En pleine post-production de Satoshi Kon : la Machine à Rêve, documentaire très attendu par les fans du défunt cinéaste, Pascal-Alex Vincent nous as accordé un peu de son temps pour évoquer, à travers sa passion pour le cinéma japonais qu’il enseigne depuis de nombreuses années à l’université Sorbonne-Nouvelle Paris 3, l’importance de la transmission sous toutes ces formes.
Je m’appelle Pascal-Alex Vincent et je tourne actuellement un documentaire sur le cinéaste Satoshi Kon. Faire des films n’est pas ma seule activité. J’écris des livres, j’enseigne l’histoire du cinéma, je donne des conférences, je tourne des clips, tout ça après avoir été longtemps distributeur. Cette énumération n’est destinée à épater personne, elle correspond à une réalité d’aujourd’hui : les gens ont plusieurs métiers. Ce qui pouvait paraître farfelu il y a vingt ans est courant aujourd’hui. Les gens ont plusieurs métiers, changent de partenaire, déménagent, ont plusieurs vie, empruntent parfois une ligne droite, parfois une ligne en pointillés, parfois une ligne en zigzag, parfois l’autoroute, par ici, puis par là.
Ce documentaire m’a permis de passer du temps au Japon, pays qui m’est familier et où se trouvent certains fondements de ma cinéphilie. Mais tourner ce film est une nouvelle occasion de faire une des choses que je préfère : transmettre. Satoshi Kon est un immense cinéaste et un immense mangaka, mais sa carrière fut si courte que le danger est que son oeuvre se fasse discrète ou s’évapore, comme souvent avec les oeuvres courtes. Il convenait donc de lui fabriquer un petit autel.
À l’université Paris 3 Sorbonne nouvelle, où j’enseigne, il a fallu multiplier les cours sur le cinéma japonais par trois, tant cette matière est populaire. Comment ne pas s’en réjouir ? Longtemps, le cinéma japonais était affaire de spécialistes. Par bonheur, ces étudiants vont prendre leur place, car à partir du moment où les œuvres et les sources sont accessibles (et concernant le cinéma japonais, elles le sont enfin devenues), tout le monde est spécialiste. Quelle joie ! Je déteste quand on me désigne « spécialiste du cinéma japonais », car les spécialistes règnent sur leur pré carré comme de petits tyrans de quartier. Je me considère, pour ma part, comme un amateur éclairé, amateur dans le sens premier : celui qui aime. Et aimer rend légitime.
Voilà, c’est donc ça qui me pousse à tourner un documentaire sur Satoshi Kon, comme c’est ça qui m’a poussé à diriger deux dictionnaires du cinéma japonais et, plus récemment, à écrire un livre sur Yasujirō Ozu. Le projet est de construire de petits édifices sur le territoire de la cinéphilie (territoire loin d’être aussi friable qu’on le dit), et de laisser la clé de ces édifices à qui voudra les visiter et prendre le relai.
Tout ceci est une façon d’habiter le cinéma, et de laisser l’espace grand ouvert, pour que vienne qui veut.
Pascal-Alex Vincent
Propos recueillis par Yoan Orszulik, vous pouvez retrouver le travail de Pascal-Alex Vincent via son documentaire Miwa : à la recherche du lézard noir disponible en vod sur UniversCiné, ainsi que les ouvrages Dictionnaire du Cinéma Japonais en 101 Cinéastes, le Coffret l’Âge d’or du cinéma japonais Volume 2, Ozu en couleurs et ses autres contributions pour l’éditeur Carlotta Films.