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Quatre ans après la claque monumentale que représentait Animal Kingdom, le réalisateur australien David Michôd change radicalement de genre. Il plonge avec The Rover dans l’univers du western post-apocalyptique en mode majeur. Tous les éléments sont réunis pour construire une œuvre âpre, à l’humour très noir, aux éclairs de violence radicaux, qui laisse un goût de sang et de poussière dans la bouche.

L’Australie est le terrain idéal pour mettre en scène des univers dystopiques et particulièrement des films post-apocalyptiques, on le sait depuis Mad Max. Et David Michôd d’enfoncer le clou avec The Rover, présenté en séance de minuit au festival de Cannes. Pure série B, qui aurait toutefois largement mérité les honneurs de la compétition tant la proposition de cinéma est ici radicale, The Rover se réapproprie un langage cinématographique situé entre le western pur et dur, plutôt du côté italien et donc considéré comme bis, et le cinéma indépendant US, avec une caméra suivant ses personnages de dos, ses lueurs solaires et ses personnages mutiques et/ou détruits de l’intérieur. Le film est à la rencontre des genres, avec également beaucoup d’éléments venus du road movie et du buddy movie. Mais autant ne pas s’attendre à des gags bien gras et des rencontres surréalistes, car David Michôd tient d’une main de fer un univers terriblement rude et désespéré, dans lequel seul compte la survie et où les hommes ont régressé au statut de cowboys sortant leur flingue pour régler le moindre petit conflit. Un western donc, car tous les codes y sont revisités, à l’image de cette séquence d’ouverture qui rejouerait presque celle d’Il était une fois dans l’ouest, à la différence près qu’elle est plus vite expédiée et que les regards fuient ceux du spectateur plutôt que de s’y plonger.

Guy Pearce, plus mutique que jamais, y incarne un homme sans nom dont le passé et les actions ne seront expliquées et justifiées qu’au bout d’une bonne heure de film. Il personnifie à merveille cet homme qui répète inlassablement les mêmes phrases afin d’obtenir les réponses qu’il désire, qui ne répond jamais aux autres, au moins dans un premier temps, et qui semble en permanence sur le point d’exploser. Il y a chez lui un aspect presque ridicule, comme le souligne d’ailleurs un des rares personnages féminins du film. En effet, jusqu’au plan final, on ne saura pas les raisons qui poussent cet homme visiblement brisé par la vie à poursuivre une quête mettant souvent sa vie en jeu simplement pour récupérer sa voiture. Pourtant, la richesse du scénario, que David Michôd a coécrit avec l’acteur Joel Edgerton, est telle que son personnage n’en finit pas d’évoluer et de se dévoiler jusqu’à ce final donc, assez bouleversant. Et si l’ensemble fonctionne avec une telle harmonie, c’est que le choix de confronter des acteurs aussi différents de Guy Pearce et Robert Pattinson s’avère plus que payant. Le premier possède une sorte de sagesse, un code d’honneur et un objectif limpide pour lui, tandis que le spectateur reste dans le flou. Le second est quant à lui un simplet ne réfléchissant pas aux conséquences de ses actes, qui vit dans le moment en se posant des questions existentielles qui s’effacent dès qu’une nouvelle opportunité s’offre à lui, et qui se montre surtout très bavard.

David Michôd parvient sans trop de problème à créer une empathie envers ses deux personnages pourtant fort antipathiques au premier abord. Une proximité qui fonctionne encore plus dès lors que le passé trouble du personnage de Guy Pearce est en grande partie dévoilé. Il devient alors exactement ce qu’il semblait être sans que cela ne soit dit noir sur blanc. Il est un homme qui a tout perdu, par choix, et qui en veut à la terre entière de ne plus appliquer la moindre justice digne de ce nom. L’acteur donne absolument tout ce qu’il a et livre une de ses plus belles performances, la rage suintant de chacun de ses regards, en même temps qu’un désir inavoué d’être abattu. Chacun de ses actes, du plus brutal au plus grotesque, est justifié par cette nature profondément torturée, ainsi que par la mission qui est la sienne, et qui passe par la poursuite de cette voiture qui lui a été dérobée. Ceci afin qu’il accomplisse enfin quelque chose d’important à ses yeux, une forme de justice également, qui éclaire sous un nouveau jour une séquence très émouvante dans l’arrière-boutique d’une clinique improvisée.

The Rover joue énormément sur la notion de monstruosité qu’il relativise en permanence à travers des personnages avec des gueules comme on n’en voit plus au cinéma. Des freaks, des gueules cassées, des hommes et femmes semblant sortis d’une époque bien lointaine. David Michôd fait le choix d’un film très atmosphérique, avec de longs plans, des beaux travellings, des mouvements d’une rare élégance composant une ambiance crépusculaire assez douce, traversée de part en part par des séquences d’une violence inouïe. Le réalisateur apporte son lot d’idées de mise en scène en jouant sur le choc, qu’il filme des fusillades selon un seul point de vue, sans voir dans le même plan les adversaires, créant un vrai malaise tant Hollywood nous a habitué à une grammaire toute autre, ou qu’il joue sur la rupture en filmant Guy Pearce essentiellement de dos lors de ses déplacements avant de balancer un gros plan bouleversant sur son visage cadré de face et de très près lors du dernier acte. The Rover est une œuvre tragique, pas vraiment amicale, qui bénéficie d’un humour dosé sensiblement et très étonnant tant il ne semble pas à sa place, mais c’est essentiellement une œuvre désespérée qui tend vers le portrait des derniers des hommes, même si subsistent dans le décor des éléments d’une civilisation qui fonctionne toujours (à l’image du train, qui participe à créer un univers dans lequel la présence asiatique est gigantesque).

Comme tout bon western, le récit en lui-même reste relativement basique et économe en dialogues. David Michôd choisit de ne pas trop en dire, et de ne pas trop en faire dire à ses personnages, afin de stimuler l’imaginaire du public qui se fera sa propre idée sur les raisons ayant abouti à cette situation, simplement en donnant quelques petits éléments de détail disséminés ici ou là. Le film est crade, avec la photo magnifique de Natasha Braier qui accentue encore la sensation de monde pourri, surprenant par la façon dont s’immisce la violence, soudainement et froidement, mais également grâce à la prestation de Robert Pattinson. L’acteur a déjà prouvé, notamment chez Cronenberg, tout son potentiel, mais il livre ici une prestation extraordinaire dans un rôle complexe de simple d’esprit mais pas si con, de l’actor studio quatre étoiles qui l’impose enfin comme un des acteurs les plus surprenants de sa génération. Et si le film ne cherche jamais à être aimable, il est d’une brutalité et d’une radicalité qui font vraiment plaisir à voir.

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10

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Auteur

Gigantesque blaireau qui écrit des papiers de 50000 signes absolument illisibles de beaufitude et d'illettrisme, d'après Vincent Malausa.

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