Après avoir signé l’un des meilleurs films d’horreur de la dernière décennie avec La Casa Lobo, et participé à Beau is Afraid de Ari Aster, le duo Cristóbal León et Joaquín Cociña est venu présenter à La Quinzaine des Cinéastes leur nouveau long-métrage : The Hyperboreans. Un second essai qui confirme tout le bien que l’on peut penser d’eux, leur permettant de continuer à explorer leurs thèmes de prédilection tout en faisant évoluer leur style atypique.
Pour ce nouveau nouveau film, Cristóbal León et Joaquín Cociña explorent la vie tumultueuse de Miguel Serrano. Diplomate et explorateur Chilien, né en 1917 et décédé en 2009, Serrano fut également un antisémite notoire, fasciné par l’ésotérisme Nazi dont il fit la promotion dans divers ouvrages. Ce dernier, persuadé d’être la réincarnation d’Adolf Hitler et de la divinité Vishnou, devint une icône pour les nouvelles générations de néonazis et les férus d’occultisme en tout genre. Un personnage haut en couleur, dont les cinéastes vont aborder la vie à travers une approche atypique. The Hyperboreans est l’occasion de suivre Antonia Giesen et son assistant Francisco Visceral, qui sous la houlette de Cristóbal León et Joacquín Cociña, vont tenter de reconstituer à travers divers plateaux de tournage, des scènes perdues d’un film maudit consacré au diplomate Chilien. De par son sujet, un tournage progressivement victime d’événements surnaturels, le film de León-Cociña s’inscrit dans la mouvance de Ghostwatch, le canular télévisuel de la BBC du début des 90s sur lequel est revenu le podcast Jumpscare, ainsi que du récent succès surprise Late Night with the Devil. Cependant, loin de se cantonner à un simple exercice de style, le duo va prendre appui sur cette approche pour livrer une oeuvre miroir de La Casa Lobo. Dans un premier temps, le duo León-Cociña va reprendre le mélange de divers procédés d’animation, notamment en papier mâché, pour insuffler un sentiment d’angoisse lié à l’inquiétante étrangeté que suscitent les marionnettes, masques et décors. Une version horrifique des travaux des frères Quay et Jan Švankmajer, à laquelle s’ajoute cette fois-ci des emprunts assumés à Michel Gondry et George Méliès et la participation de vrais interprètes dont les cinéastes eux-mêmes. Une démarche qui leur permet de faire évoluer leur style, misant d’avantage ici sur les transitions et les plans séquences, tout en évitant de livrer un simple pastiche vide de sens autre que fétichiste et nostalgique. La preuve avec la représentation de la police fasciste, qui détourne l’imagerie enfantine et le système D du cinéma de Michel Gondry, pour lui conférer un sens nouveau.

Les cinéastes mêlent harmonieusement ces diverses approches au sein d’un même cadre, afin de donner une plus-value émotionnelle à la vie de Serrano. Le parcours de ce dernier est l’occasion de renouer avec la thématique de La Casa Lobo, l’innocence face aux horreurs du fascisme en Amérique du Sud. Si le précédent film mettant en avant la fugue d’une jeune fille de la Colonie Dignidad, reprenait la structure et les archétypes d’un conte, ce nouveau long-métrage joue sur quelque chose de plus sinueux. L’histoire d’un innocent qui deviendra un promoteur d’une des pires idéologies de l’histoire, au point que cette dernière le fera succomber à la folie. De par leur volonté d’aborder les pages sombres de l’histoire de leur pays, en misant sur un point de vue évoquant avec candeur et sensibilité le monde de l’enfance, il n’est pas interdit de voir des correspondances thématiques entre les cinéastes chiliens León-Cociña et certaines oeuvres du cinéma fantastique espagnol : La résidence, Le labyrinthe de Pan ou encore L’Orphelinat. Les croyances occultes de Serrano sont l’occasion pour les réalisateurs de porter un regard caustique sur ces dernières. Qu’il s’agisse des Ovnis qui seraient des créations nazies et l’idée d’une race supérieure représentée par les Hyperboréens. Cependant cette enquête sous forme de reconstitution de scènes perdues sur un plateau de tournage, joue également avec une approche horrifique héritée des 90s. Le regard caustique sur les croyances occultes et les divers points de vue qu’elles suscitent, n’est pas sans rappeler Le jour de la bête d’Álex de la Iglesia, avec lequel il partage un personnage de Metalleux. L’ossature même du récit, une enquête aux relents gnostiques portant sur un film maudit, fait écho involontairement au roman La conspiration des ténèbres de l’universitaire Theodore Roszak, adapté de façon officieuse par John Carpenter avec La fin absolue du monde pour la série Masters of Horror. Du même Carpenter, il est difficile de ne pas faire le rapprochement, de par son sujet, avec L’antre de la folie et plus généralement avec la thématique à l’oeuvre chez le cinéaste américain, du mal indicible.

Dans La Casa Lobo les murs de la maison close étaient envahis par le mal représenté sous forme d’animations. Un procédé repris dans The Hyperboreans, où les plateaux sont envahis par un mal indicible, représenté par des codes visuels issus de l’Analog Horror et du jeu vidéo, ainsi que par des marionnettes prenant possession des humains. La grande réussite du duo León-Cociña est de transposer, et redonner vie, de manière personnelle à une approche suggestive de l’angoisse que Carpenter et Kiyoshi Kurosawa avaient su brillamment représenter. The Hyperborians quitte progressivement son postulat métatextuel pour tutoyer, sous couvert d’un film Pulp des années 30, l’horreur mythologique à la portée Lovecraftienne, reliant sa fonction symbolique au fascisme prêt à revenir déferler sur le monde lorsque le moment sera venu. Une donnée qui finit d’appuyer la réussite iconoclaste du film, à travers un plan final d’une grande simplicité mais au sens profondément tragique et désespéré. À contrario de nombreux cinéastes contemporains, certes sincères dans leur amour d’un cinéma ésotérique d’autrefois mais limités par une approche vide de sens autre que fétichiste, le duo León-Cociña apparait d’avantage comme le versant horrifique du cinéma des Daniels et de Mike Cheslik.