pendant des années, ont déteint sur le résultat final, comme si elle avait voulu tout donner à l’écran, à la manière d’un ultime baroud d’honneur. Il résulte de The Substance un long métrage généreux à l’excès, y compris dans ses nombreuses sorties de routes. Cependant c’est justement cette volonté de bien faire, l’absence de complexe à l’égard du genre investi, les expérimentations visuelles, la sincérité voire la naïveté à l’égard des symboles et figures convoquées n’importe comment, qui distingue radicalement The Substance de Titane, auquel on serait tenté de le comparer de prime abord. Un sentiment palpable dès les 1ers instants du métrage, via un prologue efficace, qui utilise habilement «God’s Eye» sur une étoile du Hollywood Walk of Fame pour retracer le parcours de la star déchue, Elisabeth Sparkle. Un vrai film dans le film, particulièrement bien pensé et qui témoigne du talent de Fargeat pour bâtir avec concision, et en misant exclusivement sur la narration visuelle, un personnage à part entière.
À cela vient s’ajouter l’implication de son duo d’interprètes. Dans le rôle principal Demi Moore fait preuve d’un vrai sens de l’autodérision quant à son statut de star hollywoodienne qui emporte instantanément l’adhésion, de même que son double rajeuni campé par Margaret Qualley. Bien que le film soit tourné principalement en France, la réalisatrice parvient à recréer aisément l’atmosphère typique de Los Angeles et ses mythes. La mystérieuse organisation à l’origine de la substance fait écho à l’imaginaire gnostique des 90s. La cinéaste allant jusqu’à citer ouvertement l’un des plans emblématiques de Lost Highway. Il en est de même pour le parcours de sa star déchue et sa rivalité avec son double rajeuni, qui convoque aussi bien le mythe de Dorian Gray, que Ève, Boulevard du crépuscule ou Qu’est-il arrivé à Baby Jane, avec une certaine cohérence dans la structure thématique. Enfin l’omniprésence du culte du corps et de l’aérobic renvoie à l’explosion de ce phénomène au début des 80s, à travers la reconversion de l’actrice et militante Jane Fonda. Il en est de même dans le cheminement horrifique de Sparkle et sa condition grandissante de freak, qui témoigne d’une compréhension thématique et d’une vraie affection pour les figures monstrueuses telles que véhiculées par plus de 100 de cinéma d’horreur. Une érudition palpable, d’autant plus attachante qu’elle ne s’embarrasse nullement d’afféteries auteurisantes ou artys pompeuses. Cependant bien que débordant d’amour pour son sujet, Fargeat se heurte violemment à la dissonance cognitive de l’exécution à l’écran. Une dissonance assez similaire à celle que rencontrait Stephen Sommers sur son Van Helsing. Bien que jouant ouvertement la carte de l’horreur grotesque, au point de vriller vers la comédie horrifique, la réalisatrice bute sur de vrais problèmes de gestion d’effets et de tempos. La volonté d’émuler le style, tout en courte focale déformante, de Sam Raimi, souffre d’un manque de soin, qui couplé à l’hystérie permanente de l’interprétation, notamment Dennis Quaid, tend davantage vers le cinéma de Jean-Marie Poiré. The Substance donne la sensation de voir le réalisateur des Visiteurs et surtout des Anges Gardiens s’essayer au Body Horror. On pense également fortement à son pendant Hongkongais Wong Jing, à travers l’humour mêlant nourriture et sexe, et les parallèles très graveleux qui en découlent. Difficile également de ne pas sentir l’ombre de Michael Bay, dans l’objectification du corps féminin quand bien même la suite du récit optera pour une approche revancharde. Le problème venant de la batterie d’effets de mise en scène, privilégiant l’effet pour l’effet, au point de desservir le sens du récit voulu par la réalisatrice. Cependant à l’instar d’un Bad Boys 2, le rythme de The Substance ne faiblit absolument pas pendant 2h20, grâce notamment à ces parti pris et expérimentations particulières. Ces dernières n’hésitant pas à jouer ouvertement la carte du Mashup référentiel : Shining, 2001, Enter the Void, Evil Dead 2, etc. Faute d’une approche organique dans la narration visuelle, cette approche tend vers un résultat similaire à celui présent dans Aquaman et Godzilla vs Kong.
Bien que l’on puisse se réjouir d’un récit qui à travers son ancrage dans la comédie, prenne ses distances avec le penchant cérébral et désormais usité du Body horror, ce dernier de par son traitement totalement foutraque, rejoint toute une frange particulière du cinéma d’horreur. Des films que pouvait autrefois recommander un employé de vidéoclub à des clients cherchant d’authentiques bizarreries pour des soirées « pizza-bière » entre amis, ou que certains passionnés traquaient sans relâche sur le Peer to Peer, après en avoir entendus parler, telle des légendes urbaines, sur des forums comme Mad Movies ou Dvdrama. The Substance rappelle les bandes de Brian Yuzna, Frank Henenlotter, mais également de par sa folie les Category III Hongkongais, notamment ceux de Lam Ngai-choi. Le réalisateur de The Cat, Riki-Oh: Story of Ricky sur lequel est longuement revenu le podcast La 36ème chambre du cinéphage. À tel point que le long métrage de Coralie Fargeat peut être vu comme le film miroir du Malignant de James Wan, auquel il est très difficile de ne pas penser, jusque dans son postulat horrifique, donnant l’impression de voir le dernier tiers du pétage de plomb de Wan étalé sur 2H20. À sa manière, The Substance s’inscrit dans ce joyeux revival de l’horreur, qui de Malignant à L’exorciste du Vatican, en passant par M3GAN, procure un grand sourire au lèvres. Un pétage de plomb sincère et très attachant comme en témoignent les high kick à la Van Damme balancés contre une simili grand mère Henrietta, ou le climax mêlant sans complexe Elephant Man, Carrie et Basket Case. Une réussite déviante, qui apparait comme un véritable cheval de Troie à l’encontre du directeur du festival de Cannes : Thierry Frémaux. Ce dernier visiblement soucieux de reproduire le coup de Titane, ne s’est visiblement pas rendu compte qu’il tenait là une oeuvre totalement autre. Le directeur du festival faisant sa sélection en visionnant seulement les 10 premières minutes des films qui lui sont proposés. The Substance c’est John McClane, le poil à gratter narguant le Hans Gruber du 7ème art qu’est Thierry Frémaux dans ce Nakatomi Plaza qu’est le festival de Cannes. Un poil à gratter totalement involontaire au vu de l’engouement suscité par le film, ce qui rend la situation encore plus belle.